FR:
Les conditions d’octroi de la prestation compensatoire ont fait l’objet de nombreuses discussions. La Cour d’appel du Québec s’est prononcée pour la première fois sur le sujet dans un arrêt très attendu, d’une portée discutée, et qui révèle de fortes divergences de vue.
Quatre points y sont abordés : les liens entre la prestation compensatoire et les régimes matrimoniaux; le problème du lien direct et de l’enrichissement sans cause; celui de la contribution aux charges du mariage; celui du travail au foyer.
Sur le premier point, la cour est unanime : la prestation compensatoire ne saurait jouer comme une sorte de régime légal superposé de partage et ne peut donc jouer du seul fait qu’il y a séparation de biens.
Sur le deuxième point, deux juges pensent qu’un lien direct entre l’appauvrissement d’un conjoint et l’enrichissement de l’autre doit exister pour pouvoir faire jouer la prestation compensatoire; un juge ne croit pas un tel lien nécessaire, compte tenu de l’arrêt Leatherdale qui relève pourtant de la common law. La notion même de lien direct diffère toutefois selon les deux juges majoritaires : condition étroite et difficile à remplir pour l’un, notion beaucoup plus souple pour l’autre et qui semble la plus défendable en droit civil. L’un en tire la conséquence que l’apport en services domestiques ne peut donner lieu à prestation compensatoire et l’autre qu’il le peut.
Mais avant de débattre le problème du travail au foyer, celui de la contribution aux charges du mariage est évoqué. Sur ce point, chacun des juges a une opinion différente. L’un estime que la contribution aux charges du mariage ne saurait donner ouverture à prestation compensatoire en raison notamment de l’absence de preuve de lien entre l’apport et l’enrichissement. Un autre juge semble considérer que toute contribution aux charges du mariage pourrait donner ouverture à la prestation compensatoire, même en l’absence de dépassement de son obligation. Pour le troisième juge, plus nuancé dans sa position, la seule défendable selon l’auteur, une telle contribution peut donner lieu au paiement d’une prestation s’il y a dépassement appréciable de ce à quoi on est légalement tenu.
La solution retenue par chacun des juges sur la question subséquente du travail au foyer découle de celle retenue pour la contribution aux charges du mariage : deux juges acceptent que le travail domestique puisse donner ouverture à prestation compensatoire, mais ce n’est pas sans que l’un d’eux rappelle la prudence en la matière.
Un arrêt intéressant qui ne tranche toutefois pas définitivement le problème de l’apport sous forme de travail domestique. Un arrêt curieux où les juges les plus proches sur les questions de fond ne sont pas ceux qui forment la majorité dans la décision.
EN:
The conditions for granting a contributory allowance have been largely discussed. For the first time, the Quebec Court of Appeal has rendered a judgment on those conditions in a decision which is long-awaited and questionable and which shows the very different views of the judges.
Four questions were examined: (i) the relationship between the contributory allowance and the matrimonial regimes; (ii) the problem of the direct link and the enrichment without cause; (iii) the contribution towards the expenses of the marriage; and (iv) the activity within the home.
According to the Court, which was unanimous in respect of the first question, the contributory allowance should not be considered as a superimposed legal regime of sharing and cannot be granted when there is only separation as to property.
On the second question, two judges believe that a direct link is necessary between the impoverishment of a spouse and the enrichment of the other. The third judge does not share this view on the basis of the common law judgment in Leatherdale. The notion of direct link is however different for the two judges: one states that it is a strict condition that is difficult to meet with, while the other views it as a rather flexible condition that is nearer to the civil law. Consequently, the former judge concludes that the activity within the home is not an argument for having a contributory allowance whereas the other reaches the opposite conclusion.
But before looking at the activity withim the home, the contribution towards the expenses of the marriage was examined. Each judge has a different opinion in that respect. One believes that such a contribution could not give rise to a contributory allowance particularly because the link between that contribution and enrichment was not proven in the circumstances. Another judge seems to consider that any contribution would give rise to a contributory allowance even though it involved no more than ordinary marital responsibilities. For the third judge, more subtle in his position and with whom the author agrees, there may be granted a contributory allowance only where those ordinary marital responsibilities are considerably exceeded.
The solution advocated by each judge on the subsequent question of the activity within the home flows from that proposed for the contribution towards the expenses of the marriage. Two judges take into account such an activity for granting a contributory allowance but one of them calls for caution in that respect.
This judgment of the Court of Appeal is an interesting one even though it does not decide conclusively the question of the activity within the home. It is also a very special judgment where judges who are the nearest on substantive questions do not participate in the majority decision.