Abstracts
Summary
This is an attempt to formulate, at an early stage of a research project, some hypotheses on the relationship between the labor movement and political action.
Sommaire
Cet assai veut mettre en lumière, au stage initial d'un projet de recherches, quelques hypothèses sur les relations entre les mouvements ouvriers et l'action politique.
1—Dans le monde anglo-saxon, trois systèmes de pensée bien distincts se sont élaborés à propos de l'activité politique comme moyen d'action pour les groupements de travailleurs.
Pour Marx, l'action politique est l'arme fondamentale des classes laborieuses: c'est par elle, et par elle seule, qu'elles peuvent s'émanciper: toute organisation, en dehors du parti politique n'est conçue que dans le but de jeter les bases d'un groupement politique. La victoire, finale des classes laborieuses se concrétise par la conquête du pouvoir politique par le parti. H est donc évident que pour Marx, l'action politique prend de plus en plus d'importance dans les mouvements ouvriers.
Les Webbs, par un raisonnement différent, concluent dans le même sens que Marx.
Perlman, par contre, voit la chose d'un tout autre oeil. Les mouvements syndicaux, en prenant de l'ampleur et de la force, se libèrent des intellectuels qui ont été à leur origine. Ce faisant, pense Perlman, ils oublient les objectifs politiques et les buts de changement social que les intellectuels leur mettaient devant les yeux. En s'émancipant de la tutelle des intellectuels, les travailleurs fixent plutôt leur attention sur des objectifs immédiats et de portée économique. Le mouvement syndical se définit comme groupe de pression et non plus comme groupement politique.
On constate aisément une confusion des données « scientifiques » et « normatives » dans ces courants de pensée. Aussi est-il bon de clarifier le problème en définissant ce qu'on entend par «action politique ».
Selon nous, ce terme doit être réservé au travail des organisations en quête de solutions pour toute une gamme de problèmes. Par contre le groupe de pression pur et simple concentre son attention sur un petit nombre de buts. D'une part donc, la méthode s'appuie sur le contrôle administratif et la législation, d'autre part le groupe de pression s'appuie sur la force de la revendication collective.
Notre but est de suggérer quelques hypothèses qui peuvent aider à comprendre les divers dosages d'action politique et de revendication collective dont les différents mouvements syndicalistes font usage.
Sous peine d'être accusé d'ethnocentrisme, il nous faut rejeter l'hypothèse selon laquelle tout mouvement syndical mettra l'accent en dernier essor, sur leur pouvoir de réclamation collective; cela peut s'avérer véridique, par exemple dans le cas du syndicalisme américain. Cependant, l'action politique peut éventuellement prendre plus d'importance: nos hypothèses porteront sur les conditions dans lesquelles l'une ou l'autre méthode sera vraisemblablement plus efficacement employée.
MODÈLE THÉORIQUE
Pour les fins de l'analyse, nous utilisons les quatre variables suivantes:
Le développement économique;
Les changements d'objectifs dans le mouvement syndical; —Changement fondamental sur le marché du travail et enfin, changement dans la structure du mouvement syndical.
En bref, nous pouvons formuler les propositions suivantes:
Le progrès économique, i.e. l'industrialisation a amené des changements dans les objectifs des mouvements syndicaux: jusqu'ici, en règle à peu près générale, l'attention s'est portée du domaine socio-politico-culturel au domaine économique.
Souvent l'industrie prend naissance dans un milieu où la main-d'oeuvre non-qualifiée surabonde. Le pouvoir de revendication de tout mouvement syndical est, dans cette condition, pratiquement inexistant. Le choix pour le mouvement syndical est alors l'action politique ou la limitation de son organisation aux travailleurs qualifiés. L'absence ou la présence de motifs non-économiques communs à tous les travailleurs influencera fortement le choix dans un sens ou dans l'autre.
L'industrialisation se généralisant, le surplus de main-d'oeuvre est résorbé: les travailleurs moins qualifiés deviennent en l'occurence un affaiblissement pour le pouvoir de revendication des plus qualifiés. A ce stage, l'action politique semble toute indiquée: si, en tout cas, elle ne peut servir de substitut au pouvoir de revendication, elle peut être une préparation nécessaire à ce pouvoir effectif.
Il convient maintenant de développer ces hypothèses.
I Développement économique
Un coup d'oeil sur l'histoire suffirait pour nous montrer que l'industrialisation (avec ce qu'elle implique en termes de croissance des revenus, du niveau d'éducation, etc.) a entraîné des changements dans les objectifs des mouvements syndicaux. Suffrage universel, droit et opportunités de bénéficier de l'éducation, reconnaissance sociale du travailleur manuel sont autant d'objectifs des mouvements syndicalistes passés. A mesure que l'État assumait un rôle grandissant dans le domaine de l'éducation et de la sécurité sociale, les partis syndicaux laissaient ces objectifs économiques. C'est ce stage qui nous intéresse: pour fins de simplicité, nous supposerons que l'objet des revendications des travailleurs est le salaire.
Le salaire étant un prix, ses déterminants seront donc l'offre et la demande de travail. Le pouvoir d'une union résidera dans son habileté à influencer l'un ou l'autre des déterminants ou à fixer un prix différent de l'équilibre dans le cas où l'offre et la demande seraient fixées.
Vu que l'union a peu ou pas d'influence sur la demande de travail, son pouvoir d'action résidera dans le contrôle de l'offre de travail.
Or, dans la plupart des pays, en voie d'industrialisation, l'offre de travail excède la demande. C'est ce qu'on exprime en parlant de chômage voilé (situation fréquente en agriculture) ou de sous-emploi. Au niveau de salaires en vigueur, il existe encore une main-d'oeuvre disponible. Conséquemment, la main-d'oeuvre active peut augmenter sans qu'il n'y ait de hausse des salaires (en supposant que l'offre de travail est parfaitement élastique).
Ce surplus de main-d'oeuvre, à ce stade de l'industrialisation provient des conditions suivantes:
Surcroît du nombre des travailleurs dans l'agriculture (chômage voilé).
Mise à pieds des travailleurs dans la petite industrie pré-capitaliste.
Accroissement de population.
Immigration.
Avec cet excès de l'offre sur la demande, U semble bien que le mouvement ouvrier aura peu d'influence sur le taux des salaires, en tout cas pour ce qui concerne la main-d'oeuvre non-spécialisée.
Le cas est autre cependant en ce qui concerne les salaires des travailleurs qualifiés, dont l'offre est faible (dû au bas niveau d'éducation prévalant au début de l'ère capitaliste) et dont la demande est forte. Ici, le taux de salaires devrait s'accroître aisément sans même la pression d'un mouvement ouvrier.
Le mouvement ouvrier devra faire une option déterminante dans un tel contexte: appuyer les seuls ouvriers qualifiés ou tous les travailleurs. Dans le dernier cas, Us devront trouver des moyens de contrôler l'offre de travail en prévenant les migrations, le délaissement de la culture, etc.
En somme, un mouvement ouvrier limité à la main-d'oeuvre qualifiée met l'accent sur le pouvoir de revendication collective. Un mouvement incluant tous les ouvriers, ayant peu d'influence sur le marché, sera dépendant de sa force d'action politique par laquelle il peut contrôler l'accès au marché du travail et ainsi limiter l'offre, (ex.: par des lois sur l'immigration, tarifs agricoles, etc.)
II Changement sur le marché (l’offre) du travail
L'excès de l'offre sur la demande de travail peut être éliminé de façons suivantes:
Une formation de capital suffisante pour absorber le surcroît de main-d'oeuvre: avec la généralisation de l'industrialisation, ceci tend à se produire.
Les mouvements migratoires internes ou externes de lieux où l'offre est plus que suffisante vers des lieux où elle est insuffisante.
Aussitôt que la pression de l'offre excédentaire sur la demande, est enlevée, vraisemblablement les salaires vont commencer à s'élever. (La hausse de productivité permet cet accroissement de salaires.)
Dans cette situation, le pouvoir de revendication collective est un instrument efficace dans les mains des mouvements ouvriers.
III Changements des structures des mouvements ouvriers
Cependant, il serait trop facile de croire que la logique du développement économique conduit droit au paradis où l'action politique serait superflue au mouvement ouvrier dont le seul pouvoir de revendication suffirait à assurer ses objectifs.
En fait, le mouvement ouvrier subit aussi l'influence du développement économique. Avec l'émergence de la production en chaîne, un nouveau type de travailleur a fait son apparition: à mi-chemin entre le travailleur qualifié et le non-qualifié, il constitue la masse grandissante du monde ouvrier. D'une part, il a rendu plus facile l'ascension du travailleur non-qualifié qui, après un entraînement rapide, peut assumer des tâches, apanages des ouvriers qualifiés avant la mécanisation; d'autre part, il a rendu plus vagues, moins définies, les frontières entre les divers types de travail: la position monopolistique du travailleur qualifié s'en trouve affaiblie d'autant.
Les unions fortes modernes ne sont plus comme autrefois des associations de gens de même métier, mais se forment au plan de la grande usine.
Alors que les premières unions de métier s'appuyaient sur leur pouvoir de revendications, les unions modernes y ajoutent l'élan de l'action politique. La position des ouvriers semi-qualifiés (la masse des mouvements ouvriers) est plutôt précaire sur le marché vu qu'ils sont appelés à être remplacés rapidement et facilement; il en est ainsi pour le travailleur qualifié dans un monde où le niveau d'éducation s'élève rapidement. D'où, l'action politique s'ajoute au pouvoir de pression des unions ouvrières pour plus d'efficacité.
En conclusion, qu'il nous soit permis de donner quelques exemples selon les hypothèses de notre modèle.
La dualité de l'économie mexicaine pose un cas intéressant.
En dépit d'un taux de croissance rapide, le chômage y est très répandu: résultat de l'émergence récente de son passé féodal et colonial.
L'action politique est l'arme principale du mouvement ouvrier quoique le pouvoir de pression collective n'est pas sans efficacité. En donnant aux unions plein contrôle sur le marché (l'offre) du travail, le gouvernement s'assure un appui politique indispensable à son maintien. De façon subsidiaire, le pouvoir de pression entre donc en jeu.
Dans la plupart des pays sous-développés, il semble bien que la seule issue ouverte au succès du mouvement ouvrier soit l'action politique.
Voulant construire une économie selon les normes de l'industrialisation moderne, les pays sous-développés donnent naissance, à cette classe caractéristique de travailleurs semi-qualifiés. L'unionisme qui se veut efficace doit envisager l'action politique puisque le seul pouvoir de revendication collective ne peut endiguer l'offre excédentaire de travail.
Download the article in PDF to read it.
Download
Appendices
Note biographique
STURMTHAL, ADOLF, Professor, Institute of Labor and Industrial Relations, University of Illinois.