Abstracts
Résumé
Notre article s’intéresse à la manière dont le dialogue social se transforme lorsque les échanges se déroulent en ligne. Jusqu’à très récemment, le dialogue social avait largement résisté aux appels de la numérisation. Cependant, avec la COVID-19, les rencontres en personne ont dû être remplacées par des interactions à distance. En raison de ce changement soudain, notre article propose d’examiner comment les rituels de dialogue social se transforment lorsque les interactions entre les employeurs et les syndicats deviennent virtuelles.
Pour mieux cerner cette problématique, nous mobilisons le cadre théorique développé par Goffman (1973) dans lequel le monde social est métaphoriquement comparé à un théâtre. Ainsi, nous proposons d’étudier l’évolution dramaturgique des relations entre les syndicats et les employeurs lorsque la scène et les coulisses du dialogue social se dématérialisent. Pour analyser empiriquement cette question, nous avons réalisé 23 entretiens avec des acteurs impliqués dans le dialogue social en France, dont 13 qui représentent la partie syndicale et 10 qui représentent la partie patronale.
Nos résultats mettent en évidence trois mécanismes qui, sur la scène, contribuent à l’étiolement de la dramaturgie du dialogue social : la perte du caractère théâtral des interventions syndicales, l’isolement des représentants des salariés et la désynchronisation de leurs interventions. Notre étude empirique souligne aussi comment, dans les coulisses du dialogue social, le passage au numérique se traduit globalement par un appauvrissement des échanges, à l’exception des relations basées sur des liens forts.
Fort de ces constats, notre article contribue à la littérature en postulant que les changements observés concourent à une perte de pouvoir pour la partie syndicale. En outre, derrière une pacification de façade des interactions patronales-syndicales, nous soulignons que la perte du caractère théâtral du dialogue social pourrait éloigner les acteurs d’une dynamique intégrative et les enfermer dans un mode plus distributif.
Précis
S’appuyant sur les écrits de Goffman, notre article s’intéresse à la manière dont le dialogue social évolue lorsque le théâtre des interactions entre syndicats et employeurs devient numérique, comme ce fut le cas à la suite de la pandémie de COVID-19. Se basant sur 23 entretiens, notre article met en évidence trois effets du numérique sur le jeu scénique des acteurs syndicaux : la perte du caractère théâtral des prises de parole, l’isolement des acteurs et la désynchronisation de leurs interventions. Notre étude conclut également à un appauvrissement global des échanges en coulisse. Cet article contribue à la littérature en montrant comment le mode à distance modifie les relations de pouvoir entre les syndicats et les employeurs ainsi que la nature même de leurs relations.
Mots-clés:
- Numérique,
- distanciel,
- Goffman,
- dialogue social,
- relations de travail,
- syndicat,
- Covid-19
Summary
Our article investigates how social dialogue is transformed when labour-management interactions occur online. Until very recently, social dialogue dominantly took place in physical spaces. However, with COVID-19, physical meetings suddenly had to be replaced by remote interactions. Our article then proposes to investigate how social dialogue rituals are being transformed when labour-management interactions become virtual.
To tackle this question, we build upon Goffman’s writings (1973), in which social interactions are metaphorically compared to a theatre piece. Hence, we propose to study how the dramaturgy of labour-management interactions evolve, when both the stage and the backstage of social dialogue become virtual. To empirically analyse this question, we conducted 23 interviews with actors involved in social dialogue in France, 13 of whom represent the labour side and 10 the management side.
Our results highlight three mechanisms contributing to the erosion of the social dialogue dramaturgy on stage: the de-theatricalisation of unions’ interventions, the isolation of employee representatives and the desynchronisation of their interventions. Secondly, our study underlines how backstage interactions are impoverished - with the exception of these based on strong ties.
Based on these findings, our article contributes to the literature by assuming that social dialogue digitalization results in a power loss for the trade unions. Secondly, behind the apparent pacification of labour-management interactions, we point out that the de-theatricalisation of social dialogue could move the actors away from an integrative dynamic and lock them into a more distributive mode.
Abstract
Drawing on Goffman's writings, our article looks at how social dialogue evolves when the theater of interactions between unions and employers becomes digital, as was the case following the COVID-19 pandemic. Based on 23 interviews, our article highlights three effects of digital technology on the stage play of union actors: the loss of the theatrical character of speech, the isolation of actors and the desynchronization of their interventions. Our study also concludes that there is an overall impoverishment of backstage exchanges. This article contributes to the literature by showing how the remote mode modifies the power relations between unions and employers as well as the very nature of their relations.
Keywords:
- Digital,
- remote work,
- telework,
- WFH,
- Goffman,
- Social Dialog,
- Labor Relations,
- Union,
- Covid-19
Appendices
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