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À l’initiative de la Centrale des syndicats démocratiques, Serge Tremblay réunissait un groupe de travail composé principalement de mesdames Jacqueline de Bruycker et Estelle Thibault et de messieurs Robert Auclair, Jean-Claude Dufresne et Noël Mallette afin d’élaborer ce guide pratique de rédaction de la convention collective. Il s’agit, au premier chef, d’un ouvrage devant faciliter l’énoncé français des dispositions conventionnelles. Un tel objectif est louable tant il s’impose et il est fort méritoire en raison même des défis qu’il soulève et provenant notamment :
de l’imprévisibilité des effets des modifications susceptibles d’être ainsi apportées à certaines dispositions conventionnelles et ce, tant pour les juristes que pour les gestionnaires ;
de la paresse intellectuelle des uns et de l’ignorance des autres, ce qui peutrendre fort difficile la tâche de convaincre bien des interlocuteurs d’abandonner des formules dont on peut connaître les défauts mais qui sont néanmoins retenues depuis fort longtemps et souvent reprises en bien d’autres conventions collectives ; de l’occasion qui peut être ainsi donnée à une partie d’apporter subrepticement quelques modifications qui lui seraient avantageuses ou qui lui permettraient d’alléger d’autant ses obligations actuelles.
Conscients de ces obstacles, les auteurs proposent, d’entrée de jeu, un projet d’entente entre les parties afin d’éviter de semblables effets pervers de cette opération (p. 135). Ce serait, en quelque sorte, une réponse préventive à ceux qui pourraient craindre le pire de l’aventure et éviter de l’entreprendre.
Au-delà de cette frilosité réelle ou tactique, le dessein de se doter d’un texte qui respecte la langue qui nous identifie demeure une démarche noble envers soi-même et les autres. De plus, si on admet que la langue circonscrit la pensée communiquée, il nous semble que l’usage d’un français épuré sinon allégé de ses scories ne pourrait que faciliter un énoncé précis et clair des normes conventionnelles. Il va de soi qu’un tel essai manifestant un souci conjoint de respect du français ne saurait constituer une certitude de qualité de contenu même de la convention collective. Par ailleurs, ces efforts peuvent permettre l’élimination à la source de multiples causes d’erreurs tant pour les gestionnaires que pour les salariés assujettis à la convention collective.
L’ouvrage est présenté selon un plan bien connu des praticiens et négociateurs de conventions collectives. Divisé en quinze sections de cinq à dix pages chacune, on y traite des droits et des obligations de l’employeur et du syndicat puis, de diverses conditions de travail : ancienneté, mouvements de main-d’oeuvre internes et externes, rémunération, congés, durée de travail, divers comités conjoints, etc. Ce guide dépasse le niveau de l’élégance et de la bonne formulation française. Au lieu et place de certains barbarismes, de calques anglais et d’expressions plus ou moins logiques que l’on identifie, les auteurs proposent des formules plus justes ou plus près de l’objet visé. Ainsi, ils nous font clairement voir la distinction entre les périodes d’essai, de familiarisation (p. 43) et de formation (p. 53) et proposent des définitions utiles et logiques du congédiement, du licenciement, de la mise à pied et du renvoi (p. 58).
Outre la préoccupation de la qualité du français, les auteurs touchent parfois le fonds de certaines conditions de travail. À titre d’exemples, on y retrouve quelques conseils spécifiques afin d’éviter la disparité de traitement (p. 23) ou pour favoriser les mises à pied au lieu d’imposer la réduction générale du temps du travail (p. 72). Il va de soi que certaines expressions retenues peuvent ne pas toujours être partagées par le lecteur. De telles discordances ne peuvent surprendre et elles nous semblent fort saines puisqu’il ne s’agit nullement d’un domaine où la vérité est unique, exclusive et évidente à priori au point de pouvoir être énoncée en un seul trait et provenir d’une même source. Nous éprouvons néanmoins une certaine gêne à l’égard de quelques expressions retenues :
« L’accréditation accordée » (p. 23) : selon l’article 21 du Code du travail, le syndicat y a droit à certaines conditions. Dès lors, il nous semble difficile d’affirmer que le commissaire accorde l’accréditation : il ne fait que vérifier l’existence des conditions acquisitives de ce droit et en donnerait acte.
« Poste non syndiqué » (p. 49) : certains salariés sont syndiqués et il existe des associations de salariés, mais nullement des syndicats de postes… !
« Indemnité de congé annuel » (p. 88) : est-ce vraiment une indemnité ou simplement une rémunération différée puisqu’elle s’acquiert en raison et proportionnellement au salaire direct gagné et à la durée du service continu !
« Unité de négociation » (p. 49 et 161) : ne s’agirait-il pas plutôt du groupe de salariés pour lequel un syndicat est accrédité et ce, d’autant plus que la négociation collective peut être réalisée à la fois, pour plusieurs unités d’accréditation (art. 2, 68, 111.8 C.t.).
Les situations retenues et les conseils données s’inspirent des lois du travail et parfois même, avec emphase. Ainsi, nous faudrait-il savoir l’intérêt des parties à la convention collective d’incorporer à leur texte et par voie de paraphrases certaines dispositions des lois. Nous croyons qu’il convient davantage de s’y référer simplement par renvoi ou à l’aide d’un bref rappel de leur contenu spécifique. Les auteurs de l’ouvrage semblent préférer le décalquage des articles pertinents des lois : les pages 86, 90, 110, 111 en sont des exemples. Ces doublets loi/convention ne sont pas nécessaires pour donner compétence à l’arbitre de grief et n’oblitèrent pas, ni ne modifient les obligations légales qui résultent de ces lois sauf s’il s’agit de dispositions facultatives ou supplétives que l’on transpose en règles impératives. Il nous paraît aussi superfétatoire de mentionner à la convention collective, comme le suggère les auteurs, que « L’arbitre possède tous les pouvoirs prévus au Code du travail » (p. 12). Le Code du travail nous paraît suffisamment explicite à ce même sujet. Nous soulignons cette problématique puisque de tels calques des lois sont nombreux en cet ouvrage (p. 21, 22, 122, 126).
Certaines expressions retenues ne nous semblent pas des plus heureuses et en donnons ces quelques exemples :
« Les personnes couvertes par le régime » (p. 100) : si telle est leur situation, il nous faudrait savoir les découvrir… ! On s’adresse certes aux salariés assujettis ou visés…
« Le salarié qui signe un document » (p. 117) : ce serait, en n’en point douter, celui qui appose sa signature en guise d’attestation de la réception d’un avis, d’un document, etc.
« Des lettres concernant des ententes » (p. 133) : suite à une entente, les parties ne peuvent-elles pas écrire plusieurs lettres à ce même sujet ? Il s’agit sans doute de lettres consignant l’entente !
Finalement, nous voulons souligner le lexique présenté en dernière partie de l’ouvrage. Cette nomenclature de près de cent noms ou expressions comprend les termes à éviter, ceux proposés et le tout est suivi, en chaque cas, de deux exemples : une fautive et l’autre correcte. La composition spécifique de ce lexique révèle bien qu’il s’agit de « trouvailles » dégagées directement de conventions collectives qui lient encore bien des parties et que ces dernières auraient tout intérêt à s’inspirer de ce lexique au cours de la rédaction de leurs propositions et contre-propositions à l’occasion de leur prochaine négociation collective. N’est-ce pas d’ailleurs à ce stade qu’il est plus facile d’améliorer la qualité de l’expression française de la convention collective en voie d’élaboration ou en pleine gestation ?
Au-delà de ces quelques remarques et nuances, nous demeurons convaincus que l’ouvrage peut aider les négociateurs et gestionnaires de conventions collectives à l’amélioration de l’expression française de leur oeuvre commune, la convention collective. Si cette dernière renferme des expressions françaises justes, il y a de fortes chances qu’elles soient par la suite aussi employée par les salariés, sans égard à leur statut hiérarchique. En ce sens et pour cette raison, ces auteurs font oeuvre utile et nous souhaitons que la relève pratique de ce même défi soit assumée par un grand nombre de lecteurs.