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Le présent ouvrage collectif s’inscrit dans le cadre des travaux de l’Institut international d’études sociales de l’Organisation internationale du travail (OIT) et fait état des réflexions qui y ont été menées lors d’un séminaire international tenu les 15-16 décembre 2006 sur le thème de la négociation sociale transnationale et des accords-cadres internationaux (ACI). Il réunit les contributions de 13 spécialistes, universitaires, syndicalistes et membres d’organisations internationales, reconnus pour leurs travaux sur le sujet. Son objectif est de jeter un éclairage analytique sur les nouvelles dynamiques de la négociation collective au plan international et de proposer une synthèse des derniers développements en la matière.
Cet ouvrage fonde sa pertinence d’abord dans l’actualité du contexte politico-économique duquel il s’inspire, soit celui de la montée en puissance des entreprises multinationales. Le constat de départ sous-jacent à cette étude est celui des limites avérées du droit national du travail dans l’encadrement du comportement des firmes multinationales et de l’importance de voir émerger de nouvelles règles internationales permettant d’étendre à l’échelle mondiale les mesures de protection des travailleurs. Sa pertinence tient aussi au fait qu’il s’attaque directement au phénomène de la diversification des lieux de la négociation collective au plan supranational et de la ratification d’ACI. Dès l’introduction, le directeur de l’ouvrage, Konstantinos Papadakis, met en relief les différentes formes pouvant être prises par de tels accords qui, rappelons-le, visent à assurer le respect des droits des travailleurs au sein des firmes multinationales en instituant des mécanismes permanents d’échange d’informations et de contrôle. Si la procédure la plus classique suppose que ces accords soient négociés directement entre une Fédération syndicale internationale (FSI) et une direction d’entreprise multinationale, ils peuvent également faire intervenir d’autres acteurs telles des organisations syndicales nationales, des fédérations syndicales européennes ou encore des comités d’entreprise européens (CEE). Dans un cas comme dans l’autre, le phénomène apparaît d’ailleurs en pleine expansion. Selon Papadakis, on dénombrerait aujourd’hui l’existence de quelque 62 ACI couvrant approximativement 5,2 millions de travailleurs dans le monde. Depuis l’accord pionnier signé en 1988 avec le groupe français BSN-Danone, le rythme des signatures des ACI n’a cessé de s’accélérer. Si 23 ACI ont été ratifiés entre les années 1988 et 2002, plus de 39 accords ont vu le jour depuis 2003.
Le corps de cet ouvrage est divisé en cinq parties qui, chacune, intègre deux chapitres. Dans la première partie, à vocation historique, Dan Gallin (chapitre 1) puis Isabel Da Costa et Udo Rehfeldt (chapitre 2) s’emploient à retracer les premières formes de concertation intersyndicale ayant pris forme au sein d’entreprises multinationales. À travers l’analyse de certains cas classiques de concertation, ces auteurs montrent que les premiers instruments permanents et opérationnels qui ont été mis en place au sein des entreprises multinationales l’ont été durant les années 1960-70 à l’initiative de certaines FSI et ont pris le plus souvent la forme de conseils mondiaux d’entreprise. Si le bilan de l’expérience de ces conseils mondiaux est plutôt mitigé, les auteurs reconnaissent que ces derniers ont néanmoins jeté les bases d’une coopération intersyndicale au sein des multinationales et préfacé l’émergence des ACI. L’accord entre ces auteurs quant aux origines historiques du développement de la négociation collective transnationale ne s’étend toutefois pas à leur analyse de l’apport de certaines innovations institutionnelles à cette négociation. À cet égard, ils expriment des vues foncièrement différentes quant au rôle joué par les CEE. Si pour Gallin, ces comités représentent une « dead end » (p. 38) quant au développement de la négociation collective transnationale, Da Costa et Rehfeldt en arrivent plutôt à la conclusion inverse voulant que ces CEE puissent servir de tremplin au démarrage d’une concertation syndicale multinationale plus élargie.
La deuxième partie de cet ouvrage s’intéresse principalement au contenu de ces ACI. Le chapitre 3 offre à cet égard une comparaison entre la négociation d’ACI et celle de conventions collectives selon la définition classique qu’en retient l’OIT dans sa recommandation no 91. Papadakis, Casale et Tsotroudi montrent que si la négociation et le contenu des ACI s’apparentent dans leur nature aux conventions collectives négociées au plan local et national, plusieurs éléments les différencient. De l’analyse menée ressort la fragilité des ACI par rapport aux conventions collectives plus traditionnelles tant au niveau de la représentativité des acteurs impliqués dans leur négociation, de leur engagement qui ne repose sur aucune obligation légale, du caractère générique du contenu de ces accords, et des mécanismes de surveillance de leur application qui restent le plus souvent déficients. Dans le chapitre subséquent (chapitre 4), Hammer fait quant à lui ressortir la diversité qui caractérise le contenu des ACI. Si ces accords sont fondés sur un socle commun inspiré notamment de la Déclaration de 1998 de l’OIT, des différences importantes subsistent dans leurs contenus respectifs. À cet effet, c’est au niveau de leur contenu normatif et procédural que les ACI enregistrent le plus de variations. Hammer en arrive d’ailleurs à distinguer les accords tenant d’une « logique de droit » et ceux obéissant à une « logique de négociation » en tant que pôles de ce continuum de variabilité. Les accords du premier type se limiteraient à des clauses déclaratoires sur les droits fondamentaux des travailleurs. Les accords du second type seraient beaucoup plus substantiels en raison des obligations qu’ils imposent à l’employeur, notamment en ce qui concerne les sous-traitants ainsi que les procédures de suivi et de règlements des différends.
La troisième partie de cet ouvrage présente une analyse des enjeux juridiques propres aux ACI. André Sobczak (chapitre 5) s’intéresse tout d’abord à la portée juridique de ces accords. Cet auteur note qu’en l’absence d’un cadre juridique clairement défini en matière de négociation collective internationale, plusieurs questions demeurent quant au statut juridique de ces accords et quant à leur impact réel sur la régulation des grandes entreprises. Bercusson (chapitre 6), pour sa part, replace le développement de ces accords dans la complexité des mécanismes juridiques qui caractérise le contexte institutionnel européen. Ces deux auteurs montrent que l’effectivité des ACI en tant que normes privées transnationales passe, d’une part, par une meilleure articulation aux normes publiques nationales et internationales ainsi que, d’autre part, par la capacité des acteurs concernés à développer une mobilisation internationale assurant la mise en place et le respect de ces accords.
La quatrième partie de l’ouvrage propose deux études de cas illustrant à la fois le potentiel et les difficultés inhérentes à la collaboration intersyndicale internationale dans deux des secteurs les plus fortement touchés par la mondialisation économique, soit ceux du textile et du transport maritime. Doug Miller (chapitre 7), se basant sur son expérience acquise au sein de la Fédération internationale des travailleurs du textile, de l’habillement et du cuir (FITTHC), met en relief les efforts déployés par cette organisation pour parvenir à développer de nouvelles stratégies en matière de concertation intersyndicale. Ce chapitre révèle essentiellement que malgré les nombreux obstacles se posant aux acteurs syndicaux, dont l’attitude fortement antisyndicale des employeurs et la complexité des réseaux de production qui prévalent dans ce secteur, certains succès ont été enregistrés dont la signature récente, en octobre 2007, d’un ACI avec l’entreprise Inditex. Nathan Lillie (chapitre 8) présente, pour sa part, le processus qui a conduit à la ratification de la convention collective de la marine marchande négociée par la Fédération internationale des ouvriers du transport (FIOT). Véritable percée en matière de négociation collective transnationale, cette convention sectorielle a vu le jour grâce à une stratégie mondiale de réseautage syndical et d’action industrielle coordonnée et a notamment permis aux syndicats de marins réunis sous l’égide de la FIOT de négocier des minima salariaux pour chacune des professions représentées à bord des navires marchands.
La cinquième et dernière partie de cet ouvrage présente les efforts déployés, ainsi que ceux qui resteraient à mettre en oeuvre, par deux des institutions les plus susceptibles de soutenir le développement de la négociation collective transnationale, soit l’Union Européenne et l’OIT. Dans un premier temps, Dominique Bé (chapitre 8) fait état des récentes initiatives prises par la Commission européenne afin de favoriser le développement de la négociation collective transnationale dans le cadre de son nouvel agenda social 2005-2010. Après avoir fait état des différents travaux qui ont eu lieu autour de cette initiative, l’auteur présente les positions des partenaires sociaux à son égard. On y constate, sans surprise, que si la Confédération européenne des syndicats (CES) semble plutôt l’avoir salué, la Fédération européenne des employeurs, l’UNICE, a, quant à elle, préféré relever plusieurs points d’interrogation susceptibles d’inquiéter les entreprises. Finalement, Renée-Claude Drouin (chapitre 9) offre une analyse éclairante des différents mécanismes à la disposition de l’OIT pouvant éventuellement assurer le développement de la négociation collective transnationale et promouvoir la ratification d’ACI. Que l’on pense à un élargissement du droit de recourir à la négociation collective à la sphère transnationale, à une reconnaissance plus explicite du droit des acteurs syndicaux de s’impliquer dans des actions de solidarité internationale, à une promotion plus soutenue du dialogue social sectoriel ou encore à la mise en place de mécanismes de résolution de conflits et d’assistance technique en matière de mise en place d’ACI, les voies d’action s’offrant à l’OIT apparaissent multiples. L’intérêt d’une telle analyse est de montrer qu’en dépit de l’absence d’un cadre juridique clairement défini en matière de négociation collective transnationale, certaines organisations peuvent intervenir en ce sens dans la mesure des moyens dont elles disposent.
En guise de conclusion, soulignons que cet ouvrage ne va pas sans quelques faiblesses. Outre la répétition de certains éléments dans ses différents chapitres, il aurait été apprécié que les auteurs dégagent un bilan de leurs analyses et qu’ils nous livrent leurs conclusions quant à l’état actuel et aux perspectives prévisibles de la négociation collective transnationale. Il aurait été intéressant de voir à quelle analyse transversale aurait pu conduire l’ensemble de ces contributions. Ceci dit, cet ouvrage réunit un ensemble de textes d’une très grande richesse, contribuant ainsi à une littérature encore trop limitée sur un sujet pourtant primordial pour le futur des relations industrielles. Il ouvre également la porte à de nouvelles recherches concernant notamment l’évaluation de l’effectivité des ACI et des autres accords conclus dans le cadre d’un processus de négociation collective supranationale. En bref, ce livre se présente comme une lecture incontournable pour tous ceux qui cherchent à mieux comprendre les nouvelles dynamiques internationales des relations du travail et de la négociation collective.