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Dans leur ouvrage, Dufour et Hege brossent un tableau des pratiques au chapitre de la représentation syndicale en vue de déterminer quels modèles nationaux sont les plus à même de répondre aux défis posés par l’internationalisation. Cette étude comparative propose de vérifier empiriquement les rôles des représentants compte tenu des cadres institutionnels dans lesquels l’acte représentatif prend forme.
L’ouvrage se scinde en deux grandes parties. La première, les chapitres 1 à 4, est composée de quatre monographies descriptives. Les enquêtes sur le terrain au sein de quatre pays : la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie, se sont déroulées entre 1990 et 1995 dans 15 sites par pays. Pour les fins de l’ouvrage, les auteurs ont retenu un cas par pays. Des entretiens menés auprès des membres des équipes de représentants fournissent une description riche du fonctionnement des structures institutionnelles et organisationnelles et un portrait détaillé du travail quotidien effectué par les représentants. Les chapitres 1 et 2 offrent un panorama d’un établissement en France et d’un en Allemagne, deux pays à système de représentation dual où le formalisme imprègne les instances de représentation. Les chapitres 3 et 4 décrivent deux systèmes monistes de représentation, ceux de la Grande-Bretagne et de l’Italie. Le volontarisme et la loi du free collective bargaining caractérisent le système anglais alors que l’Italie expérimente depuis 1994 de nouvelles structures de représentation initiées par les organisations syndicales, les RSU (rappresentaza sindacale unitaria). Dès cette première section, les auteurs lèvent le voile sur ce qui est commun aux quatre pays : le rôle des représentants qui dépasse amplement celui prescrit par leurs cadres institutionnels respectifs.
La seconde partie, davantage analytique, fait état des points de convergence et de divergence entre les pays étudiés en regard des conditions d’exercice de la représentation au-delà des cadres institutionnels. L’ouvrage se penche d’abord sur les différences entre les systèmes de représentation au plan des structures nationales et des particularités qui les sous-tendent. Par la suite, une analyse plus poussée dévoile les écarts quant aux caractéristiques de la représentation locale. C’est d’ailleurs un des aspects qui confère à l’ouvrage son originalité. Trop souvent, les études comparatives se limitent à l’examen des structures nationales et à celui des formes institutionnelles, occultant ainsi la base d’une réelle comparaison internationale. L’angle d’analyse de Dufour et Hege privilégie une approche plus sociologique qui permet d’appréhender le rôle prépondérant des représentants et de circonscrire leurs relations avec leurs mandants. Cette activité de « représentation au quotidien » est au premier plan des situations représentatives et « constitue le fondement commun aux pratiques des représentants en même temps que la base de leur différenciation » (p. 15).
Dans le chapitre 5, les auteurs présentent le coeur de leur thèse selon laquelle une comparaison internationale réussie doit impérativement se distancier des institutions. C’est qu’il y a un écart considérable entre les pratiques réelles des représentants et ce qui leur est imposé par les structures institutionnelles. L’analyse permet de découvrir que l’acte de représentation au quotidien et les pratiques informelles constituent le socle de la représentation. Dufour et Hege soumettent ainsi au lecteur une analyse sociologique de la représentation. L’idée qui en découle est que la capacité représentative émerge des relations de nature sociologique tissées entre mandataires et mandants. Ce sont les niveaux d’intensité de ces relations qui expliquent les écarts de capacité représentative. Aussi, les auteurs soulignent que la corrélation forte entre la capacité représentative et l’efficacité représentative des équipes est tributaire de la capacité des représentants à entretenir des liens forts et durables avec leurs bases. Les enquêtes de terrain mettent en lumière que ces liens sont d’autant plus forts que les actes de représentation au quotidien sont présents.
Le chapitre subséquent, intéressant mais d’une complexité certaine, traite du rôle des groupes de salariés dans la structuration de l’action représentative. L’hypothèse est « que les relations sociales établies au sein du collectif salarié, acteur et destinataire de la représentation, sont décisives pour la capa-cité d’intervention des représentants » (p. 193). Ce faisant, les auteurs développent le concept de « groupes de noyaux identitaires », à la manière de Segrestin, qui justifie les écarts de capacité représentative. Ces noyaux identitaires favorisent la consolidation de liens forts au sein du collectif salarié en ce qu’ils constituent un espace de participation à la conscience collective. Force est de constater que l’unité et la cohésion du groupe façonnent un capital identitaire qui renforce la mise en oeuvre de l’acte représentatif.
Enfin, le dernier chapitre se concentre sur l’indispensable distanciation qui doit s’opérer entre les représentants et les demandes de leurs bases. Plus les équipes représentatives sont engagées dans la vie syndicale extérieure, plus elles sont fortes.
En somme, les clés de lecture de cette seconde section s’articulent autour de trois axes centraux et communs aux quatre pays : la représentation au quotidien comme fondement de la légitimité de la représentation, la cohésion du groupe mandant comme condition première de la validité de l’acte représentatif et la distanciation des représentants face aux enjeux locaux.
Le fil conducteur de l’ouvrage est évident autant en ce qui concerne les chapitres descriptifs que ceux d’analyse : les auteurs mettent à l’avant plan l’importance de la représentation au quotidien où celle-ci dépend davantage des acteurs que des règles. La prépondérance des acteurs en action au détriment des structures institutionnelles et organisationnelles constitue l’originalité du texte. Cet angle d’analyse favorise une compréhension aiguë de l’efficacité représentative. La lecture du livre offre en partie des réponses aux nombreux questionnements récents en regard des formes de syndicalisme à privilégier en vue d’assurer une représentation efficace aux travailleurs. Selon la thèse des auteurs, il appert que peu importe la structure ou les législations en place, ce qui confère une légitimité et une efficacité aux représentants se trouve en premier lieu au sein des actes représentatifs au quotidien entre mandants et mandataires.
Voici donc un ouvrage qui aborde l’étude de la représentation syndicale sous un regard nouveau, mais qui est difficilement accessible au lecteur non initié. Il constitue une contribution à l’avancement des connaissances en la matière et est d’un intérêt incontestable pour les chercheurs qui s’y intéressent.