Volume 47, Number 1, 2017
Table of contents (5 articles)
Articles
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Une enquête théorique et empirique sur les menaces externes à l’indépendance judiciaire dans le cadre du sentencing
Margarida Garcia and Richard Dubé
pp. 5–45
AbstractFR:
Dans sa dimension externe, l’indépendance judiciaire a traditionnellement été conçue en rapport avec les autres branches de l’État, les pouvoirs législatif et exécutif. Sur la base d’entretiens qualitatifs et dans le contexte spécifique de la détermination de la peine, cet article explore les contours de l’indépendance judiciaire par rapport à ce que les acteurs judiciaires peuvent considérer comme des menaces externes à leur liberté décisionnelle, menaces dépassant pour eux le cadre plus traditionnel de ce qui relève strictement de l’État. L’objectif que nous nous sommes fixé est d’offrir une perspective à la fois plus contemporaine et élargie des conditions susceptibles de favoriser la pleine protection de la zone de liberté décisionnelle qu’exige l’indépendance judiciaire. Cela nous a amenés à problématiser les menaces externes qui, sans être nécessairement étatiques, peuvent néanmoins compromettre, de l’extérieur, l’intégrité de la détermination de la peine. Nous nous sommes plus particulièrement intéressés aux menaces que représentent, dans ce contexte, les peines minimales obligatoires, celles émanant de la pression médiatique, de l’opinion publique et des demandes adressées au système pénal par les mouvements sociaux.
EN:
In its external dimension, judicial independence has traditionally been conceived only in relation to the two other branches of the State, the legislative and the executive. On the basis of qualitative interviews and in the specific context of sentencing, this article explores the contours of judicial independence and of the possible external threats to the decisional freedom of judicial actors, threats whose origin is located not only inside but also outside the traditional state powers. The objective we have set ourselves in this study is to offer a more contemporary and enlarged perspective on the conditions that favour the full protection of the area of freedom in decision-making, the one that a strong concept of judicial independence demands. This has led us to problematize the external threats that compromise the integrity of sentencing system. In particular, we have focused on the political threats posed by mandatory minimum sentences, those arising from media pressure, from the so-called “public opinion” or from the demands that some social movements address to the criminal law system.
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Les théories de la criminalisation à l’épreuve de la prostitution
Marie-Pierre Robert and Stéphane Bernatchez
pp. 47–76
AbstractFR:
Dans la foulée de l’arrêt Bedford et de l’adoption de la loi modifiant le Code criminel qui a suivi celui-ci, le présent article s’intéresse à la criminalisation des infractions reliées à la prostitution au Canada. Plus précisément, il analyse les théories de la criminalisation qui peuvent être utilisées afin de tenter de justifier la criminalisation de certaines infractions relatives à la prostitution : le moralisme juridique, la théorie du préjudice ainsi que les valeurs de la Charte et le vivre ensemble. Révélant leurs limites, ces théories parviennent difficilement à justifier la criminalisation de la prostitution.
EN:
On the heels of the Bedford judgment and the subsequent modifications to the Criminal Code, this paper discusses the criminalization of prostitution-related offences in Canada. More specifically, it analyzes the various theories mustered to justify criminalization of various prostitution-related offences: legal moralism, harm principle, as well as the values expressed in the Charter and the principle of living together. These theories all have their limits and can hardly justify criminalizing prostitution.
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L’inapplicabilité de la Charte québécoise des droits aux entreprises fédérales : mythe ou réalité?
Ghislain Otis and David Robitaille
pp. 77–117
AbstractFR:
Selon une position dominante, les employés, les clients et les fournisseurs des entreprises fédérales présentes au Québec, notamment les banques, les entreprises de télécommunications et de transport interprovincial, et les sociétés d’aéronautique, ne peuvent se prévaloir des droits prévus par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec à l’encontre de ces entreprises. Il en serait ainsi parce que l’application de la Charte constituerait un empiétement inacceptable sur les compétences fédérales exclusives. Une jurisprudence bien établie reconnaît toutefois que les lois provinciales valides peuvent s’appliquer aux entreprises fédérales, et ce, même pour des matières relevant du coeur des compétences fédérales. Nous soumettrons ainsi que, généralement, la Charte québécoise s’applique aux entreprises fédérales. Puisque la Charte fait partie du droit de la responsabilité civile et que ce dernier a déjà été jugé comme ne faisant pas, sauf exception, partie du coeur des compétences fédérales, il ne fait aucun doute que, dans ce contexte, la Charte s’applique. L’on ne peut non plus présumer que dans ses fonctions préventive et coercitive, la Charte ne puisse s’appliquer, puisque depuis l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest, il ne suffit plus qu’une loi provinciale touche le coeur d’une compétence fédérale pour être déclarée inapplicable; encore faudra-t-il que l’entreprise ne souhaitant pas respecter une loi provinciale valide démontre une entrave à l’exercice des activités relevant du coeur de cette compétence, sur la base de faits caractéristiques.
EN:
It is widely assumed that the application of the Quebec Charter of Rights and Freedoms to federal undertakings operating in Quebec would be an impermissible encroachment on exclusive federal jurisdiction. According to this view, those who deal with undertakings doing business in banking, telecommunications or interprovincial transportation and those who work for them or are affected by their activities should have neither rights nor remedies under that Charter. However, the case law now recognizes that valid provincial legislation can apply to federal undertakings in a wide range of situations even when core federal powers are affected. In this paper, it is argued that the Charter constitutes an integral part of the law of delicts in Quebec and that such law has been held not to touch on the core of federal power regarding federal undertakings, except in rare cases. In addition, it is submitted that it should not be assumed that federal undertakings are immune from the Charter as a preventive and coercive instrument. Since the Supreme Court ruling in Canadian Western Bank, it is acknowledged that valid provincial legislation will be applicable to a federal undertaking unless the latter demonstrates not only that such law touches on the protected core of a federal power but effectively impairs the exercise of such core power. As a result, the Charter will apply whenever such proof of actual impairment is not made out.
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La fonction protectrice de la formule de modification de la Constitution
Sébastien Grammond
pp. 119–164
AbstractFR:
Le Renvoi sur la Loi sur la Cour suprême et le Renvoi sur la réforme du Sénat ont souvent été interprétés comme élargissant l’ensemble des normes qui font partie de la Constitution. L’auteur soutient que, dans ces deux avis consultatifs, la Cour suprême a plutôt mis en application la fonction protectrice de la formule de modification de la Constitution. Cela signifie que cette formule fixe des limites à l’action du législateur ordinaire. En effet, une interprétation historique et téléologique des articles 41 et 42 de la Loi constitutionnelle de 1982 conduit à la conclusion que les auteurs de la Constitution ont voulu limiter le pouvoir du Parlement ou des législatures provinciales de modifier certaines caractéristiques essentielles des principales institutions du régime politique canadien. L’auteur aborde ensuite les conséquences de cette lecture des deux avis consultatifs sur les réformes éventuelles de la Cour suprême, de la magistrature fédérale, du Sénat et du mode de scrutin.
EN:
The Reference re Supreme Court Act and the Reference re Senate Reform have often been interpreted as widening the body of norms that form part of the Constitution. The author submits that in those two references, the Supreme Court of Canada has instead given effect to the protective function of the constitutional amending formula. This means that the amending formula limits the action of Parliament and the provincial legislatures. A historical and purposive interpretation of sections 41 and 42 of the Constitution Act, 1982, leads to the conclusion that the framers of the Constitution intended to limit the power of Parliament and the provincial legislatures to affect certain essential characteristics of the main components of Canada’s political system. The author then spells out the consequences of this reading of the two references on possible reforms of the Supreme Court, the federal judiciary, the Senate and the electoral system.
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La réception de la kafala dans l’ordre juridique québécois : vers un renversement du paradigme conflictuel?
Harith Al-Dabbagh
pp. 165–226
AbstractFR:
Une institution ancestrale, la kafala, constitue un moyen de protection important de l’enfant privé de famille dans de nombreux pays musulmans. Inédite au Québec, cette institution n’a de cesse d’interpeller les professionnels et juristes quant à sa nature exacte et à ses effets. Cette procédure a fréquemment été utilisée comme un expédient pour l’adoption, par une personne domiciliée au Québec, d’un enfant musulman dont la loi d’origine prohibe l’adoption. La kafala met à l’épreuve la méthode conflictuelle classique dans sa capacité à accueillir des institutions mal connues ou inconnues. La kafala, dont la nature juridique est difficile à cerner, est généralement jugée trop originale pour être intégrée dans la catégorie « adoption ». Est-ce pour autant méconnaître sa nature exacte? L’auteur tâche de démontrer le contraire. Les réponses contradictoires du droit québécois de l’adoption internationale, partagées entre fermeture frileuse et ouverture généreuse, laissent entrevoir une évolution plus libérale de la méthode des conflits de lois à l’épreuve du pluralisme culturel.
EN:
An ancient institution, the kafala, is an important means of protection for the child deprived of a family, which has been implemented in different ways in Islamic countries. Unprecedented in Quebec, this particular institution concerns professionals, lawyers and legal experts as to its exact nature, effects and consequences. It has thus been frequently used as a convenient expedient towards the adoption, by an individual domiciled in the Province, of a Muslim child whose personal status law prohibits adoption. The introduction of kafala challenges the contemporary methodology of conflicts of laws in its capacity to accommodate institutions that are either little known or unknown. With its legal essence that is difficult to grasp, the kafala is usually deemed too original to be integrated in the “adoption” category. Does that really mean we should persist in disregarding its essentiality? The author precisely tries to demonstrate the opposite. Contradictory responses from Quebec law governing international adoptions, divided between an attitude of withdrawal and will for generous opening, suggest a more liberal evolution of private international law rules when challenged with cultural pluralism.