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Cet ouvrage entre dans une catégorie qui commence à être assez bien pourvue : celle des ouvrages destinés à rendre compte de ce qui est appelé « les effets des nouvelles technologies de l’information et de la communication – NTIC – sur les transformations du travail ». En cela, il s’inscrit dans une lignée de publications qui, à travers les vagues successives d’innovations technologiques incorporées tant dans les équipements productifs que dans les produits, cherchent à décrire et à interpréter des sens et des modalités de transformation du travail.
Plus précisément, il se donne comme ambition d’explorer différentes facettes des effets, sur le travail, de « Internet et de toutes les innovations réseau-centriques qui émergent à partir de lui ». Il s’appuie, pour cela, sur l’idée que cet ensemble d’innovations « a [déjà] transformé les lieux de travail et nos vies de travail dans un délais très court ». Les effets principaux seraient dus au brouillage des frontières du temps et de l’espace de travail, Internet autorisant des mises en relation de travail avec l’ensemble de notre planète, partout et tout le temps : 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Toutefois, il insiste sur ce qui pourrait être un paradoxe particulièrement trompeur de la situation actuelle, à savoir le fait que les lieux de travail demeurent en apparence pratiquement inchangés, alors que, d’une part, ils se trouvent menacés de disparition et que, d’autre part, les compétences et les caractéristiques psycho-cognitives requises par l’exercice de ces nouveaux types de travail se trouvent profondément modifiées.
Dans ce cadre, l’ouvrage de Patricia Wallace est structuré en onze chapitres qui lui permettent d’explorer quelques grandes questions classiques de l’analyse du travail. En partant de « l’émergence des technologies réseau-centriques » et en relation avec leur diffusion dans les lieux de travail, l’auteur aborde ces questions à travers sept chapitres destinés à rendre compte des mouvements actuels. Ses propos sont souvent illustrés par des petites histoires anecdotiques destinées à mieux leur donner vie, suivant un procédé très en vogue dans l’univers culturel américain. C’est ainsi que l’ouvrage aborde successivement les questions :
De durée du travail, avec des interrogations sur son évolution – son allongement – et sur les facteurs explicatifs de l’importance de son hétérogénéité ;
De communication, en accordant une petite place à tout ce qui touche au vaste sujet des communications interculturelles et une attention particulière aux usages du courriel avec ses effets pervers et l’intérêt de mettre en place des procédures/processus de régulation pour les contenir;
De leadership, avec l’évolution de son contenu en liaison avec la libre circulation de l’information à l’heure d’Internet, ainsi que les nouveaux challenges qui en résultent pour ceux qui sont appelés à exercer des fonctions traditionnelles d’autorité ;
De gestion de la cognition – le knowledge management –, avec sa signification et ses conditions de mise en pratique à l’heure où le partage et la capitalisation des savoirs issus de la pratique sont de plus en plus considérés comme une base essentielle des avantages concurrentiels ;
D’organisation en « équipes projets », qualifiées ici d’équipes virtuelles dans la mesure où les membres de ces équipes peuvent être dispersées à travers le monde tout en travaillant dans un projet commun, avec un accent mis sur ce qui peut les rendre efficientes ou efficaces ;
De « e-apprentissage», avec l’accent mis sur ce que signifie, tant pour l’enseigné que pour l’enseignant, cette remise en cause de la classe comme support privilégié de la transmission des savoirs, de même qu’à nouveau, un accent mis sur les conditions à réunir pour assurer l’efficacité de ce type d’apprentissage ;
De surveillance en ligne des activités sur les lieux de travail dans le but de contrôler et d’améliorer l’efficacité dans le travail à travers les outils techniques mis à la disposition des salariés et le respect de ce qui relève de la vie privée, avec une interrogation sur les contradictions internes – oxymore – qui peuvent exister dans la notion de lieux de travail privé.
Enfin, avant d’aborder dans un chapitre en quelque sorte conclusif sur ce que pourraient être les évolutions, dans l’avenir, des lieux de travail centrés sur les réseaux, avec une opposition entre la « vieille » et la « nouvelle » économie ainsi qu’une interrogation sur ce que pourraient être les « bureaux du futur », l’auteur consacre un chapitre aux évolutions des emplois.
Dès lors qu’on accepte de ne pas s’arrêter à la forme retenue par Patricia Wallace pour présenter ses réflexions, son ouvrage mérite une attention particulière dans la mesure où il présente une bonne synthèse de ce que l’on connaît sur les sujets qu’elle aborde. En effet, dans ses formulations aussi bien que dans ses titres, Patricia Wallace laisse constamment penser qu’elle fait parti de cette vaste école qualifiée du « déterminisme technologique » qui attribue sans nuance, aux technologies, un rôle moteur déterminant dans l’évolution du travail en général et, plus particulièrement dans celles que nous connaissons depuis ces vingt-cinq dernières années en relation avec une remise en cause des modèles productifs standardisés de masse, appuyés sur des intégrations d’économies d’échelles et sur une organisation du travail bureaucratico-taylorisée. Or, tous les travaux de recherche qui sont menés tant en économie qu’en sociologie ou en gestion d’entreprise, montrent que si les nouvelles générations de technologies associées aux réseaux à protocole IP jouent un grand rôle dans ces évolutions, elles sont plus des outils permissifs de transformation que des moteurs de transformation, ceux-ci devant être plutôt recherchés du côté des forces économiques et sociales qui gouvernent les marchés et les orientations des gestionnaires. C’est donc bien à l’ensemble de ces forces qu’il faut s’intéresser pour pouvoir décrypter les transformations du travail que nous observons sous nos yeux et vis-à-vis desquelles nous essayons de nous projeter dans l’avenir.
Cependant, et ce n’est pas un des moindres paradoxes de Patricia Wallace, le contenu de son livre, même si elle est obligée de faire vite en raison de la grande variété des sujets abordés sous la contrainte de page qui est la sienne, montre aussi bien la multiplicité des facteurs en cause dans les thèmes abordés, que les contradictions qui existent dans les mouvements observés en dépit des tendances lourdes dans ces mouvements. Elle montre, ainsi, que, dans ce domaine comme dans de nombreux autres, pour bien saisir la réalité des choses, il faut certes s’intéresser à la mer, mais il faut aussi s’intéresser aux vagues.