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Le champ scientifique des relations industrielles est marqué depuis une vingtaine d’années par un état de crise, particulièrement en Amérique du Nord. Un indicateur parmi d’autres de ceci est la fermeture en 2003 du département de relations industrielles de l’Université de Wisconsin, département fondateur des relations industrielles aux États-Unis ! On assiste en parallèle à une croissance des inscriptions dans les départements de gestion, à une récupération importante des études sur le syndicalisme dans des départements de sciences politiques et de labor studies, etc. Ces aspects et bien d’autres ont largement été documentés dans l’ouvrage de Bruce Kaufman, The Global Evolution of the Field of Industrial Relations (Genève, ILO, 2004).
Un des aspects de cette évolution qui fut assez négligé par les analystes est celui des causes et conséquences qu’ont pu jouer les perspectives théoriques et épistémologiques dans cette crise. On peut, schématiquement, constater que jusqu’aux années 1990, le champ d’études des relations industrielles a tenté des adaptations de ses théories en relaxant quelque peu l’épistémologie positiviste qui les sous-tendait et en réhabilitant un peu le pouvoir de l’acteur face aux déterminismes des structures. Mais toutes demeuraient très réservées face aux débats épistémologiques. Pour ma part, il m’est toujours apparu étonnant de constater que les sciences administratives, supposément plus conservatrices que les relations industrielles, ont pourtant enclenché dans leurs revues scientifiques de sérieux débats sur les limites de l’épistémologie positiviste pour la compréhension et l’analyse scientifique des pratiques de gestion, et ce, dès le début des années 1980. Les choses changent toutefois en relations industrielles.
C’est pourquoi la publication de l’ouvrage intitulé Social Theory at Work constitue un moment important pour le domaine des relations industrielles, même s’il se présente sous les traits d’un ouvrage de sociologie du travail ! L’ouvrage collectif, composé de 16 chapitres écrits par un total de 22 auteurs et co-auteurs reconnus pour la qualité de leurs travaux, traite des théories sociales anciennes et nouvelles parmi les plus importantes à s’être intéressées au phénomène du travail. Parmi les théories étudiées de façon classique en relations industrielles, au moins superficiellement, on trouve les théories : marxiste, weberienne, durkhemienne, économie néo-classique, économie institutionnaliste. Ce livre offre un accès systématique et à jour de l’état de ces théories par le biais de textes tous très fouillés et de qualité.
Toutefois, cet ouvrage offre beaucoup plus que cela à ses lecteurs. Il leur offre, réunis pour la première fois à ma connaissance dans un livre sur les théories en relations industrielles, des textes synthèses sur les théories émergentes, qu’elles soient celle de la sociologie économique, féministe, foucaldienne et postmoderne. Chacune des théories est présentée, de sa formulation d’origine jusqu’aux évolutions récentes, critiquée et un bilan général en est fait.
Finalement, le livre offre des bilans de la recherche sur un certain nombre de thèmes importants pour les relations industrielles, classiques, comme les chapitres sur la technologie et le travail (de notre collègue québécois Jacques Bélanger), le travail des professionnels, l’identité au travail, ou sur des thèmes relativement nouveaux ou réactualisés comme le chapitre sur la sociologie des organisations et l’analyse du travail, celui sur une théorie des intérêts dominants et la globalisation et celui sur l’éthique du travail. Ces thèmes sont analysés à la lumière de certaines des théories présentées dans la première partie de l’ouvrage. Par exemple, le chapitre de Bélanger montre l’utilité d’analyser le rôle de la technologie dans les centres d’appel à l’aide de trois concepts tirés de trois théories différences : la surveillance panoptique (théorie foucaldienne), la centralité des rapports de travail dans le labor process (théorie néo-marxiste) et le concept de la bureaucratie orientée vers le consommateur, tiré d’une adaptation de la conceptualisation wébérienne des idéaux-types d’organisation du travail.
Le tout est introduit par un chapitre écrit par les directeurs de la publication sur le thème des relations entre les divers courants théoriques (Competing, Collaborating and Reinforing Theories) et est conclu par un chapitre de Cappelli sur l’opportunité que les changements actuels dans le travail représentent pour le développement d’analyses davantage intégratives utilisant des éléments des concepts puisés dans diverses théories.
S’il y a un reproche à faire à ce livre, c’est qu’il y manque un chapitre ou deux qui auraient traité à fond la question des limites de l’épistémologie dominante et de l’intérêt des épistémologies émergentes pour le renouvellement de la recherche en sociologie du travail et en relations industrielles.
Ce livre permet de présenter, et enlève toute excuse à tout professeur d’un cours de théories en relations industrielles de ne pas le faire, un panorama plus complet de l’état de la science en cette matière, en complément de l’ouvrage édité par Kaufman (2004) sur les théories des relations industrielles. Le champ des relations industrielles ne peut demeurer en retrait des évolutions méta théoriques qui traversent l’ensemble des sciences sociales et des sciences de la gestion, sous peine de perdre de sa pertinence scientifique et de son utilité à la compréhension des phénomènes du travail. À cet égard, il est intéressant de constater que des 22 auteurs de chapitres, seulement trois proviennent de départements de relations industrielles: Jacques Bélanger de l’Université Laval, Paul Edwards de Warwick, et Richard Hyman du département de relations industrielles du London School of Economics. Les autres proviennent de départements de management, de sociologie, de labor studies et d’économie. Il faut féliciter ces collègues pour leur contribution mais en même temps, je ne peux m’empêcher de penser qu’un champ d’étude scientifique qui voit le renouvellement de ses approches théoriques être défini par des chercheurs situés principalement à l’extérieur de celui-ci se trouve dans une situation de forte dépendance intellectuelle. En conclusion, ce sont tous les professeurs et les chercheurs du domaine des relations industrielles qui sont interpellés par le livre Social Theory at Work.