Volume 52, Special Issue, 2022 Hommage posthume au professeur émérite Alain-François Bisson
Table of contents (7 articles)
Articles
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Introduction
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Sécurité alimentaire, souveraineté et démocratie : les avancées d’un programme de recherche sous l’oeil d’Alain-François Bisson
François Collart Dutilleul
pp. 9–28
AbstractFR:
Alain-François Bisson a accompagné le programme de recherche Lascaux sur l’élaboration d’un droit de la sécurité alimentaire, dans un contexte de souveraineté et de démocratie. Le programme avait un premier objectif qui était de mettre en lumière le rôle du droit dans la garantie de la sécurité alimentaire à l’échelle mondiale. Il avait un second objectif qui était de rechercher les moyens juridiques d’établir une souveraineté alimentaire à une échelle nationale et infranationale. Cela conduisait à considérer le droit de la sécurité alimentaire à la fois quant à sa dimension internationale et quant à sa mise en oeuvre dans les collectivités territoriales.
EN:
Alain-François Bisson accompanied the Lascaux research program on the development of a food security law, in a context of sovereignty and democracy. The first objective of the program was to highlight the role of law in ensuring global food security. The second objective was to seek legal means to establish food sovereignty on a national and sub-national scale. This led to considering food security law both in terms of its international dimension and its implementation in local and regional authorities.
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L’article 15 de la Charte canadienne et les distributions trop limitées : la revanche d’Aristote (redux, vf)
Charles-Maxime Panaccio
pp. 29–78
AbstractFR:
L’auteur de ce texte s’adonne d’abord à quelques réminiscences concernant le regretté professeur Alain-François Bisson. L’auteur y rappelle notamment un article qu’il avait publié, sous forme de dialogue platonique entre un juriste expérimenté et son jeune collègue, au sujet de l’usage parfois douteux que font les juges de la Cour suprême du Canada des propos des philosophes et, plus particulièrement, du traitement fâcheux réservé à Aristote dans la discussion de la notion d’égalité dans Andrews (1989). Continuant dans le sillon du professeur Bisson, l’auteur soutient que le rejet par la Cour suprême d’une interprétation de l’article 15 de la Charte canadienne fondée sur l’existence d’une situation similaire est à la fois ironique et erroné. Ironique, parce que depuis l’arrêt Andrews (1989) jusqu’à Québec c A (2013), dans toutes les affaires où les demandeurs ont eu gain de cause, la Cour a utilisé une telle approche. Elle n’a pas appliqué la version légaliste de cette approche, discréditée à juste titre, mais plutôt une version morale substantielle, qui exige que les personnes obtiennent des avantages juridiques égaux lorsqu’un tel résultat est prescrit par le raisonnement moral. L’auteur avance aussi que cette doctrine du droit à l’égalité et à la non-discrimination (baptisée « doctrine des distributions trop limitées ») est attrayante, moralement et dans la pratique, et correspond au rôle de la magistrature en tant que gardienne d’une « culture de justification » en droit public canadien. En fait, il se peut fort bien que ce soit là la doctrine prééminente de l’« égalité réelle » en vertu de l’article 15(1), et de ne pas la reconnaître comme telle a été source de nombreuses errances.
Dans un premier temps, l’auteur explique les éléments de la doctrine des distributions trop limitées et montre qu’elle est inhérente à la jurisprudence relative à l’article 15. Il traite ensuite de son adéquation en tant que doctrine judiciaire. Enfin, il examine ses répercussions interprétatives quant à la notion de « motifs analogues de discrimination » et quant au rôle de l’article premier. Les plus récentes décisions de la Cour suprême sur l’article 15 (Alliance (2018), Fraser (2020) et Sharma (2022)) et leur signification en lien avec la doctrine des distributions trop étroites sont discutées dans une coda.
EN:
This paper begins with a few reminiscences about the much-missed Professor Alain-François Bisson. In particular, it recalls an article the author had published, in the form of a Platonic dialogue between an older professor and his younger colleague, in which the first questioned the sometimes-dubious uses of philosophers made by the Supreme Court of Canada and, more particularly, the shabby treatment offered to Aristotle in the discussion of the idea of equality in Andrews (1989). Following in Professor Bisson’s wake, the author argues that the Supreme Court’s rejection of a similarly-situated approach to section 15(1) is ironic as well as mistaken. It is ironic because from Andrews (1989) to Quebec v A (2013), in every successful section 15(1) case, the Court has in fact been using such an approach. Not its rightly discredited legalistic version, of course, but a substantive, moral version, which requires that persons get equal legal benefits when this is compelled by moral reasoning. It is further argued that this doctrine of equality and non-discrimination (which is called “distributive underinclusiveness”) is attractive, morally and practically, and fits the judiciary’s role as the guardian of a “culture of justification” in Canadian public law. Indeed, it may well be the preeminent doctrine of “substantive equality” under section 15(1), and the failure to acknowledge it has been a source of many wanderings.
The paper begins by explaining the elements of distributive underinclusiveness and showing its immanence in the section 15(1) case law. It then addresses its fitness as a judicial doctrine. Finally, it discusses its interpretive implications as to the notion of “analogous grounds of discrimination” and to the role of section 1. The Supreme Court’s most recent decisions on section 15 (Alliance (2018), Fraser (2020) and Sharma (2022)) and their significance for the doctrine of distributive underinclusiveness are discussed in a coda.
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La rhétorique du vide juridique
Vincent Caron
pp. 79–111
AbstractFR:
Alors que la notion de vide juridique est employée par plusieurs juristes, son origine exacte demeure inconnue. Selon les auteurs, de nombreux scénarios sont susceptibles de causer un vide juridique. À l’instar de l’univers en expansion, l’utilisation du vide juridique est en progression chez les juristes, lesquels en usent à différentes fins. À ce sujet, le vide juridique s’avère une notion fourre-tout faisant dorénavant partie de l’imaginaire collectif.
EN:
While the notion of a legal vacuum is used by many jurists, its exact origin remains unknown. Depending on the authors, different scenarios are likely to cause a legal vacuum. Like the expanding universe, the use of the legal void is on the rise among jurists, who employ the notion for a variety of purposes. In this respect, the legal void is a catch-all concept that has become part of the collective imagination.
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Les règles d’interprétation bijuridique favorisent-elles l’émergence d’un dialogue transsystémique entre le droit civil et la common law ?
Yan Campagnolo and Catherine Valcke
pp. 113–153
AbstractFR:
En adoptant les articles 8.1 et 8.2 de la Loi d’interprétation, le Canada s’est doté d’une politique d’harmonisation juridique unique au monde, laquelle vise à coordonner son droit fédéral avec la tradition civiliste du Québec et celle de common law des autres provinces. Le présent article entend clarifier et démontrer le bien-fondé de la politique d’harmonisation juridique canadienne. Les auteurs proposent d’abord un cadre d’analyse pour faciliter l’application des articles 8.1 et 8.2 par les tribunaux. Ils répondent ensuite à la critique selon laquelle ces dispositions auraient pour effet de cloisonner le droit civil et la common law dans leurs territoires respectifs, empêchant ainsi toute forme de dialogue entre eux. Les auteurs répondent à cette critique en soulignant que les articles 8.1 et 8.2 — bien qu’ils reposent sur une séparation des traditions juridiques pour préserver leur intégrité — disposent d’un potentiel dialogique indéniable. Ce potentiel se manifeste tout particulièrement lorsque les juges débattent, en les comparant, de la portée de notions équivalentes de droit civil et de common law dans leurs motifs de jugement et lorsque le législateur fédéral s’appuie à la fois sur les traditions de droit civil et de common law en vue d’élaborer une règle métissée d’application uniforme à l’échelle pancanadienne. Les auteurs concluent que le professeur Alain-François Bisson aurait vraisemblablement partagé cette vision du bijuridisme canadien et des dispositions en cause.
EN:
In enacting sections 8.1 and 8.2 of the Interpretation Act, Canada instituted a legal harmonization policy that is unique in the world. The policy’s goal is to coordinate the country’s federal law with the civilian tradition in Quebec and the common law system of the other provinces. This article clarifies and demonstrates the soundness of Canada’s legal harmonization policy. The authors first propose an analytical framework to facilitate the courts’ application of sections 8.1 and 8.2. They then respond to the critique that sections 8.1 and 8.2 seal the common law and the civil law inside their respective geographic boundaries, preventing any dialogue between them. The authors respond by pointing out that, although sections 8.1 and 8.2 separate the two legal traditions in order to preserve their integrity, these provisions contain an undeniable potential for dialogue. This potential is particularly evident when judges debate the scope of equivalent common law and civil law concepts by comparing them in their reasons for judgment and when Parliament makes use of both the common law and the civil law to develop hybrid rules that apply uniformly across Canada. The authors conclude that Alain-François Bisson in all likelihood shared this vision of Canadian bijuralism and the provisions in question.
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L’écriture juridique autochtone : manifestation et gestion du pluralisme juridique
Vicky Sabourin and Ghislain Otis
pp. 155–194
AbstractFR:
S’appuyant sur trois études de cas réalisées avec des partenaires autochtones, cet article montre que le choix par un peuple autochtone de recourir à l’écriture juridique peut constituer à la fois une manifestation forte du pluralisme juridique et une démarche de gestion de ce pluralisme, c’est-à-dire un moyen de prendre acte de la coexistence concurrentielle des systèmes juridiques autochtone et étatique et d’en tirer des conséquences aux fins de la normativité autochtone.
L’originalité des cas étudiés réside dans le fait qu’ils donnent à voir une écriture juridique par et pour un peuple autochtone, en marge du droit officiel, ce qui exprime fortement la réalité du pluralisme juridique. L’examen des cas à l’étude par l’entremise de la théorie de la gestion du pluralisme juridique fera notamment ressortir le fait que les opérateurs des systèmes juridiques autochtones mobilisent, lors de la mise à l’écrit du droit autochtone, une gamme de procédés de gestion du pluralisme juridique à partir de stratégies qu’ils ont eux-mêmes définies et en tenant compte de l’évaluation qu’ils font des rapports de force entre les systèmes juridiques en présence. Ainsi, plus le système juridique autochtone, par la façon dont il gère le pluralisme juridique, renforce sa légitimité et son effectivité, plus le droit étatique sera susceptible d’en prendre acte. Or il sera montré que l’écriture juridique autochtone ne laisse pas l’État indifférent.
EN:
Based on three case studies made with Indigenous partners, this article illustrates that the choice made by an Indigenous People to use legal writing can be understood both as a strong manifestation of legal pluralism and as a way to manage such pluralism, i.e. as a means to acknowledge the concurring coexistence of Indigenous and State legal systems and to draw consequences for Indigenous normativity.
The uniqueness of the cases studied resides in the fact that they display a form of legal writing by and for an Indigenous People, parallel to the official legal system, which strongly expresses the reality of legal pluralism. Examining those cases through legal pluralism management theory sheds light on the fact that operators of Indigenous legal systems request, during the Indigenous legal writing process, a variety of legal pluralism management processes, based on strategies that they themselves have defined, as well as on their own assessment of the existing power struggles between the legal systems at play. Therefore, the more the Indigenous legal system reinforces its legitimacy and efficiency, in the way it deals with legal pluralism, the more the State legal system is likely to take it into account. However Indigenous legal writing has proven to be of great interest to the State as this paper will show.
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De quelques points de tension entre le droit successoral musulman et le droit successoral québécois
Jabeur Fathally
pp. 195–226
AbstractFR:
Le présent texte vise à repérer les points de tension entre le droit musulman et le droit québécois en matière successorale et espère apporter une contribution doctrinale utile aux chercheur.e.s et aux praticien.ne.s dans ce domaine de droit. La confrontation de ces deux corpus juridiques est utile dans la mesure où elle permet non seulement de mieux comprendre les fondements et les différentes interprétations des règles successorales musulmanes, souvent jugées compliquées et sophistiquées, mais également de proposer des pistes de réponses ou des scénarios pour certains problèmes qui peuvent surgir en cas d’application, au Québec, d’une loi successorale étrangère, basée sur le droit musulman.
EN:
This article compares Islamic law and Quebec law regarding intestate succession with the goal of identifying points of tension between them. It also aims to be a useful resource for researchers and practitioners in the field of comparative succession law. This comparison is valuable because it enhances our understanding of the foundations of Islamic succession rules and their various interpretations, which are often considered complex and sophisticated. It also proposes possible responses and scenarios to certain disputes involving the application of Islamic succession law principles in Quebec.