Abstracts
Summary
The author examines the evolution of the Catholic Social Doctrine on the Industry Council Plan. This paper, while general in outlook and scope, must be read in light of the fact that it was first presented as a communication at the Catholic Social Life Conference, Halifax, October 1961.
Sommaire
Un des points les plus importants de l'enseignement social de l'Église dans ce qui regarde la réforme des institutions est l'organisation d'une économie humaine. Les catholiques américains le présentaient sous le nom de Industry Council Plan, alors que chez nous on parlait de « corporatisme », « organisation corporative ». Et récemment, avec raison, on écarte ces appellations équivoques pour utiliser « démocratie organique ».
L'objet de ce travail est de voir a) l'évolution de la doctrine depuis Rerum Novarum jusqu'à Mater et Magistra; b» ce qui a été fait au Canada pour appliquer cette doctrine; c) ce qu'il faut faire soixante-dix ans après Rerum Novarum.
Le but principal de Rerum Novarum n'était pas la réorganisation de l'ordre social. Toutefois, dans le souci d'améliorer la condition des ouvriers dans un monde qui méprisait la dignité de l'homme, la valeur de son travail, la fonction sociale de la propriété et qui ne tenait pas compte des rapports entre la vie économique et la vie morale, Léon XIII a été amené à réfuter certaines erreurs de son temps et à établir certains principes fondamentaux pour la réalisation d'un ordre social basé sur la justice et la charité. Ces principes sont les suivants: a) les travailleurs ont le droit de s'associer; b) l'économie doit être ordonnée en vue du bien commun; c) l'État a l'obligation de ne pas rester étranger à la vie économique. A cette époque où la non-intervention de l'État était un dogme et où le syndicalisme ouvrier était soit prohibé par la loi dans bien des pays, soit considéré comme dangereux par beaucoup de gens bien-pensants, cette affirmation de principes a soulevé de l'enthousiasme parmi les classes laborieuses et de la surprise dans d'autres milieux sociaux.
Ces principes ont été repris et complétés par Pie XI dans l'encyclique Quadragesimo Anno, en 1931. Les conditions sociales et économiques avaient grandement changé depuis 1891. Dans son encyclique, Pie XI préconise une réorganisation de l'ordre social. Il clarifie la nature et la fonction des associations d'employeurs et des syndicats ouvriers; il condamne le libéralisme économique autant que le socialisme; il accorde un rôle positif à l'État dans les questions économiques tout en insistant sur la «fonction supplétive de l'État». Pour Pie XI, la reconstruction de l'ordre social nécessite la présence de corps intermédiaires mis sur pied par l'initiative des intéressés et non imposés par l'État. Enfin, ces groupements doivent coopérer entre eux d'une façon institutionnelle et être investis par la loi de pouvoirs qui leur donnent un caractère semi-public. Ce dernier point rappelle les « corporations » du Moyen Age, mais le pape dit qu'elles doivent être adaptées selon les lieux et les circonstances. C'est à partir de ces principes et de cette méthode d'organisation que les penseurs sociaux catholiques ont développé la doctrine du « corporatisme » ou des « Conseils industriels ». Le Pape Pie XII a souventes fois rappelé l'enseignement de son prédécesseur et a souligné la nécessité de donner à ces corps intermédiaires un caractère juridique.
On ne peut sous-estimer l'importance de la dernière encyclique Mater et Magistra sur cette question. Trente ans ont passé depuis Quadragesimo Anno. Le système économique, même dans le monde libre, a évolué et changé. Nous sommes en face du phénomène de la socialisation. Jean XXIII voit aussi bien les dangers que les avantages d'une socialisation toujours grandissante. En optimiste, il se refuse à rejeter la socialisation. Dans le but de l'humaniser et de la faire servir au bien commun, il veut qu'elle soit démocratique. Il intègre les principes de l'organisation professionnelle dans le processus de socialisation. Préoccupé par l'aspect pratique de la question, connaissant les discussions qui s'étaient élevées autour des formulations de Pie XI et de Pie XII, il se garde de préconiser une méthode particulière et même évite d'utiliser les mots « corporatisme », « organisation corporative ». C'est là une question de détail, car les principes restent les mêmes; mais c'est un détail important puisqu'il a contribué à nuire à l'expansion de la doctrine sociale de l'Église en cette matière. Aussi, sans apriorisme, sans nostalgie pour le passé, Jean XXIII ouvre les portes à toutes les formes de coopération institutionnelle entre les intéressés aux différents niveaux de production en insistant sur une organisation de l'économie qui tienne compte du bien commun national et international. L'État doit jouer un rôle positif, mais ce rôle, il doit le remplir dans le respect des autonomies légitimes et avec la participation de tous les groupes intéressés.
Au Canada, les catholiques ont reçu avec respect l'enseignement de l'Église en cette matière. Beaucoup d'études ont été entreprises et publiés en langue française, surtout durant la période précédant la dernière guerre. Malgré leur valeur indéniable sous certains aspects, on peut dire qu'en général elles étaient caractérisées par leur manque de réalisme, l'insuffisance de connaissances économiques et la présentation de modèles impossibles à appliquer dans le contexte de notre économie. On concevait l'organisation professionnelle comme une structure englobant toute l'économie et sanctionnée par la loi. C'était une vue statique de l'économie. On voulait la coopération entre les agents de l'économie alors que ces agents n'existaient même pas. Certains travaux cependant ont fait avancer la question. Mentionnons l'ouvrage « Syndicalisme et organisation professionnelle » publié par les Semaines sociales du Canada, en 1960. Quant à la littérature de langue anglaise publiée au Canada, elle est nulle. Le seul fait que l'on soit obligé d'utiliser uniquement les publications américaines (malgré les similitudes entre l'économie canadienne et celle de nos voisins) montre déjà assez comment les Canadiens de langue anglaise pouvaient être inadéquatement renseignés.
Les syndicats ouvriers, si l'on excepte la Confédération des Syndicats Nationaux, n'ont pas attaché beaucoup d'importance à cette doctrine. Toutefois, sans le savoir, ils ont été amenés à appliquer la doctrine sociale de l'Église en consacrant leurs efforts à créer et à consolider des instruments qui pourront être utilisés plus tard dans l'organisation de l'économie. Les employeurs, non plus, n'ont pas accordé beaucoup d'attention à la doctrine de l'Église. Plusieurs sont tellement imbus d'esprit individualiste qu'ils ne comprennent ni la nécessité ni les avantages à se grouper dans leurs associations. Il y a très peu de groupements d'employeurs qui négocient des conventions collectives. On peut même dire que les employeurs qui ont une certaine connaissance de la doctrine sociale de l'Église sont beaucoup plus enclins à ne retenir que les passages qui ont trait au droit de propriété, à la liberté d'entreprise et à l'initiative privée. Nos gouvernements, enfin, sont loin d'avoir favorisé l'organisation de la coopération entre les groupes intermédiaires au niveau de l'industrie et de l'économie nationale. On est resté au niveau de l'établissement et, encore, le droit d'association protégé par la loi depuis 1944 pour certaines catégories de travailleurs est complètement ignoré pour d'autres. Pendant la dernière guerre, cependant, le gouvernement fédéral a mis sur pied des organismes tripartites où étaient représentés les patrons, les syndicats et l'État. Comme la conviction n'était pas profonde, aussitôt la guerre terminé, la plupart de ces organismes ont disparu. Il en reste cependant quelques-uns, tant sur le plan national que sur le plan provincial.
La difficulté à appliquer la doctrine sociale de l'Église en ce qui concerne l'organisation de l'économie tient à une situation objective assez compliquée. Nous avons au Canada onze gouvernements qui ont juridiction en cette matière et ils ont encore beaucoup à apprendre pour coopérer entre eux. La majorité de nos syndicats ouvriers ne possèdent pas leur bureau-chef au Canada, mais aux États-Unis. Beaucoup de compagnies — et les plus importantes — sont seulement des filiales d'entreprises étrangères. Enfin, l'économie canadienne dépend pour une large part de celle des États-Unis.
Toutefois, il n'y a aucun doute que nous sommes engagés dans un mouvement irréversible vers une socialisation, qui entraîne une certaine planification. Nous pouvons accepter cette socialisation en restant aveugle et passif ou en être conscient et jouer un rôle actif. Nous n'avons pas de choix quant au mouvement lui-même. Tout ce que nous pouvons faire, c'est de fixer les objectifs, de choisir les moyens et de déterminer les agents d'exécution. Est-ce que cette socialisation sera effectuée d'une façon totalitaire ou bien sera-t-elle le résultat d'une coopération entre les intéressés à qui seront laissées les responsabilités qu'ils pourront assumer à différents niveaux? En somme, aurons-nous une démocratie économique ou une dictature totalitaire? L'idéologie qui dicte ces choix est d'importance capitale. La doctrine sociale de l'Église se présente à tous les hommes de bonne volonté qui croient encore à la dignité de la personne humaine et à la liberté. Il faut la faire connaître et la faire appliquer. C'est un travail de collaboration. D ne suffit pas seulement de connaître les principes, mais il faut aussi tenir compte de la réalité socio-économique telle qu'elle se présente dans notre milieux. On doit favoriser l'expansion des groupes intermédiaires: syndicalisme ouvriers, associations d'employeurs, groupements de cadres, groupements de professionnels.
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Appendices
Note biographique
DION, GÉRARD, L.Ph., L.Th., M.S.Sc., directeur du Département des relations industrielles et professeur à la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval de Québec.