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Le volume intitulé L’essentiel sur les salaires minimums dans le monde est un volume qui vise à fournir une vue d’ensemble du salaire minimum, de ses modalités, de la façon dont il est fixé, des critères dont il doit tenir compte et de ses effets sur le marché du travail. Il s’appuie sur une comparaison et une analyse de plus de 116 pays à travers le monde.
Le chapitre I présente les différentes modalités que peut prendre le salaire minimum dans ces différents pays. Dans les uns, il y a un salaire minimum unique décrété par l’État qui s’applique uniformément à tous les secteurs d’activités, toutes les professions, toutes les régions, tous les groupes d’âge. Dans les autres, les taux varient en fonction de l’une ou de l’autre de ces catégories. Le volume regroupe, sous forme de tableaux, les différents pays qui ont opté pour l’une ou l’autre de ces formes de salaire minimum. Ce regroupement nous permet de trouver que la majorité des pays s’en remet à un taux général et uniforme mais qu’une minorité substantielle adopte des taux sectoriels ou par profession.
Mais il n’y a pas que le salaire minimum qui peut prendre une forme différente, la façon dont il est fixé peut aussi différer d’un pays à l’autre. Dans certains pays, le ou les salaires minimums sont décrétés par le gouvernement, en consultation ou non avec un organe tripartite. Dans d’autres, ils sont fixés par voie de négociation collective. Le même tableau regroupe les pays qui ont opté pour des taux nationaux par voie gouvernementale d’un côté ou par voie de négociation collective de l’autre. De même, il présente les pays où il s’agit plutôt de taux sectoriels ou professionnels déterminés selon l’une ou l’autre de ces façons de le déterminer. Chacun des cas est présenté et discuté avec soin. L’intérêt de cette présentation et de ces regroupements est qu’il existerait un lien qui permet de comprendre l’extrême diversité des modalités et lui donne une cohérence : c’est celle de la place de la négociation collective. En effet, selon Eyraud et Saget : « C’est toujours par référence à cette dernière que fonctionnent les procédures de fixation des salaires minimums; qu’il s’agisse de pallier son absence, de la restreindre, de l’initier ou de la développer » (p. 6).
Le chapitre II se penche sur les critères de fixation des salaires minimums. Ces critères peuvent être nombreux. En effet, il peut s’agir du coût de la vie, de la situation générale de l’économie, des prestations de sécurité sociale, du niveau de l’emploi ou d’autres critères. À un extrême, il y a 20 % des pays qui ne précisent aucun critère. À l’autre extrême, il y a des pays comme la France, la Belgique et l’Estonie où ces critères sont strictement contraignants. En fait, « l’analyse comparée des législations met en évidence des variations importantes entre pays des définitions des critères et de leurs liens avec les salaires minimums » (p. 39). Dès lors, et afin d’en faire une analyse cohérente, les auteurs proposent de les regrouper selon leurs objectifs économiques ou sociaux.
Les objectifs économiques ou sociaux dont il est question sont : le salaire minimum, la pauvreté et les inégalités dont les inégalités entre hommes et femmes, d’une part, puis le salaire minimum, la demande globale, l’emploi et l’inflation, d’autre part. Dans chacun des cas, les auteurs prennent soin de bien expliquer les enjeux ainsi que la façon dont ces objectifs s’insèrent dans le processus de fixation des salaires minimums.
Les chapitres III et IV abordent, quant à eux, l’étude des effets du salaire minimum sur l’emploi, les inégalités et la pauvreté. En ce qui a trait à l’emploi, les auteurs nous font remarquer que les conclusions de la littérature scientifique à cet égard sont plutôt incertaines, mais qu’il y a un constat qui, lui, est robuste : le salaire minimum « semble rarement atteindre un niveau où l’effet positif sur les bas salaires en termes de revenus serait annulé par l’effet négatif des pertes d’emploi » (p. 106). En jargon économique, cela signifie que l’élasticité salaire de la demande de travail est inférieure à l’unité : la baisse de l’emploi en pourcentage est pratiquement toujours inférieure à la hausse en pourcentage du salaire minimum. Ils en font une de leur conclusion principale : « le jugement que l’on porte sur toute politique de salaire minimum ne doit pas s’intéresser à son seul effet sur l’emploi mais sur le bien-être total qui résulte de cette politique » (p. 106). Autrement dit, les politiciens doivent comparer ou arbitrer le bien-être additionnel qui découle de la hausse du salaire minimum pour ceux et celles qui conservent leur emploi avec la perte de bien-être de ceux et celles qui le perdent en raison du salaire minimum. À notre avis, c’est cette comparaison interpersonnelle du bien-être des individus qui apparaît incontournable et qui rend la tâche difficile aux autorités qui ont à décider de son niveau.
Par ailleurs, en ce qui a trait à l’efficacité du salaire minimum comme instrument de réduction des inégalités, le jugement de Eyraud et Saget est sans équivoque : « On notera aussi que le salaire minimum a prouvé son efficacité à réduire les inégalités de salaires (sic) » (p. 106). En ce qui a trait à l’objectif de lutte ou de réduction de la pauvreté, le bilan reste positif, mais d’autres considérations sont apportées.
D’une part, les auteurs nous font remarquer que les opposants à la politique des salaires minimums soutiennent que le salaire minimum n’est pas une politique ciblée. Ces opposants craignent qu’une forte proportion des bénéficiaires de cette politique soit issue de ménages favorisés où il y a d’autres sources de revenus. Eyraud et Saget en concluent toutefois que « les études disponibles montrent que le salaire minimum profite bien, en priorité, aux ménages les plus défavorisés » (p. 94). Ils appuient cette affirmation sur la base d’une étude menée aux États-Unis par Bernstein et Schmitt en 1999 ainsi que sur les études sur les pays de l’OCDE en 1998.
D’autre part, en ce qui a trait aux travailleurs pauvres, Eyraud et Saget nous font remarquer que, d’un côté, des pourcentages significatifs de travailleurs qui gagnent plus que le salaire minimum constituent des travailleurs pauvres du fait qu’ils sont les seuls pourvoyeurs de ressources d’un ménage, alors que d’un autre côté, nous pouvons trouver que ce ne sont pas tous les salariés à bas salaire qui sont pauvres. « Il suffit pour cela que les salariés à bas salaires vivent dans un ménage où le conjoint est aussi salarié » (p. 96). Au Royaume-Uni par exemple, 87 % des travailleurs à bas salaires (gagnant moins de 50 % du salaire moyen) ne sont pas pauvres. En fait, nous disent-ils, une des causes majeures de la pauvreté des travailleurs est liée aux périodes de chômage que ces derniers connaissent au cours de l’année, associées à la précarité des contrats et au développement du temps partiel. Néanmoins, ils réaffirment et rappellent qu’une relation inverse entre le taux de pauvreté et le salaire minimum est avérée dans les pays industrialisés.
Pour terminer, il importe de souligner que ce compte rendu serait incomplet si nous nous abstenions de mentionner que ce volume, clair et concis, traite avec rigueur et élégance d’autres thèmes tels le salaire minimum dans les pays en voie de développement, les méthodes statistiques utilisées dans les études d’impact, les liens entre prestations sociales et salaire minimum, les cas d’exclusion ainsi que les causes du non-respect de la législation. Toutes ces analyses sont menées sans jamais perdre de vue l’objectif fondamental du salaire minimum : « la défense des salariés les plus faibles et la lutte contre les inégalités salariales » (p. 105).
En somme, j’ai bien aimé ce livre. C’est un livre qui, au-delà de son caractère descriptif, comporte une forte composante analytique. C’est un livre équilibré et pondéré qui fait preuve tout à la fois de compétence, d’honnêteté et de rigueur. Son caractère institutionnel, son originalité et sa vision « relations industrielles » constituent une véritable contribution à la compréhension des politiques du salaire minimum dans le monde. Il s’avère d’un grand intérêt pour les spécialistes des relations industrielles ainsi que pour tous ceux et toutes celles qui ont des responsabilités vis-à-vis l’analyse et l’administration de cette importante institution. Un livre indispensable.