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Titre provocateur, comme le fut la législation française en imposant à toutes les entreprises la réduction de la durée du travail hebdomadaire à 35 heures, et dont l’entrée en vigueur pour les petites entreprises de moins de 20 salariés pouvait être retardée jusqu’en janvier 2002. Mais plusieurs questions restaient en suspens pour l’application de cette législation — notamment, peut-on mesurer le temps de travail des cadres, et faut-il le distinguer de celui des autres employés ? Et dans ce cas, comment convient-il de le mesurer, de le définir, puis de le réduire ? Pour aborder ces problèmes, peut-on raisonner en termes de mission ou de forfait, comme cela est fait pour les gestionnaires, les commerçants ou les professionnels ? Comment mesurer la durée du travail des chercheurs qui réfléchissent à un nouveau produit ou procédé ? Ou des personnes qui n’ont pas de lieu de travail fixe ou de bureau et qui se déplacent d’un client à un autre ? Quelles sont les spécificités des cadres — concept difficilement traduisible dans d’autres langues car il recouvre des réalités très diverses ? En effet, si le diplôme caractérise en grande partie cette catégorie professionnelle, tous n’exercent pas de fonctions hiérarchiques. Par contre, où faut-il classer les agents de maîtrise qui font partie du personnel d’encadrement ? Quelle est en fait la place des cadres dans les entreprises et dans la société ?
Voilà une série de questions pertinentes que pose l’auteur de cet ouvrage, en essayant d’y apporter des éléments de réponse. D’abord, en montrant les difficultés qu’il y a à cerner la réalité de cette catégorie professionnelle et de ses fonctions, qui, en France, correspond à un statut social plus qu’à des fonctions. Ensuite, en examinant la situation des personnes qui occupent des fonctions d’encadrement, de gestion ou d’expertise dans cinq pays, notamment en Allemagne, aux États-Unis, aux Pays-Bas, en Espagne et en Grande-Bretagne.
La question de la durée du travail en général, en particulier concernant les cadres, se pose très différemment dans ces pays. Dans un premier groupe de pays, en Espagne, aux États-Unis et en Grande-Bretagne, la question ne se pose même pas. Dans ce dernier pays, qui a récemment intégré la directive européenne sur le temps de travail, le seul objectif en la matière est de limiter la semaine de travail à 48 heures, mais les contrats individuels peuvent toujours déroger à cette durée.
Dans les cinq pays étudiés, les règles en matière d’organisation et de durée de travail sont établies par voie contractuelle, soit par les conventions collectives soit par contrat individuel. Il n’y donc pas de législation sur le temps de travail des cadres et la durée varie en fonction des secteurs d’activité, des entreprises ou des contrats individuels.
Un constat : dans les entreprises qui ont fait l’objet de l’enquête, la majorité des « cadres » travaillent beaucoup, souvent au-delà de 45 heures hebdomadaires, mais avec des modalités de récupération (par exemple en Allemagne et aux Pays-Bas).
L’auteur constate la diversité des modèles et des règles selon les pays et les entreprises en matière de congés annuels, d’amplitude de travail dans la journée (en Espagne, par exemple, une pause longue de déjeuner et des durées différentes en été et en hiver), d’horaire variable (flexitime), très répandu en Allemagne. Une nouvelle pratique s’est instaurée aux Pays-Bas avec un système « à la carte » qui permet aux cadres de moduler leur durée de travail en optant, en contrepartie, pour une compensation pécuniaire sous forme de compte épargne-temps dans un fonds de pension (formule qui intéresse beaucoup la Belgique actuellement), pour du temps libre, de la formation ou des avantages en nature.
Dans les cinq pays on observe un faible développement du temps partiel pour les cadres. Ce qui tend à exclure les femmes des postes de responsabilité. Par contre, les rythmes du travail sont très différents — matinaux pour les Allemands, les Hollandais et les Américains — correspondant aux rythmes sociaux qui caractérisent les pays (activités associatives, loisirs des enfants, ou tradition des horaires de repas du soir — très tôt aux Pays-Bas, très tard en Espagne). Aux États-Unis, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, on a tendance à travailler en continu, presque sans interruption à midi, alors qu’en Espagne on prend une longue pause de déjeuner.
Mais pourquoi travaille-t-on tant ? Parmi les principales raisons relevées par l’auteur, je mentionnerai les suivantes :
L’évolution des marchés du travail avec une concurrence accrue parmi les cadres pour l’emploi en Grande-Bretagne et pour l’argent aux États-Unis.
L’accroissement de la charge de travail dû à la réduction du nombre d’échelons hiérarchiques et à une gestion « à effectifs tendus ».
Les effets de la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui incitent les entreprises à rendre les cadres disponibles à tout moment et à les pousser à traiter tout en « temps réel » (auxquels j’ajouterai les pressions des clients et des actionnaires, que l’auteur ne mentionne pas mais qui sont bien réelles).
L’évaluation individuelle de la performance et les récompenses qui l’accompagnent.
Et l’auteur de se demander si l’individualisation de la relation de travail, constatée ici et là, n’appelle pas à des modalités nouvelles, négociées individuellement ou collectivement, voire réglementées dans une logique unifiante.
L’ouvrage comporte une seconde partie qui examine plus en détail l’évolution dans les cinq pays. Toutefois, cette partie est moins cohérente que la première. Elle offre des éléments de portée générale sur les relations professionnelles, l’emploi et le temps de travail, qui dépassent la problématique visée, tout en offrant des exemples de la pratique des entreprises, y compris à l’égard des cadres, mais selon une grille moins systématique selon les pays.