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Cet ouvrage regroupe un certain nombre d’articles d’auteurs européens qui travaillent depuis plusieurs années sur le thème du temps de travail, de la réduction du temps de travail, des aménagements de temps de travail. Nombre d’entre eux ont participé au Séminaire international sur le temps de travail et plusieurs sont associés aux travaux du Wissenschaftszentrum Berlin Fur Sozialforschung (WZB), important centre de recherche de Berlin, où les travaux sur les « marchés transitionnels » ont pris naissance.
Comme pour tous les ouvrages collectifs, il n’y a pas toujours parfaite cohérence et correspondance entre tous les textes, mais comme plusieurs de ces auteurs ont mené des projets de recherche ensemble, participé aux travaux du SITT ou du WZB, il semble que la cohérence des perspectives soit plus forte que dans nombre d’ouvrages collectifs. De plus, les directeurs de l’ouvrage ont pris la peine d’écrire une bonne introduction collective à l’ouvrage, puis de présenter deux textes sur la théorie et la méthodologie, qui permettent de donner cohérence à l’ensemble.
L’introduction, rédigée par les trois directeurs de publication, présente le concept de marchés transitionnels, son utilité pour l’analyse de situations de travail liées à l’intégration, au maintien sur le marché du travail ou encore à l’exclusion. Différentes transitions ont été identifiées par Gunther Schmid, du WZB de Berlin, et sont ici reprises pour être analysées de façon quantitative (enquêtes nationales) et qualitatives (enquêtes de chercheurs) dans les chapitres qui suivront les trois chapitres introductifs. Ainsi, les auteurs présentent les transitions école-travail, chômage-emploi, non emploi-emploi et finalement la transition vers la retraite. Les auteurs qui suivront dans les chapitres ultérieurs traiteront de ces transitions dans divers pays, et des enseignements que l’on peut éventuellement en tirer. La flexibilité du temps de travail ressort comme un élément majeur des analyses, mais il n’est pas clair (pour moi en tout cas) en quoi l’utilisation du concept de marchés transitionnels apporte quelque chose de plus que l’analyse de la flexibilité interne-externe ou autres modes d’analyse de la flexibilité des temps de travail notamment. Les auteurs indiquent que cette approche ne se limite pas à la description, mais évalue aussi la qualité des arrangements, ainsi que la qualité des politiques qui favorisent l’intégration dans l’emploi salarié. En fait, les articles restent malgré tout assez descriptifs et je ne suis toujours pas convaincue, au terme de la lecture, de l’intérêt d’utiliser cette approche des marchés transitionnels, bien qu’elle ne soit pas sans intérêt. Les auteurs distinguent ici les transitions d’intégration, de maintien en emploi et d’exclusion. Les distinctions peuvent être utiles à l’analyse, mais ne me paraissent pas modifier considérablement la présentation des articles et les conclusions que l’on peut en tirer du point de vue théorique ou politique (politique de l’emploi ou du temps de travail notamment, ou encore normes du travail). Quoi qu’il en soit, le chapitre introductif joue certes bien le rôle d’intégrateur des différents articles qui suivront, même si l’on peut contester l’apport spécifique des trois modes de transition, ou des marchés transitionnels en général.
Dans le chapitre 2, les auteurs (Fagan et Lallement) soutiennent que la flexibilité du temps de travail marque une nouvelle phase de l’organisation du travail et de l’emploi dans les sociétés industrielles. Ils soutiennent aussi que cette flexibilité ouvre des avenues intéressantes pour l’intégration en emploi, particulièrement pour les personnes qui ne peuvent travailler des heures « normales ». Ils notent aussi que cette possibilité ouvre aussi la voie au maintien de la segmentation du marché du travail ou de la dualisation en « insiders » et « outsiders ». De fait, si l’on étudie le temps partiel en Amérique (Canada et États-Unis) ou encore davantage au Japon, on ne peut que noter l’important effet différentiateur de cette forme d’emploi. Certes, elle favorise l’intégration de certaines personnes, mais une intégration différenciée sur le marché du travail… La deuxième partie du texte défend malgré tout l’idée que les marchés transitionnels pourraient améliorer l’intégration sur le marché du travail et réduire l’exclusion sociale… Les auteurs proposent un programme de recherche à cet égard, et celui-ci serait certes utile, car pour le moment, cette proposition de marchés transitionnels comme source d’amélioration de l’intégration ne me paraît pas concluante, et elle ne le devient pas non plus à la lecture des textes qui suivent. Le texte de Fagan et Lallement est toutefois très riche et mérite d’être lu par tous ceux qui s’intéressent aux questions d’emploi, d’intégration et d’insertion sociale. Comme tous les autres textes de cet ouvrage, et peut-être davantage, il est accompagné d’une bibliographie très complète, source de lectures supplémentaires sur les marchés transitionnels et le temps de travail.
Le chapitre qui suit (Anxo et O’Reilly) est aussi très intéressant, traitant des régimes de temps de travail et de méthode permettant de faire des comparaisons internationales de statistiques nationales comme de politiques en ces matières de temps de travail. Les auteurs abordent d’abord la question de la réglementation du temps de travail et des difficultés qu’elle pose en termes de comparaisons. On trouve ici des tableaux incluant des comparaisons entre plusieurs pays européens simultanément, ce qui accroît l’intérêt pour le lecteur non européen. Les différentes modalités d’intervention en matière de temps de travail sont bien décrites et différenciées, le rôle variable des partenaires sociaux étant mis en évidence. L’environnement institutionnel est aussi mis en évidence comme source de différenciation entre les pays. Enfin, les auteurs abordent rapidement la question de la différenciation des temps de travail selon le sexe, et ici en particulier, il est clair que les comparaisons auraient été plus riches en incluant le Japon et les États-Unis notamment. Le chapitre est tout de même fort utile pour tous ceux qui souhaitent faire des comparaisons internationales.
Étant donné l’espace limité d’une recension, je ne détaillerai pas les contenus des autres chapitres, d’autant plus qu’ils présentent moins d’intérêt général pour les lecteurs non européens. Les chapitres traitant de la Suède sauront certes intéresser tous ceux que le « modèle suédois » a intéressé, mais particulièrement les éléments de ce modèle qui touchent les rôles parentaux et leur traduction dans les temps de travail et temps sociaux des parents. Les chapitres 4 et 8 présentent des comparaisons avec d’autres pays, comparaison statistique avec les Pays-Bas au chapitre 4 et comparaison qualitative des temps sociaux, modes de vie et transitions au chapitre 8. Différents chapitres traitent de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne, de l’Espagne, de la France, de l’Irlande et des Pays-Bas sous divers angles, mais on regrette un peu les comparaisons entre deux ou trois pays, qui résultent de projets de recherche précis, mais sont plus ou moins intéressantes pour les lecteurs, d’autant plus que les articles qualitatifs portent sur des secteurs d’activité donnés, dans des pays donnés.
Quoi qu’il en soit, les trois textes qui correspondent aux trois premiers chapitres sont certes ceux qui intéresseront davantage les lecteurs nord-américains. Par la suite, malheureusement, les articles se concentrent sur des comparaisons nationales limitées à l’Europe, et souvent limitées à deux pays par article, de sorte que ceux qui s’intéressent à ces pays pour des raisons particulières seront les lecteurs les plus probables. Une des critiques que l’on peut adresser à l’ouvrage est certes le fait qu’on ne comprend pas toujours bien pourquoi deux pays ont été comparés l’un à l’autre, et pas avec d’autres… Ce sont sans doute les sources de subventions et les collaborations entre auteurs qui l’expliquent, mais ceci ne suffit malheureusement pas à rendre la lecture des articles spécifiques sur chaque pays intéressante, sauf pour les lecteurs nationaux des pays en question. De plus, on regrette que les textes se limitent à l’Europe, puisque des comparaisons avec le Japon et les États-Unis (voire le Canada !) auraient certes accru l’intérêt pour un public international. La « fermeture » sur l’Europe réduit considérablement l’intérêt des comparaisons, d’autant plus que le Japon et les États-Unis présentent des cas de figure particulièrement intéressants, du point de vue notamment du rôle des femmes dans le temps partiel (et les marchés transitionnels, si l’on veut adopter cette terminologie) ; c’est d’autant plus dommage qu’il existe un bon nombre de chercheurs européens, et français notamment, qui ont travaillé sur le temps partiel des femmes au Japon, entre autres. Espérons que les chercheurs européens cesseront de se concentrer exclusivement sur les pays européens car si ceux-ci présentent une certaine diversité, on obtient une diversité sociétale et une analyse plus intéressante en intégrant d’autres contextes ; nous avons cité les États-Unis et le Japon, mais en matière de temps de travail et de marchés transitionnels, l’Amérique latine et l’Asie (Chine, Taiwan, Inde… ) présentent certes des cas intéressants et des problématiques intéressantes et nouvelles du point de vue de l’articulation des temps de travail et des temps sociaux.