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Cet ouvrage est le produit d’un travail collectif résultant d’une collaboration entre chercheurs universitaires et institutionnels européens. Il s’agit d’une enquête basée sur sept études de cas couvrant, entre 1996 et 1999, vingt-trois espaces de travail, des secteurs public et privé, situés dans le nord du Royaume-Uni. Ce type de recherche reflète une tendance lourde en Europe en matière de design de recherche à la fois multidisciplinaire (économistes, géographes et sociologues) et interinstitutionnelle (centres de recherche nationaux et continentaux). L’ouvrage est divisé en trois sections thématiques, mais cette répartition est plutôt formelle car c’est à travers les neuf chapitres que sont véritablement répartis les résultats de la recherche. L’objectif est d’emblée précisé : il ne s’agit pas d’expliquer les principales transformations récentes du travail mais de déconstruire les mécanismes qui ont conduit à la restructuration du marché de l’emploi dans le contexte d’une économie dont l’essence même a changé de nature sous deux impacts. Celui de la transition d’un fort partenariat en matière de relations collective du travail vers un rapport salarial individualisé fragilisant l’employé face à l’employeur; ensuite celui de la fragmentation du travail industriel résultant des transformations des structures de production (délocalisation, externalisation).
Les pertinences sociales et scientifiques invoquées sous-tendent l’ambition des auteurs pour qui il s’impose de dépasser ces poncifs trop globalisants en les repensant autrement et en s’appuyant sur des études empiriques fouillées permettant, seules, de documenter ces transformations et, surtout, les impacts de ces dernières sur les nouveaux modes d’organisation du travail humain et leurs incidences sur les cheminements de carrière et la conciliation travail-famille.
La démarche inductive des auteurs repose sur quelques constats de base. Les impacts de ces changements montrent que les mécanismes de flexibilité du travail, loin de produire les « arrangements positifs » qui les justifient en termes de conciliation travail-famille, génèrent au contraire des effets pervers sur la structure de l’emploi à l’échelle régionale. La transversalité de ces effets est renforcée par la tendance marquée du management public à « importer » les pratiques de gestion du secteur privé, dans le cadre précisément de la politique dite de nouveau management public (NMP). Un autre constat inattendu montre que les entreprises de « l’économie nouvelle » n’ont fait que consolider cette tendance. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’on remarque que depuis les années 1997, le recours au NMP s’est accompagné de mécanismes de « flexibilité » en tous points comparables à ceux du secteur privé.
Le premier chapitre présente les entreprises choisies pour couvrir tous les secteurs d’activité affectés par les transformations du travail et de l’emploi. Ces organisations sont à peine dissimulées sous les désignations de « Bankco », « Councilco », « Healthco », « Mediaco », « Pharmco », « Retailco » et « Telecomco ». Pour chacune d’elles, l’enquête a documenté les nouveaux rôles des fonctions organisationnelles déterminantes au regard de la problématique de recherche : GOP, finances, RH et relations du travail, et relations avec clients et fournisseurs.
Une première série de résultats montre que, concernant les transformations du travail, même si Pharmaco se distingue des autres, les facteurs décisifs ne relèvent pas seulement du déterminisme technologique ou des pratiques de gestion, mais d’une logique plus complexe liée aux changements affectant l’environnement sociétal de la société britannique dans son ensemble. Quant aux dimensions internes (à l’entreprise) de ces transformations, les auteurs soulignent clairement l’opportunisme stratégique des décideurs (managériaux et exécutifs) mais en insistant sur sa conjugaison avec d’autres facteurs contingents comme les résistances individuelles et collectives liées aux contraintes de l’encadrement institutionnel des relations du travail.
Le reste des résultats porte sur les perceptions empiriques des employés et des gestionnaires interrogés dans chaque étude de cas. Il y apparaît qu’aux marchés internes de l’emploi se substituent graduellement des systèmes de gestion fondés sur une plus grande « flexibilité » de la main-d’oeuvre, notamment en raison de la multiplication des interventions des agences d’intérim. Certains secteurs (Telecomco, Mediaco) sont plus marqués que d’autres (Retailco), mais la tendance est nette. De façon systématique, il en ressort un net resserrement des équipes de gestionnaires. Le tout se faisant dans un contexte de rentabilité à court terme, d’une intensité croissante des tâches et d’une réduction des coûts de la main-d’oeuvre, ce dernier élément étant le plus souvent conjugué à la multiplication des contrats à durée déterminée au détriment de ceux à long terme. L’enquête souligne également l’accroissement rapide et substantiel du phénomène du contrôle et de la surveillance au travail. Son caractère transversal à tous les secteurs étudiés fait montre d’une intensification récurrente à toute la chaîne de valeur dont chaque secteur est porteur d’une forme spécifique mais fonctionnant sur la base des mêmes principes de réduction des coûts par un contrôle plus serré des tâches et des individus.
Pour les auteurs, la structure de la main-d’oeuvre et de l’emploi a subi de profondes transformations. Les relations collectives du travail cèdent le pas à un rapport salarial de plus en plus individualisé sous la pression de nouveaux modes d’organisation du travail dont le caractère trans-sectoriel est avéré. Par-delà les spécificités technologiques et organisationnelles de chaque secteur, les processus mis en place sont fondés sur les mêmes principes cardinaux de flexibilité, de réduction des coûts, du contrôle et de la surveillance ainsi que de l’incontournable rentabilité à court terme. De surcroît, cette évolution fait en sorte que l’encadrement institutionnel du travail échappe de plus en plus aux politiques nationales ad hoc, le cas du Royaume-Uni étant à ce titre illustratif d’une tendance récurrente à l’échelle continentale.
Le cadre théorique des auteurs commence par se situer par rapport à l’analyse historique de Polanyi (1944) et du courant qui s’est développé dans son sillage (Harvey, 1999; Block, 1986; Granovetter, 1974, 1985) autour de « l’embeddedness of market and production relations within local social, political and cultural forms » (p. 24). Cela pour ensuite s’en démarquer en s’inscrivant dans une perspective résolument institutionnaliste, dans la droite ligne des travaux fondateurs de D. North. Ils affirment que même si l’interface complexe entre l’organisation économique et son environnement externe est d’une « importance considérable », un surdéterminisme abusif lui a été attribué dans l’analyse des transformations du travail et de la structure de la main-d’oeuvre. L’illustration type en est pour eux la prétendue niponnisation des espaces de travail associée aux transferts des pratiques managériales éponymes en Angleterre et aux États-Unis notamment. C’est dans ce contexte qu’a été négligée la portée des substrats sociaux, culturels et identitaires véhiculés par ces pratiques.
S’appuyant sur l’école française de la régulation (Sorge et Maurice, 2000; Maurice et al., 1986) et les travaux de l’école néo-culturaliste, ils soulignent également la contingence déterminante des facteurs externes aux organisations, notamment ceux liés aux institutions économiques, sociales et politiques. Les mécanismes par lesquels les entreprises intègrent cette contingence s’avèrent déterminants quant à la structure du marché interne de la main-d’oeuvre et de l’emploi. Culture organisationnelle et relations de pouvoir dans l’entreprise ne peuvent donc avoir de sens hors de cette contingence, malgré la prétention des organisations à implanter leurs « valeurs managériales » indépendamment des espaces sociétaux où elles s’installent et des modes de régulation économique de ces espaces. C’est dire toute la portée et la pertinence de l’approche choisie dans cet ouvrage dans le contexte du débat scientifique actuel où leur analyse semble résolument à contre-courant des tendances dominantes, notamment en sciences administratives.