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Les temps sont au changement… Mais le changement sans sens n’est que mouvement. Alors l’impératif est mis au service d’une autre exigence : la modernisation. Changer pour être moderne. Cette injonction managériale frappe d’ailleurs tout aussi bien le monde de l’entreprise que celui de l’administration publique. Mais cette dernière, contrairement à l’entreprise, est réputée conservatrice, figée dans ses routines bureaucratiques. Cet ouvrage collectif rend compte de tentatives de modernisation de l’administration publique en Belgique et au Québec. Modernisation de l’État et gestion des ressources humaines, le titre de l’ouvrage souligne combien cette mutation de l’Administration doit passer par le changement du mode de management des femmes et des hommes, par des ruptures dans les pratiques de sélection, de nomination, de rémunération… Mais, dans un cas comme dans l’autre, le modèle qui inspire les réformateurs est celui de l’entreprise privée ; une entreprise privée idéalisée. Et ce décalage entre cette entreprise idéalisée et l’entreprise réelle est doublé d’un autre décalage, temporel cette fois. L’entreprise privée idéalisée des réformateurs est fréquemment l’entreprise d’hier…
Comme le souligne l’un des contributeurs, les référents culturels donnent sens aux mots et aux situations. Cette remarque vaut pour les employés de l’État comme pour les citoyens. Le chapitre consacré au renouvellement de la fonction publique au Québec en est une bonne illustration. Face à la rareté des ressources financières, le Gouvernement veut concentrer les moyens de l’État sur ses missions essentielles. Mais quelle place a donc la fonction publique dans ces missions-là ? Chaque employé de l’État est en droit de savoir quel rôle le politique réserve à son Administration. Et l’on ne peut pas dire qu’en la matière les acteurs évoluent dans un monde de clarté ! Une telle réforme de recentrage sur les missions essentielles conduit nécessairement à des arbitrages d’autant plus difficiles à réaliser que la société québécoise reste convaincue que l’État doit pratiquer avec la société civile, chaque fois que les enjeux sont majeurs, une réelle concertation. Aussi, le gouvernement ne peut-il passer à la hussarde… Au-delà de la forme, une telle rupture rencontre quoi qu’il en soit également une forte opposition, et pas seulement parmi les fonctionnaires. Ainsi, la société québécoise est persuadée que, pour préserver ses caractéristiques particulières, elle a besoin d’un État agissant. L’idée d’un État maigre, replié sur ses seules fonctions régaliennes, ne s’imposera pas naturellement au sein de la population.
La modernisation de l’État compte parmi ses objectifs opérationnels le passage d’une gestion juridico-administrative à une gestion centrée sur les résultats et sur la qualité des services aux citoyens. Une telle réforme implique d’accorder une place centrale à la gestion des ressources humaines. Or, les auteurs constatent l’absence, chez les responsables politiques, de vision claire sur cette question essentielle. Si les fonctionnaires, peut-on lire dans l’ouvrage, perçoivent que le Gouvernement improvise, leur nécessaire mobilisation n’aura pas lieu. À cela peut en outre s’ajouter l’effet Pygmalion : le politique pense que les fonctionnaires aiment la routine et détestent le changement. Et bien, nombre d’entre eux s’efforceront de lui donner raison !
Les trois premiers chapitres de l’ouvrage sont étonnants. Ils concernent la Belgique, et notamment l’expérience de modernisation de la fonction publique fédérale belge, connue sous le nom du plan Copernic. Le lecteur y découvre l’histoire de l’échec d’une réforme conduite tambours battant. Les postulats du plan sont explicites : le citoyen, l’administré traditionnel, doit devenir un client et, pour cela, l’Administration doit fonctionner comme une entreprise, conduite par de « vrais » managers et non des fonctionnaires, forcément pétris d’inertie et de conformisme. La déqualification symbolique est en oeuvre… Les réformateurs politiques ne pouvant, selon la loi de la prophétie auto-réalisatrice, trouver aucun allié au sein de l’Administration, se condamnent à devoir en trouver en-dehors d’elle : et c’est le recours intensif aux consultants chargés d’incarner le changement et la modernité. Cette tentative de passer en force ne peut que braquer les fonctionnaires, irriter les média et fédérer les oppositions. Comme en contrepoint de cette épopée, d’autres contributeurs présentent des démarches dont la vertu est une espèce de pragmatisme modeste, de révolution tranquille. La plus convaincante est certainement une démarche de simplification administrative en région wallonne, démarche qui connaîtra des succès significatifs grâce à un travail permanent d’animation de projets, domaine par domaine, secteur par secteur, ayant su au fil du temps engendrer un réel professionnalisme de la réforme.
Deux contributions retiennent également l’attention par le fait que leur propos peut être largement généralisé à l’ensemble des organisations privées ou publiques. La première décrit la façon dont une démarche qualité introduite au sein des hôpitaux québécois se transforme, par le jeu des acteurs, en rituel bureaucratique. Les acteurs concernés, au lieu de produire de la qualité, produisent les signes de celle-ci. Aussi, pour les responsables de l’introduction de cette politique, la qualité existe puisqu’ils en rencontrent les signes ! L’auteur de cette contribution décrit un théâtre d’ombres. La seconde contribution est centrée sur la notion de contrat psychologique, notion utilisée pour expliquer la nature de la relation entre employé et employeur. Elle définit les attentes, les promesses et les obligations réciproques de chacun. Au sein de ce contrat, l’on trouve deux grands types d’obligations : des obligations de type relationnel et des obligations de type transactionnel. Les dernières ne demandent en réalité qu’un faible engagement réciproque. Par contre, les obligations de type relationnel en appellent à la morale et aux sentiments : l’on parle alors de loyauté, de fidélité, d’engagement sans compter… Les obligations de ce type ne peuvent s’inscrire que dans la durée. Et si, aujourd’hui, tout nouveau contrat psychologique est si difficile à conclure, c’est que les intéressés perçoivent qu’il ne pourrait bien s’inscrire que dans l’instant.