L’entreprise transnationale devient de plus en plus le porte-étendard des forces de la mondialisation. En produisant au moins 25 % du produit intérieur brut du globe et en comptant pour autant que les deux-tiers du commerce mondial, en employant au moins 75 millions de travailleurs (dont plus de la moitié vit à l’extérieur de leur pays d’origine) et en étant de plus en plus intégrée à des réseaux de production complexes et globaux, l’entreprise transnationale, dont la croissance spectaculaire et les tentacules s’étendent à tous les coins de la planète, soulève des questions clefs dans les domaines de l’organisation du travail et de la relation d’emploi en général. C’est particulièrement le cas en matière de législation du travail. Les lois nationales du travail doivent composer avec une tension fondamentale entre des réseaux globaux de production qui transcendent les frontières d’un pays et le fait que les succursales des entreprises transnationales soient intégrées à des territoires nationaux et soient assujetties aux lois de ces juridictions locales. Savoir comment atteindre les niveaux réels de prise de décision d’une entreprise devient alors une préoccupation particulière, a fortiori lorsque des décisions prises dans une partie du monde ont un impact sur les relations d’emploi dans des juridictions tout à fait différentes ailleurs dans le monde. Même si des décisions au plan des relations d’emploi peuvent être parfois « locales » de par leur nature, elles sont souvent transnationales. En empruntant des contributions traitant de ce même thème au Colloque de novembre 2000 organisé par la Société québécoise de droit du travail et de la sécurité sociale, dont nous devons remercier notre éditeur de RI/IR, Pierre Verge, pour son inspiration, ce numéro de RI/IR réunit deux tentatives importantes de systématisation de nos connaissances sur ce sujet. Dans un premier temps, Pierre Verge et Sophie Dufour centrent leur attention sur ce « dualisme contradictoire » entre des frontières nationales et des réalités internationales en vue de donner un aperçu de l’état actuel de la législation du travail eu égard à l’entreprise transnationale et d’en donner une appréciation. Même si le droit national manifeste toujours une incapacité à saisir ce caractère transfrontalier de l’entreprise transnationale, ils identifient certains domaines où la législation du travail arrive dans au moins une certaine mesure à transcender les frontières d’un pays et à encadrer les activités des entreprises transnationales. Dans un second temps, étant donné la nature inégalitaire du développement économique qui caractérise la politique économique internationale, la plupart des entreprises transnationales ont leurs sièges sociaux dans un nombre limité de pays ; il en est ainsi surtout aux États-Unis. Cette concentration des transnationales et la permissivité relative des cours américaines à l’endroit des recours collectifs incitent Lance Compa à évaluer à l’aide de la jurisprudence récente l’émergence d’une promotion des droits internationaux du travail dans les cours de justice aux États-Unis. En dépit des nombreux obstacles à la poursuite de tels recours dont on fait état dans cet article, Compa fait l’argumentaire pour ce type de stratégie judiciaire comme étant un moyen parmi plusieurs qui peut s’avérer efficace dans la promotion des droits des travailleurs dans l’économie mondiale. Ces deux articles dans leur ensemble mettent en évidence la fluidité actuelle du cadre de référence de la législation ouvrière et de son évolution probable vers un accommodement avec l’entreprise transnationale. Ils présentent également une démonstration convaincante de l’importance de la recherche qui s’intéresse à la fois au national et au transnational au plan de la conceptualisation et de l’analyse. Le troisième article de ce numéro, celui de Philippe Bernoux, un des leaders en France en théorie des organisations, est une …
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Gregor Murray
Directeur