Volume 52, Number 1, 2022
Table of contents (5 articles)
Articles
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Les paradoxes de l’expertise commune au Québec
Nicolas Aubin and Catherine Piché
pp. 5–54
AbstractFR:
Par sa réforme du Code de procédure civile en 2016, le législateur québécois a invité juges et avocats à privilégier l’expertise commune. La présente étude offre un portrait de celle-ci cinq ans plus tard. Pour ce faire, juges, avocats et experts ont été conviés à partager leurs opinions, à se prononcer sur leurs expériences à l’égard de l’expertise commune et à proposer des pistes de solution qui permettraient de créer un système de justice civile plus accessible. L’article explore les avantages et inconvénients de l’expertise commune que les participants à l’étude ont exposés et soulève les raisons pour lesquelles, malgré l’intention du législateur, l’expertise commune reste encore aujourd’hui un régime d’exception.
EN:
In 2016, the reform of the Quebec Code of Civil Procedure invited judges and lawyers to prioritize joint expert reports. The present study offers an overview of the use of joint expert reports five years later. To do so, judges, lawyers and experts were invited to share their opinions and experiences and to propose solutions that would make the civil justice system more accessible. The article explores the advantages and disadvantages of joint expert reports as proposed by the participants and identifies the reasons why joint reports remain the exception rather than the norm despite the legislator’s intent in 2016.
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L’exercice du pouvoir discrétionnaire dans les fiducies testamentaires au Québec : recourir à l’affectation pour concilier l’intention du testateur et la décision de la « personne raisonnable »
Marie-Pier Baril
pp. 55–102
AbstractFR:
L’exercice de la discrétion par les fiduciaires de fiducies testamentaires est une notion qui suscite un nombre grandissant de litiges. Si quelques jugements ont tracé la route pour une réflexion plus riche, de nombreuses questions demeurent sans réponse. Le présent article a pour objectif d’établir de quelle façon le droit québécois enjoint aux fiduciaires de fiducies testamentaires d’exercer leurs pouvoirs. Plus particulièrement, il vise à déterminer si les fiduciaires doivent décider en fonction de leur perception de ce que le testateur aurait lui-même décidé ou s’ils doivent plutôt le faire en fonction de la décision que prendrait une personne raisonnable. Pour répondre à ce questionnement dans le contexte où très peu d’auteurs ont spécifiquement travaillé sur l’exercice du pouvoir par les fiduciaires de fiducies testamentaires, le présent article prend assise sur la convergence entre la théorie moderne du patrimoine et la théorie des pouvoirs juridiques privés. Il a également pour objet de concilier la vaste étendue de la liberté de tester du testateur (qui pourrait lui permettre d’être déraisonnable) et certains devoirs impératifs des fiduciaires qui les forcent à agir comme le ferait une personne raisonnable.
EN:
The exercise of discretion by the trustees of a testamentary trust is increasingly a source of litigation. Although some judgments have paved the way for more thought, many questions remain unanswered. This text aims to establish how Quebec law regulates/controls trustees in the exercise of their powers. More precisely, it aims to determine whether trustees must decide considering their own perception of what the testator would have decided himself, or whether they must decide on the basis of how a reasonable person would decide. To answer the question in the context where very few authors have specifically addressed the discretionary powers of trustees up to now, this text builds upon the meeting point between the modern theory of the patrimony and the theory of private powers. This text also aims to reconcile the testator’s freedom of testation (which may even be exercised unreasonably) and the duty of the trustees to act as a reasonable person.
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Dialogue entre le droit civil des contrats et un droit traditionnel africain : essai sur le Nsountee dans la communauté Ngombale de l’Ouest-Cameroun
Eric Fokou and André Bélanger
pp. 103–150
AbstractFR:
Cette présentation du Nsountee dans la communauté Ngombale de l’Ouest-Cameroun a pour but de souligner la richesse des possibilités interculturelles qui s’offrent au droit. Par la prise en compte d’un droit naturel, droit spontané propre aux normes du Nsountee, nous tentons de nuancer la rigueur des règles du droit civil, droit édicté, tout en contribuant, éventuellement, à établir une forme de dialogue entre les divers discours qui se manifestent en droit des contrats. Ce qui nous ramène à l’idée de contrat à titre d’artéfact social. La question pour les juristes, in fine, serait donc d’établir si le recours à un champ d’études exotiques (droit oral, droit autochtone, non civiliste) peut aider à enrichir notre compréhension du contrat en droit civil et à quelles fins? Nous envisageons ici une possibilité de son enrichissement par le droit autochtone en cours de réhabilitation dans un contexte postcolonial d’interculturalité et de pluralisme normatif. Nous prenons acte du fait que l’invisibilisation, la délégitimation ou l’illégalisation des droits autochtones, pendant longtemps décrétés comme non en vigueur (non-droit, anti-droit, infra-droit) par l’ordre juridique dominant, en l’occurrence le droit positif étatique hérité de la colonisation, cèdent peu à peu la place à une forme de coexistence plus ou moins conflictuelle. À cet égard, la présente étude sur le Nsountee est un essai au sens littéraire qui, en plus de raconter l’histoire d’un droit traditionnel africain des contrats, « essaie » de susciter la réflexion autour d’une remise en cause de la dogmatique contractuelle du droit dit moderne.
EN:
This preliminary study on the Nsountee in the Ngombale community of West Cameroon, as an essay in the theory of literature, constitutes an unfinished project that is part of a global study of the concepts of contract and law in indigenous laws here and elsewhere. It aims to highlight the richness of the possibilities available to the law as intercultural phenomenon. By considering a natural and spontaneous law, specific to the practice of Nsountee, we try to mitigate the rigour of the rules of civil law to establishing a dialogue between various juridical discourses developing in contract law. This leads to the idea of contract as a social artefact. Therefore, the question for jurists would be to establish whether a recourse to an exotic law (oral law, indigenous law, non-civil law) can contribute to enriching our understanding of the contract in civil law. We consider here a possibility of its enrichment by indigenous law which is being rehabilitated in a postcolonial context of interculturality and normative pluralism. We rely on the fact that the invisibilization, delegitimization or illegalization of indigenous laws, for a long time decreed as not in force (non-law, anti-law, infra-law) by the dominant legal order, the positive state law inherited from colonization, is gradually giving way to a pacific coexistence. As a postcolonial or critical legal study (legal narrativism), the essay also “tries” to tell the story of a traditional African contract law and provoke reflection on the contractual dogma of modern law.
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Réglementation et innovation dans le secteur juridique : les Alternative Business Structures dans le Legal Services Act 2007
Julie Paquin
pp. 151–180
AbstractFR:
L’idée selon laquelle l’accès à la justice repose sur la capacité des juristes de concevoir de « nouveaux modèles d’affaires » pour la fourniture de services juridiques occupe une place croissante au sein de la communauté juridique au Canada et ailleurs. Suivant l’exemple donné par l’Angleterre et le pays de Galles avec l’adoption du Legal Services Act 2007, plusieurs barreaux nord-américains envisagent d’assouplir leur réglementation afin d’autoriser la pratique du droit dans différents types de structures d’entreprise dites « alternatives » (Alternative Business Structures ou ABS). Cet article examine l’approche adoptée dans le Legal Services Act 2007 relativement aux ABS et les effets que la réforme a eus sur le marché des services juridiques jusqu’à présent. Les données disponibles suggèrent que la présence d’ABS favorise l’innovation, mais n’est pas suffisante pour entraîner des changements à grande échelle des modèles d’affaires sur le marché, du moins à moyen terme. Elles indiquent aussi que l’accès au capital dont jouissent les ABS peut leur permettre d’avoir des effets importants sur le marché, sans égard à leur caractère innovant.
EN:
The idea that access to justice relies on the ability of lawyers to develop “new business models” for the provision of legal services has been rising within the legal community in Canada and elsewhere. Following the example set by the England and Wales Legal Services Act 2007, several North American bar associations are currently considering relaxing regulatory constraints and allow lawyers to practice law in different types of “alternative business structures” (ABS). This article examines the approach taken in the Legal Services Act 2007 with respect to ABS and the impact the Act has had on the legal services market to date. In light of available data, it seems that although the presence of ABS fosters innovation, it is not sufficient to drive large-scale changes in business models in the market, at least in the medium term ; in addition, ABS’s increased access to capital enable them to have significant effects on the market, regardless of their innovative nature.
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Un cadre conceptuel pour la reconnaissance du droit autochtone
Sébastien Grammond
pp. 181–210
AbstractFR:
En raison des efforts actuels en vue de redynamiser le droit autochtone, le système juridique canadien sera probablement de plus en plus confronté à des demandes de reconnaissance. Le présent texte vise à proposer un cadre conceptuel pour l’analyse de telles revendications. Il clarifie d’abord le concept de droit autochtone et recense certains défis posés par l’interaction entre le droit canadien et le droit autochtone. Il établit ensuite une distinction entre la délégation de pouvoirs législatifs du système juridique canadien aux organismes autochtones et la reconnaissance par le système juridique canadien des pouvoirs législatifs préexistants, ou inhérents, des peuples autochtones. Pour chaque modèle, quatre aspects de l’interface entre systèmes juridiques font l’objet de l’analyse : quel acteur juridique canadien prend-il l’initiative d’établir un lien avec le droit autochtone? Comment le droit autochtone est-il exprimé de manière à être intelligible pour les juristes non autochtones? À qui et à quel territoire le droit autochtone s’applique-t-il? Et quelles contraintes ce lien impose-t-il au contenu du droit autochtone? Enfin, le texte décrit comment les tribunaux canadiens effectuent le contrôle judiciaire de décisions prises par des décideurs autochtones au sujet du droit autochtone.
EN:
Current efforts towards the revitalization of Indigenous law are likely to translate into greater demands for recognition by the Canadian legal system. This paper aims to provide a conceptual framework for the analysis of such claims. It first clarifies the concept of Indigenous law and highlights some challenges raised by the interaction of Indigenous and Canadian law. It then distinguishes the Canadian legal system’s delegation of law-making authority to Indigenous bodies from its recognition of Indigenous peoples’ pre-existing, or inherent, law-making powers. For each model, four aspects of the interface between legal systems are analyzed: which Canadian legal actor takes the initiative of establishing a relationship with Indigenous law? How is Indigenous law expressed so as to be intelligible for non-Indigenous jurists? To whom, and to what territory is Indigenous law applicable? And what constraints does the relationship impose on the contents of Indigenous law? Lastly, the paper describes how Canadian courts judicially review decisions made by Indigenous decision-makers regarding Indigenous law.