FR:
Les pouvoirs de la médecine autant que les espoirs qui sont mis en elle confèrent au médecin une place particulière dans l’organisation sociale. Détenteur par son savoir d’une action sur les corps, son pouvoir interfère avec celui des maîtres de la Cité qui lui imposent des limites mais aussi l’obligation d’exercer son « ministère » au profit d’une quête individuelle et collective du bien-être.
Le médecin, magicien ou thérapeute, fait peur dès lors qu’il n’attribue ses pouvoirs qu’à ses connaissances. Il faut donc le rattacher à la Cité des hommes et, tout en reconnaissant la particularité de son activité, lui signifier qu’il n’est pas au-dessus de la loi, qu’il est lié à chacun de ses patients parce que ceux-ci lui font confiance. Mais ce contrat entre deux individus est aussi et, de plus en plus, un « contrat social » qui insère l’activité médicale dans le jeu complexe des relations sociales, quitte à ce qu’il subisse parfois les « dérives » trop économistes de celles-ci. D’où l’intérêt d’une autre limite sociale, celle qui lui rappelle que ses interventions, parce qu’elles portent sur le corps, supposent le respect de la personne d’autrui dans son autonomie, dans son identité. Une médecine trop orgueilleuse, trop hautaine, voire simplement trop paternaliste, ne peut plus conserver pour elle seule la maîtrise des nouvelles technologies biomédicales. Il lui faut la partager avec les patients, devenus des acteurs de santé, titulaires de droits subjectifs.
Le nouveau « drame » de la médecine n’est-ce pas alors, moins que les limites imposées à quelques promoteurs d’une médecine « prométhéenne », les obligations faites à l’ensemble des médecins de prêter leur concours à servir des fins sociales collectives ou individuelles qui ne laissent souvent plus rien percevoir de cette « confiance qui rejoint une conscience » ?
Serviteur de l’action sanitaire de la collectivité, le médecin pourra encore se sentir utile dès lors que sa liberté de relation à l’égard de ceux qu’il assiste sera préservée. Cela ne rend pas forcément impossible sa participation à certaines formes de « contrôle social » mais exige la définition de modalités qui respectent substantiellement la fonction médicale. Cette recherche d’un équilibre, ambiguë voire impossible diront certains, apparaît de façon encore plus aiguë dans le cadre des pratiques biomédicales. Le monopole conservé, voire renforcé, du médecin pour protéger l’individu au début ou en fin de vie, lui fait aussi porter, d’une certaine manière, le poids de tous désirs individuels, des intérêts contradictoires, de la tentation de franchir les limites du possible, de l’interdit. Il faut alors admettre que sa conscience puisse lui permettre, lorsqu’il ne peut pas ou ne veut modifier la volonté de ceux qui le requièrent, de décliner son concours. Mais, même en agissant ainsi, et c’est pour cela que la clause de conscience se distingue de la liberté de contracter, le médecin qui refuse d’administrer tel acte, ne devra pas cesser de compatir avec celui qui lui fait face.
Gageons qu’ainsi comprise, la pratique médicale contribuera à rendre le droit qui s’y applique conforme au rôle que d’Aguesseau voulut pour la justice : « juger humainement des choses humaines ».
EN:
The powers of medecine, as well as the faith put into it, endows the doctor a particular place within our social organisation. Possessor of its knowledge on the actions on the bodies, its power interferes with that of the society elits which imposes limits as well as obligations to profit the search of individual and collective well being.
The doctor, magician or therapist, incites fear from the moment he attributes his powers only on the basis of his knowledge. We therefore have to consider him on the same level as the rest of society and while recognizing the special role of his profession, make sure that he is aware that he is not above the law, that he is linked to each of his patients due to the trust that they place in him. But this contract between two individuals is as well, and increasingly a social contract which places the medical practice in the complex game of social relations, even if at times it is seen on a more economic level. And that is why it is important to insert another social limit that would remind the doctor that his interventions affect the human body, and therefore the respect of a person and her identity and integrity. A medical science that is too proud or paternalistic, cannot keep to itself the mastery of new biomedical technology. It must be shared with his patients who now have a new role in healthcare, as holders of subjective rights.
Should not the new "drama" of medical science, rather than imposing limits on some promoters of "promethenne" médecine, be that of reinforcing the obligations doctors have in general to serve their purpose towards social, collective and individual means that so often don't inspire the trust that should be linked to conscience?
Slave of a collective healthcare system, the doctor should still feel useful if his freedom to serve those that he helps is preserved. This does not necessarily mean that his participation in establishing certain social norms is impossible, however, it requires a definition of those issues that are relevant to the medical fonction. This search towards equilibrium, however ambiguous, and some even say impossible, appears to be even more acute in the sphere of biomedical practices. The monopoly conserved—and even reinforced—of the physician to protect the individuals at the beginning or at the end of their life, is added to a doctor's burden, to a certain extent, of the weight of all the individual's desires, of contradictory interests, and desire to do all that is possible in a world with real limitation. We therefore have to admit that his conscience can allow him to decline care to the patients that require it when he cannot or does not want to change their wishes. But even by acting this way, and that is why the clause of conscience distinguishes itself from contractual liberty, the doctor who refuses the administration of care must continue to have compassion towards his patients. So we can now wager, based on what we have just stated, that the medical practice will be a contributing factor in making law conform to the role that Aguesseau wanted for justice: "Juger humainement des choses humaines".