Volume 53, Special Issue, 2023 L’Observatoire pluridisciplinaire sur le devenir du droit privé : retour sur les décisions phares qui ont marqué sa première année d’existence
Table of contents (7 articles)
Ward c Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse)
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La dignité à l’arrière-scène de l’affaire Ward : conception et mécanismes de protection du droit à la sauvegarde de la dignité
Mariève Lacroix and Isabelle Martin
pp. 11–40
AbstractFR:
Prenant appui sur une action particulière en discrimination, dans l’affaire Ward c Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) dont le jugement a été rendu en 2021 par la Cour suprême du Canada, les autrices évaluent les implications de la conception objective de la dignité mise de l’avant par la majorité de la Cour. De façon complémentaire, les autrices prennent cet arrêt pour prétexte afin de cibler des mécanismes de protection, en droit civil, en matière de transgression des droits fondamentaux de la personne.
EN:
Based on a specific discrimination case, Ward v Quebec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), handed down in 2021 by the Supreme Court of Canada, the authors assess the implications of the objective conception of dignity put forward by the majority of the Court. In addition, the authors use this decision as a starting point for examining civil law protection mechanisms for violations of fundamental human rights.
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Conflit de valeurs entre liberté d’expression et droit à l’égale dignité : réflexions autour de l’arrêt Ward
David Robitaille
pp. 41–82
AbstractFR:
Dans l’arrêt Ward c Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, la Cour suprême du Canada a tranché une question difficile et délicate : où tracer la ligne entre la liberté d’expression, d’une part, et, d’autre part, les droits à la dignité et à l’égale dignité? Une majorité de cinq juges a reconnu le droit de l’humoriste Mike Ward, dans le cadre d’une démarche artistique expressive, de rire publiquement du handicap avec lequel vit Jérémy Gabriel, encore enfant au moment des faits en litige. Ainsi, sauf de rares exceptions, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec n’a pas pour objet et ne devrait pas avoir pour effet d’encourager la censure. Pour les quatre juges dissidents, les blagues litigieuses de l’humoriste constituaient plutôt de la discrimination, fondée sur le handicap, dans l’exercice du droit à la dignité, contraire aux articles 4 et 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Il ne s’agirait donc pas d’un litige portant principalement sur la liberté d’expression, mais d’une affaire mettant en cause le droit à la non-discrimination d’un enfant handicapé et vulnérable. Ce texte vise à s’interroger sur les fondements, explicites et implicites, des motifs majoritaires et dissidents dans cet arrêt, sur les « jugements de valeur » effectués par les juges, et à les situer plus largement au regard de la structure et de la portée des droits à la dignité, à l’égalité et à la libre expression garantis par la Charte québécoise.
EN:
In Ward v Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, the Supreme Court of Canada decided on a difficult and sensitive issue: where to draw the line between freedom of expression and the right to dignity and equality? A majority of five judges recognized the right of comedian Mike Ward, as part of an expressive artistic process, to publicly laugh at the disability faced by Jérémy Gabriel, who was still a child at the time of the events at issue. Thus, with rare exceptions, the Quebec Charter of Human Rights and Freedoms is not intended to and should not have the effect of encouraging censorship. Rather, the four dissenting judges found that the comedian’s impugned jokes constituted discrimination based on disability, in the exercise of the right to dignity, contrary to sections 4 and 10 of the Quebec Charter of Human Rights and Freedoms. Therefore, this was not primarily a dispute about freedom of expression, but a case involving the right to non-discrimination of a disabled and vulnerable child. The purpose of this paper is to examine the basis, both explicit and implicit, of the majority and dissenting reasons in this case, the “value judgments” made by the judges, and to situate them more broadly in relation to the structure and scope of the rights to dignity, equality and free expression guaranteed in the Quebec Charter.
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Le droit à l’égalité après l’arrêt Ward : lumière sur les conséquences moins visibles de ce jugement
Stéphanie Fournier, Geneviève St-Laurent and Lysiane Clément-Major
pp. 83–132
AbstractFR:
La décision Ward a mis en lumière la difficile conciliation entre la liberté d’expression d’un humoriste et la sauvegarde de la dignité en pleine égalité d’un jeune enfant handicapé. La conclusion de cette saga judiciaire est toutefois venue avec un lourd prix à payer pour le droit à l’égalité. Le recadrage juridique imposé par la Cour suprême du Canada, par l’entremise des moyens choisis pour trancher ce litige, est de nature à fragiliser le droit à l’égalité énoncé à l’article 10 de la Charte québécoise. L’arrêt remet en question des principes phares de la protection contre la discrimination et importe dans notre droit de nouveaux éléments inattendus qui sont de nature à amoindrir la protection accordée au droit à l’égalité dans d’autres contextes. C’est sur ces conséquences moins visibles du jugement que porte ce texte.
EN:
The Ward case highlighted the difficult balancing between a humourist’s freedom of speech and the right of a disabled child to the safeguard of his dignity in full equality. However, the conclusion of this judicial saga came with a heavy price to pay for the right to equality. The legal reframing imposed by the Supreme Court of Canada to resolve this dispute is likely to undermine the right to equality set out in section 10 of the Quebec Charter. The decision calls into question key principles of protection against discrimination and introduces in our law unexpected new elements that are likely to undermine the protection afforded to the right to equality in other contexts. It is on these less visible consequences of the judgment that we wish to focus.
FN c Epic Games Canada
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Libres propos sur le jugement d’autorisation FN c Epic Games Canada : la dépendance au jeu vidéo, un risque (in)connu ?
Laura Rizko
pp. 133–168
AbstractFR:
Le 7 décembre 2022, la Cour supérieure a autorisé l’action collective intentée par les parents de trois enfants mineurs contre la société américaine Epic Games inc, sa filiale canadienne Epic Games Canada ULC, ainsi qu’Epic Games International. Il est admis que ces dernières ont développé, fabriqué, publié, mis en marché et commercialisé le jeu vidéo Fortnite Battle Royale. Les demandeurs allèguent que ce jeu populaire et gratuit crée une dépendance qui peut engendrer des conséquences néfastes pour la santé de ses utilisateurs. La réclamation des demandeurs est fondée sur la responsabilité extracontractuelle du fabricant pour le fait d’un bien qui comporterait un défaut de sécurité. Ce litige soulève la question de l’étendue de l’obligation de renseignement du fabricant quant aux risques et dangers liés au jeu vidéo. Cet article se déclinera en deux parties. En premier lieu, nous nous pencherons sur le véhicule procédural (l’action collective) et ses points de convergence avec le droit substantif (la responsabilité civile). Nous discuterons également de l’application des critères d’autorisation en considérant la preuve présentée par les demandeurs. En deuxième lieu, un survol des décisions phares de la Cour d’appel nous permettra de définir le sens juridique et scientifique des expressions au coeur de ce dossier. Nous brosserons par la suite un portrait du régime extracontractuel pour le défaut de sécurité d’un bien en posant un regard critique sur la responsabilité potentielle du fabricant à l’égard de la dépendance qui découle de l’utilisation du jeu vidéo.
EN:
On December 7, 2022, the Superior Court authorized the class action brought forward by the parents of three minor children against the American company Epic Games Inc, its Canadian subsidiary Epic Games Canada ULC and Epic Games International whom admittedly developed, manufactured, published and brought to market the video game Fortnite Battle Royale. The plaintiffs allege that this popular and free game is addictive and may result in adverse health consequences for users. The plaintiffs’ claim is based on the manufacturer’s extracontractual liability for a product which they allege has a safety defect. This dispute raises the issue of the scope of the manufacturer’s duty to inform users of the video game’s risks and dangers. This article will be divided into two parts. First, we will take a closer look at the procedural vehicle (class action) and its points of convergence with substantive law (civil liability). We will also address the authorization criteria considering the evidence presented by applicants. Second, considering landmark judgments rendered by the Court of Appeal, we will define the legal and scientific meaning of the expressions at the core of this case. We will then offer an overview of the extracontractual scheme for a safety defect by adopting a critical view of the manufacturer’s potential liability for video game addiction.
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Fin de la partie pour les Dark Patterns ? Étude des stratégies et outils employés par les acteurs du milieu et les autorités publiques pour lutter contre les Dark Patterns dans les jeux vidéo
Thomas Burelli, Marie Dykukha and Haoran Liu
pp. 169–226
AbstractFR:
Depuis les années 1970, le marché des jeux vidéo considérablement a évolué. Il a notamment vu l’émergence de nouveaux modèles d’exploitation et de monétisation au cours des années 2000. Selon les nouveaux modèles d’exploitation, les jeux vidéo sont considérés comme un service et non plus comme un produit vendu aux consommateurs une fois pour toutes. Les studios ayant adopté ces nouveaux modèles d’exploitation des jeux vidéo ont mis au point diverses stratégies — qualifiées par les auteurs de Dark Patterns — visant à maximiser l’engagement des joueurs et leurs dépenses dans les jeux. Quelques études récentes ont commencé à établir un lien entre les Dark Patterns et des effets psychiques et physiques délétères chez les joueurs. Ils peuvent notamment les conduire à perdre le contrôle du temps consacré à la pratique des jeux vidéo, ainsi que de leurs dépenses. Face à l’usage de ces Dark Patterns dans les jeux vidéo et leurs effets auprès des joueurs, il est important de se demander dans quelle mesure ce phénomène est pris au sérieux par les acteurs de l’industrie et les autorités publiques. Ont-ils conscience de ce phénomène et, le cas échéant, que font-ils pour lutter contre la présence et les effets des Dark Patterns dans les jeux vidéo? Pour répondre à ces questions, nous nous intéresserons d’abord aux pratiques des acteurs de l’industrie des jeux vidéo. Nous étudierons dans cette contribution l’utilisation de ces Dark Patterns et des mesures de régulation mises en place par les acteurs de l’industrie, le cas échéant. Dans un second temps, nous nous intéresserons aux stratégies et aux mesures adoptées par les autorités publiques dans les plus grands marchés de jeux vidéo à travers le monde, soit les États-Unis, l’Union européenne, la Chine, la Corée et le Japon. Nous verrons que diverses stratégies plus ou moins globalisées et plus ou plus moins coercitives sont aujourd’hui déployées pour lutter contre l’usage des Dark Patterns dans les jeux vidéo.
EN:
The video games market has evolved considerably since the 1970s. In particular, new business and monetization models emerged in the 2000s. Under the new business models, video games are seen as a service rather than a product sold to consumers once and for all. The studios that have adopted these new business models for video games have developed various strategies—described by authors as Dark Patterns—aimed at maximizing player engagement and spending in the game. A number of recent studies have begun to establish a link between Dark Patterns and deleterious psychological and physical effects on gamers. In particular, they can lead gamers to lose control of the time they spend playing video games and of the money they spend. Faced with the use of these Dark Patterns in video games and their effects on gamers, it is important to ask to what extent this phenomenon is taken seriously by industry players and public authorities. Are they aware of this phenomenon and, if so, what are they doing to combat the presence and effects of Dark Patterns in video games? To answer these questions, we will first look at the practices of players in the video games industry. In this contribution, we will study the use of Dark Patterns and regulatory measures put in place by industry players. We will then look at the strategies and measures adopted by the public authorities in the world’s largest video game markets, namely the United States, the European Union, China, Korea and Japan. We will see that various strategies are currently being deployed to combat the use of Dark Patterns in video games.
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Les comportements toxiques dans les jeux vidéo en ligne : quelles réponses normatives de la part des autorités publiques et des acteurs du milieu ?
Thomas Burelli and Joseph Alexandre Bardawil
pp. 227–284
AbstractFR:
Très souvent caricaturés comme une activité solitaire, les jeux vidéo peuvent au contraire être, dans bien des cas, de formidables catalyseurs d’interactions sociales. C’est le cas en particulier des jeux en ligne qui encouragent les relations sociales entre les joueurs en en faisant parfois un élément essentiel de leur gameplay et de l’expérience vidéoludique. Toutefois, le revers de la médaille de ces jeux en ligne s’appuyant sur des interactions entre les joueurs ou permettant celles-ci réside dans le fait que certains d’entre eux peuvent abuser de ces fonctionnalités et adopter ce qui est communément appelé des comportements toxiques. Il s’agit, par exemple, d’insultes, de menaces ou encore de comportements antisportifs durant les parties. Ces comportements peuvent également être préjudiciables aux éditeurs de jeux et aux plateformes de jeu en ligne puisqu’ils peuvent porter atteinte à leur réputation et encourager certains joueurs à stopper leur pratique. Ceci peut alors se traduire en une perte de revenus pour ces acteurs. Dans ce contexte, nous nous interrogerons sur les manières dont les autorités publiques, dans les principaux marchés des jeux vidéo à travers le monde, et les plateformes de jeu en ligne se positionnent face à ces comportements toxiques. Cette problématique est-elle prise au sérieux? Si oui, pour quelles raisons et quelles sont les mesures mises en oeuvre? De manière plus générale, quelles sont les tendances actuelles en matière de lutte contre les comportements toxiques en ligne?
EN:
Very often caricatured as a solitary activity, video games can, on the contrary, in many cases be formidable catalysts for social interaction. This is particularly true of online games, which encourage social interactions between players, sometimes making these interactions an essential part of the gameplay and the video game experience. However, the downside of online games that rely on or enable interaction between players is that some players may abuse these features and adopt what is commonly referred to as toxic behaviour. Examples include insults, threats and unsportsmanlike behaviour during games. Such behaviour can also be detrimental to game publishers and online gaming platforms, as it can damage their reputation and encourage some players to stop playing. This can result in a loss of revenue for these online gaming platforms. In this context, we will be looking at the ways in which the public authorities in the main video game markets around the world and online gaming platforms are dealing with this toxic behaviour. Is this issue taken seriously? If so, what measures have been implemented and why? More generally, what are the current trends in the fight against toxic online behaviour?