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C’est une analyse prospective de la place des travailleurs et travailleuses vieillissantes au sein du marché de l’emploi du XXIe siècle que M. Sicker affirme présenter dans cet ouvrage. Cette analyse, à son avis, doit débuter par une remise en question des postulats de l’économie néolibérale. Il questionne, en effet, la place centrale accordée au concept idolâtré du marché en insistant sur le fait que, contrairement à la doxa néolibérale, l’environnement actuel dans lequel naviguent tant les entreprises que les individus qui sont sur le marché du travail, se caractérise davantage par son incertitude que par la possibilité de prendre des risques calculés. L’objectif de ce livre, souligne néanmoins l’auteur, homme d’action engagé, n’est pas tant de pourfendre une théorie économique qui juge les comportements de travailleurs vieillissants à partir de certains postulats erronés. Il s’agit plutôt de discuter des réalités et incertitudes auxquelles ceux-ci devront faire face au lieu de considérer que les travailleurs vieillissants choisissent volontairement une vie de loisir, lorsqu’ils refusent des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. Précisément à cause de ces incertitudes, il semble difficile d’envisager une analyse qui serait valable pour tout le XXIe siècle. Un titre un peu trop ambitieux donc.

Le livre se divise en treize chapitres plutôt brefs. La plupart traitent des transformations récentes du monde du travail et de l’emploi, envisagées sous différents angles. M. Sicker vise, souvent de façon polémique, à rétablir les faits et à documenter « le vrai monde du travail et de la retraite » dont il traite au début. Plusieurs chapitres portent sur les transformations de l’emploi et du monde des affaires américain ainsi que sur le déclin du paternalisme d’entreprise. Suivent plusieurs autres chapitres discutant des conséquences de ces changements sur la main-d’oeuvre : restructurations, compressions, salaire minimum, responsabilité des entreprises. L’ouvrage se termine par deux chapitres sur les politiques globales américaines pertinentes : celles qui ont trait à l’économie ainsi que celles concernant l’emploi. Une trop brève conclusion clôt le volume.

À la lumière du titre de l’ouvrage, le contenu est quelque peu décevant pour qui s’intéresse aux enjeux cruciaux que constitue le vieillissement de la main-d’oeuvre. L’auteur nous laisse sur notre appétit, ayant davantage à dire sur les transformations de l’économie et ses effets globaux sur la main-d’oeuvre que sur leurs conséquences spécifiques sur les travailleurs vieillissants. Ainsi, dans le chapitre sur la restructuration des emplois, qui accorde beaucoup d’importance, à juste titre, à la précarisation des emplois ainsi qu’à ses conséquences, il ne traite de la situation en regard des travailleurs vieillissants qu’au dernier paragraphe du chapitre. L’auteur y évoque l’importance de la qualité des emplois, qu’il réduit à la rémunération et aux avantages sociaux. Il est navrant qu’il ne dise mot sur le contenu du travail, les conditions de travail, ni sur les nouvelles modalités d’encadrement des salariés à travers lesquels se manifeste l’intensification du travail, aspects tout aussi cruciaux que la précarisation du statut d’emploi. Ce sont pourtant là des aspects majeurs des transformations du monde du travail qui affectent particulièrement les travailleurs vieillissants. Il nous présente également trop peu de données sur les caractéristiques particulières des travailleurs vieillissants, malgré l’existence de beaucoup de données récentes en langue anglaise à ce sujet.

Présentant un point de vue qui tranche avec l’approche habituelle de nombreux documents qui se penchent sur « les problèmes de la main-d’oeuvre vieillissante », l’ouvrage retient toutefois l’attention par la vigueur de son style et la conviction de l’auteur qu’il est crucial de maintenir en emploi les travailleurs vieillissants dans des conditions convenables. Sicker associe étroitement ce qui attend les travailleurs vieillissants avec les transformations du marché du travail ; point de vue tout à fait pertinent mais très rare. L’approche centrée sur les « problèmes particuliers » de cette catégorie de main-d’oeuvre, pour laquelle on envisage des mesures particulières ou antidiscriminatoires, sans les situer dans le dynamisme des mutations du monde du travail, est plus fréquente. La conclusion est cependant décevante. Aucune synthèse à la fin ne permet de refermer ce livre en ayant une vision claire des principales idées défendues par l’auteur.

Pour mener à bien ses démonstrations, Sicker a consulté une somme considérable de matériaux. Il fait preuve d’une bonne capacité d’analyse, mais demeure trop proche des variations conjoncturelles et est trop tributaire des analyses des auteurs qu’il cite abondamment. Il abuse des citations et même de citations de citations, souvent trop longues. Malgré sa connaissance d’autres sources, plus étoffées, Sicker s’alimente surtout à des sources journalistiques, rapidement désuètes (quotidiens, hebdomadaires, communiqués de presse) ainsi qu’à la littérature grise. Les exemples qu’il documente avec des statistiques deviennent rapidement répétitifs, faute d’un cadre d’analyse qui en dégagerait le sens plus nettement. Ses sources sont presque exclusivement américaines et datent surtout de 1995 à 1999. Un peu mince pour qui vise à écrire un ouvrage sur l’économie politique du XXIe siècle. Au terme de la lecture, ses objectifs politiques concernant les travailleurs vieillissants n’ont que l’allure de voeux pieux, faute de perspectives constructives et non seulement polémiques.

Auteur prolifique sur des sujets très variés, militant de l’American Association of Retired Persons (AARP), le plus important groupe de pression pour les personnes âgées aux États-Unis, qui fait beaucoup pour la reconnaissance du droit au travail et à l’emploi des personnes vieillissantes, Sicker nous offre un ouvrage de vulgarisation plutôt qu’une contribution scientifique inédite.

L’ouvrage demeure néanmoins une lecture intéressante pour des publics préoccupés par la question du maintien en emploi des travailleurs vieillissants, pour alimenter et développer des interventions collectives ou des choix personnels, mais d’un apport limité pour celles qui enseignent, étudient ou font de la recherche dans le domaine.