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Introduction

En 2009, l’Office des personnes handicapées du Québec publiait sa nouvelle politique « À part entière : pour un véritable exercice du droit à l’égalité » (OPHQ, 2009) dans laquelle il est fait mention de trois grands défis et de 11 priorités d’intervention qui doivent être priorisés au cours de la prochaine décennie. L’un de ces grands défis consiste à assurer une société orientée vers une réponse complète aux besoins essentiels des personnes présentant des incapacités notamment en leur offrant la possibilité de vivre à domicile, de se loger adéquatement, de s’exprimer, de communiquer et de se déplacer sans contraintes d’accessibilité, de temps ou de coûts et ce, peu importe le lieu. Cette orientation vise à accroitre la participation de ces personnes autant dans les services de garde et scolaires que sur le marché du travail, dans les activités de loisirs, de sports, de tourisme et de culture. Pour être en mesure de se concrétiser, cette vision requiert non seulement une importante réorganisation des services offerts par la société, mais également une importante augmentation au niveau de l’autodétermination des personnes concernées en particulier celles présentant une déficience intellectuelle. En effet, pour être en mesure de participer activement à ce processus, ces personnes devront être en mesure de choisir, de prendre des décisions et de résoudre des problèmes, ce qui requiert chez elle la nécessité de se connaitre, de se faire confiance, et de se fixer des objectifs et des buts au regard de sa vie, si peu soit tant. Or, les travaux de recherche réalisés jusqu’à présent (Haelewyck, Bara et Lachapelle, 2005; Tremblay et Lachapelle, 2006; Wehmeyer, Buntinx, Lachapelle, Luckasson, Schalock, Verdugo, Borthwick-Duffy et al., 2008; Thompson, Bradley, Buntinx, Schalock, Shogren, Snell, Wehmeyer et al., 2009; Snell, Luckasson, Borthwick-Duffy, Bradley, Buntinx, Coulter, Craig et al., 2009) démontrent, ici comme ailleurs, que ces capacités sont largement limitées chez l’ensemble de ces personnes si bien qu’un quatrième défi devrait être ajouté à la politique ministérielle à savoir s’assurer que les personnes concernées soient en mesure de profiter adéquatement de tous ces changements afin d’assurer que l’interaction «personne-environnement » permette une réelle participation sociale au détriment de nouvelles situations de handicaps. Il importe donc de bien connaitre et comprendre les défis spécifiques des personnes présentant une déficience intellectuelle.

La déficience intellectuelle est un état apparaissant avant l’âge de 18 ans et se caractérisant par des limitations significatives du fonctionnement intellectuel et du comportement adaptatif. Elle se manifeste dans les habiletés conceptuelles, sociales et pratiques et provoque des difficultés au niveau du raisonnement, de la planification, de la résolution de problèmes, de la pensée abstraite et de la compréhension d’idées complexes (AAIDD, 2011). Les diverses limitations inhérentes à la déficience intellectuelle ont pour conséquence d’entraver de façon significative l’expression de comportements autodéterminés (Wehmeyer, Smith, Palmer, Davies et Stock, 2004). Wehmeyer et Sands (1996) définissent l’autodétermination comme étant : « les habiletés et les attitudes requises chez une personne lui permettant d’agir directement sur sa vie en effectuant librement des choix non influencés par des agents externes indus ». Exprimer son autodétermination exige d’une personne une combinaison d’habiletés, de savoirs et de croyances qui l’amène à exprimer des comportements autonomes et autorégulés en fonction de buts précis (Field, Martin, Miller, Ward et Wehmeyer, 1998). L’autodétermination s’observe à travers des comportements tels qu’exprimer des attentes, faire des choix, poser des actions concrètes et résoudre des problèmes. Une personne qui présente des comportements autodéterminés agit donc de manière autonome, a la perception d’exercer un certain contrôle sur sa vie et mise sur ses forces pour maximiser son développement personnel (Lachapelle et Wehmeyer, 2003). Ainsi posée, l’autodétermination est la résultante logique des grands mouvements sociaux (désinstitutionnalisation, normalisation et valorisation des rôles sociaux, par exemple) que la société a connus ces dernières décennies. Dans cette foulée, Wehmeyer et Sands (1996) ont proposé un modèle fonctionnel de l’autodétermination qui met en évidence la combinaison de trois facteurs déterminant l’émergence de comportements autodéterminés : (a) les capacités individuelles qui sont elles-mêmes déterminées par les situations d’apprentissage et le développement personnel, (b) les occasions fournies par l’environnement et les expériences de vie, (c) les types de soutien à l’autodétermination offerts aux personnes. Au carrefour de ces trois facteurs se retrouvent les perceptions et les croyances entretenues par la personne elle-même et ses proches au sujet des capacités individuelles et des occasions fournies. Ce modèle fonctionnel insiste sur l’importance des facteurs environnementaux dans l’expression des comportements autodéterminés et la nécessité de développer des soutiens spécifiques afin de répondre aux besoins exprimés par la personne à ce niveau. Dans cette perspective, l’American Association for Intellectual and Developmental Disabilities (AAIDD, 2011), dans la nouvelle édition de son manuel « Définition, classification et systèmes de soutien », accorde une grande importance à la notion de soutien ainsi qu’aux besoins exprimés dans différents milieux (école, milieu de travail, vie résidentielle et communautaire). Elle insiste sur la nécessité de recourir à l’utilisation d’une diversité de moyens (aménagements durables, politiques et organisation des services, formation et éducation, et solutions technologiques) pour répondre aux besoins des personnes présentant une déficience intellectuelle.

Conséquemment, le défi actuel des chercheurs et des intervenants consiste à concrétiser des environnements adaptés aux besoins spécifiques des personnes en utilisant des moyens et des outils novateurs qui misent sur leurs forces, qui maximisent leur développement personnel et, par conséquent, provoquent des impacts positifs sur leur autodétermination (Lachapelle et Boisvert, 1999). À cet égard, il semble que les technologies de l’information et de la communication (TIC) puissent jouer un rôle de catalyseur (Lachapelle, Lussier-Desrochers et Pigot, 2007).

Technologies et intervention dans le domaine de la déficience intellectuelle (TIC)

Depuis quelques années, les TIC font progressivement leur apparition dans le domaine de la déficience intellectuelle (Lachapelle, Lussier-Desrochers et Pigot, 2007). Selon plusieurs chercheurs et intervenants (Davies, Stock et Wehmeyer, 2003; Wehmeyer, Smith, Palmer, Davies et Stock, 2004), les TIC contribuent à la création d’environnements offrant aux personnes présentant une déficience intellectuelle la possibilité de prendre des décisions, de se fixer des buts et de résoudre des problèmes. Par conséquent, les technologies visant spécifiquement le développement et l’expression de comportements autodéterminés sont désignées « technologies de soutien à l’autodétermination » (TSA). Dans une perspective de participation sociale, de nombreuses recherches (Parette et Wojcik, 2004; Wehmeyer et Sands, 1996 ; Lachapelle et al., 2007 Davies, Stock et Wehmeyer, 2002a, 2002b, 2003; Lancioni, O'Reilly, Brouwer-Visser, Groeneweg, Bikker et Flameling, 2001; Lancioni, O'Reilly, Seedhouse, Furniss et Cunha, 2000; Wehmeyer, Palmer, Smith, Parent, Davies et Stock, 2006) ont démontré que les TSA facilitent grandement l’apprentissage, l’indépendance, la mobilité, la communication, le contrôle, l’exercice de choix et l’intégration de la personne au sein de sa communauté. L’utilisation des TSA représente donc un moyen à privilégier pour promouvoir l’autodétermination et la participation sociale des personnes présentant une déficience intellectuelle.

Parmi les technologies prometteuses dans le domaine de la déficience intellectuelle, on retrouve les logiciels d’assistance à la réalisation de tâches (ART) intégrés dans des ordinateurs portatifs. Les ART sont des appareils de type « téléphone intelligent » munis de logiciels accompagnant la personne dans ses tâches quotidiennes à la maison ou au travail. Ces téléphones intelligents s’adaptent facilement aux besoins de la personne et offrent un support constant lors de la réalisation de tâches. Ces outils ont été expérimentés auprès des personnes présentant une déficience intellectuelle en milieux de travail et résidentiel et démontrent des impacts positifs sur l’autodétermination et la qualité de vie en plus de générer des taux élevés de satisfaction de la part des utilisateurs (Lachapelle et al., 2007). Parmi les différents logiciels dorénavant disponibles, Visual Assistant agit comme un entraîneur portatif et interagit avec l’utilisateur par le biais de messages vocaux, d’images ou de séquences vidéos. Ceux-ci informent la personne sur la façon de procéder ou encore présentent les sous-étapes pour la réalisation d’une tâche de complexité variable. L’ordinateur agit aussi à titre de planificateur de temps, remémorant à la personne les moments précis où elle doit passer d’une tâche à une autre. Par ailleurs, la nouvelle génération des téléphones intelligents permet l’utilisation de logiciels simplifiant leur utilisation. Discovery Desktop est l’un de ces logiciels intuitifs et conviviaux qui misent sur une constance dans le positionnement et l’affichage des options à l’écran. En plus d’offrir des boutons surdimensionnés facilitant la navigation à l’aide des écrans tactiles, il limite le nombre d’icônes disponibles. Le présent projet de recherche vise donc à expérimenter ces deux logiciels.

Question et objectifs de recherche

Une question de recherche principale a guidé l’expérimentation : « Quelle est la contribution de l’utilisation des versions francophones des logiciels Visual Assistant et Discovery Desktop installés dans un téléphone intelligent sur l’émergence de comportements autodéterminés de personnes présentant une déficience intellectuelle? »

De façon plus spécifique, le projet poursuit les objectifs suivants : (a) identifier les effets perçus par les proches et les intervenants de l’utilisation d’une technologie mobile d’assistance à la réalisation de tâches, (b) identifier les facteurs modulant les effets perçus de l’utilisation d’une technologie mobile d’assistance à la réalisation de tâches, (c) identifier la contribution possible de l’utilisation d’une technologie mobile d’assistance à la réalisation de tâches sur l’émergence de comportements autodéterminés

Méthode

Devis de recherche

Étant donné les objectifs poursuivis, un devis de recherche qualitatif par analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2008) a été privilégié. Puisque les différentes expérimentations revêtent un caractère unique et qu’elles sont adaptées à la réalité propre de chacun des participants, ce type de devis nous permet de mieux comprendre l’expérience subjective unique de chacun des participants. Essentiellement, l’analyse thématique consiste à procéder systématiquement au repérage, au regroupement puis à l’examen discursif des thèmes abordés dans un recueil de textes, par exemple, des verbatim d’entretien, un document ou encore de notes d’observation (Paillé et Mucchielli, 2008).

Participants

Au total, quinze adultes présentant une déficience intellectuelle sans trouble associé sont recrutées parmi les trois sites partenaires du projet. Les participants vivent en logement autonome, en famille d’accueil ou en famille naturelle, sont intégrés dans un milieu socioprofessionnel et en mesure d’effectuer un certain nombre de tâches hebdomadaires de façon autonome dans ces deux milieux. Le Tableau 1 présente leur répartition en fonction du sexe, de l’âge et du site. Pour chacun des participants, un proche et un intervenant ont été ciblés afin d’informer les chercheurs sur l’expérience d’utilisation de l’assistant à la réalisation de tâches du participant.

Tableau 1

Informations sur les participants en fonction des sites

Informations sur les participants en fonction des sites

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Outils de collecte de données

Afin de recueillir des données qualitatives, trois canevas d’entretien sont développés (Lussier-Desrochers, 2006). Le canevas d’entretien pré-expérimental pour les proches aborde trois thèmes : le profil du participant, les tâches réalisées par le participant et les solutions technologiques pour faciliter la réalisation des tâches. Le canevas d’entretien pré-expérimental pour les intervenants aborde deux thèmes : le profil du participant et les interventions réalisées de même que la réalisation de tâches par le participant et les solutions technologiques. Enfin, un même canevas d’entretien a été développé pour rencontrer les proches et les intervenants au terme de l’expérimentation. Celui-ci abordait le premier contact avec l’assistant à la réalisation de tâches, la première utilisation de l’assistant à la réalisation de tâches, l’utilisation indépendante de l’assistant à la réalisation de tâches de même que les impressions générales suite à l’utilisation de l’assistant.

Matériel

Le matériel utilisé est un téléphone intelligent de marque HTC Touch Dual muni d’une version francophone du logiciel Discovery Desktop et du logiciel Visual Assistant produit par l’entreprise AbleLink Technologies. Discovery Desktop est un logiciel simplifiant l’accès à l’appareil qui remplace l’interface traditionnelle de Windows Mobile. Ainsi, au démarrage, l’appareil affiche un bureau où apparaît un maximum de quatre icônes représentant des logiciels. Le participant n’a qu’à appuyer sur l’une de ces icônes sur l’écran tactile pour entendre un indice sonore qui nomme le logiciel et l’invite à appuyer une seconde fois pour le démarrer. Sur cet écran de départ, une icône permettant de démarrer le logiciel Visual Assistant est ajoutée. Ce logiciel simple d’utilisation permet de jumeler des photos représentant les étapes nécessaires à la réalisation de tâches à des indices sonores.

Expérimentation

Chacun des participants utilise l’ART afin de réaliser deux tâches en milieu résidentiel et deux tâches en milieu de travail sur une base régulière pendant une période de 8 à 10 semaines consécutives. Ces tâches sont choisies de concert avec le participant, un proche et un intervenant de façon à répondre adéquatement aux besoins de la personne. Pendant l’expérimentation, un suivi téléphonique est effectué auprès des personnes pour s’assurer du bon fonctionnement de l’appareil et offrir, au besoin, du soutien technique. Le Tableau 2 présente le type de tâches effectuées par les participants.

Tableau 2

Liste des tâches effectuées par les participants

Liste des tâches effectuées par les participants

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Plan d’analyse

Les données qualitatives sont recueillies auprès d’un proche et d’un intervenant de chaque participant avant le début de l’expérimentation et à son terme. Ces entretiens sont enregistrés sur bande audio et font l’objet d’une retranscription et d’une analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2008) à l’aide du logiciel QSR N’Vivo 8.

Résultats

Effets perçus de l’utilisation d’une technologie mobile d’assistance à la réalisation de tâches

Les premiers effets de l’utilisation de l’ART sont d’abord perçus chez les personnes utilisatrices où l’un des avantages semble être la possibilité d’accéder à de nouvelles activités ou de réaliser des tâches complexes auparavant insoupçonnées :

(…) Ça lui a fait accomplir des tâches pour lesquelles on pensait qu’elle était pas compétente (…) ou pour lesquelles on l’avait jamais ciblée parce que c’est une tâche (…) qui demandait de la supervision au niveau des chiffres et des choses comme ça. (…) On aurait pas pensé il y a trois mois [qu’elle] pourrait faire un pain dans la machine à pain. Mais il y a probablement d’autre chose qu’elle [pourrait] faire éventuellement.

Selon certains intervenants, cet accroissement de l’autonomie des participants conjugué à une augmentation de leur intérêt et de leur motivation à initier et à réaliser certaines tâches s’explique entre autres par le soutien continu qu’offre l’ART: 

(…) Ça développe l’autonomie (…) sans toujours avoir un intervenant à côté de toi pour te dire quoi faire. Je pense que la majorité de notre clientèle adulte, que ce soit au travail, que ce soit à la maison, en appartement, […] ils en auraient tous besoin. Parce qu’ils sont toujours accompagnés, ils sont toujours supervisés.

(…) Je pense que c’est un des premiers instruments qu’y’a réussi à la faire accomplir une tâche d’une façon aussi stable, aussi longtemps. (…) avant (…) j’avais d’la misère à y faire faire [la tâche] fallait qu’j’y rappelle tout l’temps tandis qu’avec [l’assistant] pas besoin d’y rappeler, y l’fait tout seul.

Par ailleurs, certains proches rapportent que le fait d’avoir accès à un outil technologique socialement valorisé tel un ART exerce un impact positif au niveau de l’estime de soi des participants. Par exemple, plusieurs proches indiquent que l’attention que reçoivent les personnes en utilisant l’ART leur provoque un sentiment de fierté. De fait, la technologie est devenue un thème sur lequel échanger avec des proches et des connaissances.

(...) Ça avait comme une espèce de connotation [positive], ça amené de l’intérêt par rapport aux autres (...) Ce qui faisait qu’à devenait comme quelqu’un de privilégié ou d’intéressante pour les autres. (…) [Elle] expliquait comment ça marchait. Ça amène, premièrement de la communication, un intérêt sur quelque chose d’autre, une fierté, [...] j’ai quelque chose d’important à vous montrer, tout ce côté-là en déficience [qui est rare] (...)

Enfin, les intervenants mentionnent que le changement le plus fréquemment relevé est une transformation dans les façons de soutenir les apprentissages. Outre la diminution de la nécessité de leur présence, le type d’apprentissage lui-même s’en trouve modifié par l’accès à des tâches non seulement de complexité supérieure, mais qui s’apprennent plus rapidement. Enfin, plusieurs intervenants notent la pertinence d’utiliser cette technologie en raison du soutien visuel qu’elle offre ce qui est facilitant en regard des capacités intellectuelles de la clientèle.

Facteurs modulant l’effet perçu de l’utilisation d’une technologie mobile d’assistance à la réalisation de tâches

Caractéristiques des tâches

La tâche retenue semble constituer l’élément le plus important dans l’utilisation de l’ART. Si celui-ci peut, dans certains cas, accroître la motivation à réaliser une tâche, il ne peut à lui seul la maintenir à long terme. Un proche décrit ainsi la situation :

(…) Elle est capable de faire [le ménage], c’est comme bien du monde, ça ne lui tente pas nécessairement. Mais la nourriture, ça, je sais qu’elle aime ça cuisiner, elle l’aime bien faire des recettes. (...)

L’ART trouve également sa pertinence dans la mesure où il est nécessaire pour réaliser l’activité ou la tâche. Ainsi, si le participant ne trouve pas de satisfaction à son utilisation, l’intérêt s’en trouve rapidement amoindri. Lorsqu’il y a correspondance entre le besoin de la personne et le soutien offert par l’ART, les bénéfices en sont maximisés. Ce dernier point soulève la question du niveau de complexité de la tâche. Ainsi, dans plusieurs cas, l’apprentissage de la tâche s’est fait rapidement ce qui a rendu inutile l’ART, son utilisation n’étant plus. Or, comme chacun des participants n’avait au plus que quatre tâches à réaliser, certains n’ont eu qu’à utiliser l’ART à quelques reprises pour pleinement maîtriser les différentes tâches.

(…) J’pense que les tâches plus complexes, des choses qui sont pas à sa portée sans soutien, ça aurait une meilleure chance d’être utilisé. (...)

Dans une situation particulière, le fait d’avoir mal décortiqué la tâche par étape a également nui à l’efficacité de l’ART. À l’inverse, certaines tâches étaient divisées en trop d’étapes, ce qui retardait inutilement la réalisation de la tâche ou encore, diminuait l’intérêt du participant pour l’appareil.

Par ailleurs, certaines tâches exigeant des niveaux plus élevés de manipulation, il pouvait parfois être difficile de réaliser la tâche tout en conservant l’ART dans ses mains.

Caractéristiques de la personne

Certains participants ont déjà, dans leur environnement, des technologies qu’ils utilisent régulièrement. Ainsi, les participants démontrant un intérêt particulier pour la technologie, se sont appropriés plus rapidement l’ART et semblent en avoir tiré davantage de profits.

(…) Il était déjà intéressé à cause qu’il utilisait déjà d’autres appareils [technologiques], son téléphone, etc., pour lui, c’était pas mystérieux, c’était pas si compliqué non plus là (...)

Toutefois, la méconnaissance de la technologie, la difficulté à gérer la nouveauté et un contexte de vie personnel difficile peuvent réduire les bénéfices tirés de l’utilisation de l’ART.

(…) [Le participant] a vécu un automne très difficile, perte d’emploi, perte d’amis, perte d’argent, donc je pense qu’il n’était pas dans un état d’âme pour faire cette expérience-là de cet appareil-là, donc je pense que ça peut jouer sur le succès [que ça aurait pu avoir] s’il n’était dans cet état d’âme là (...)

Les soutiens dont dispose la personne constituent un autre élément essentiel. Pour soutenir efficacement la personne, plusieurs intervenants ont soulevé la nécessité d’être formés à l’utilisation de l’ART. Cette formation, en plus de permettre la maîtrise du fonctionnement et de la programmation de l’appareil, devrait également soutenir la mise en place de l’ART auprès d’une personne. De façon à demeurer à la fine pointe de la technologie et à faire face aux différents problèmes technologiques susceptibles de survenir, l’accès à un spécialiste en informatique constitue également un facteur de réussite. Tout comme les intervenants, les proches expriment certains besoins similaires, soit celui de maîtriser le fonctionnement de l’appareil et d’avoir accès à un spécialiste. Afin que l’utilisation de l’ART soit efficace, plusieurs proches et intervenants suggèrent qu’un suivi de son utilisation soit fait afin d’en vérifier la fréquence d’utilisation et les difficultés rencontrées. Certains doutent de l’utilisation de l’ART à long terme sans un rappel auprès de la personne. De même, un suivi du rythme et du niveau d’apprentissage de la tâche peut permettre d’en valider sa pertinence pour la poursuite de l’apprentissage.

L’assistant à la réalisation de tâches

Les qualités de l’ART constituent un autre facteur influençant l’effet perçu. Parmi celles-ci, on dénote les qualités physiques de l’outil (solidité, taille, qualité de l’image) tout comme la qualité de sa programmation. De même, l’aspect audio semble en augmenter l’intérêt. Sa simplicité et sa facilité d’utilisation et de manipulation ont été appréciées par les participants. De plus, le caractère convivial de l’appareil en augmente l’intérêt tout comme la possibilité de l’utiliser pour d’autres fonctions, telles que le téléphone et la musique.

Discussion

Contribution possible de l’utilisation d’une technologie mobile d’assistance à la réalisation de tâches sur l’émergence de comportements autodéterminés

L’expérimentation a permis de dégager trois composantes fondamentales contribuant à expliquer les effets perçus de l’utilisation de l’ART : la tâche, la personne et la technologie. Le dynamisme qui s’installe entre ces trois composantes tend à démontrer qu’elles doivent respecter certains critères afin de contribuer à l’émergence de comportements autodéterminés.

La tâche doit favoriser la prise de décision et l’exercice du choix par la personne. À cet effet, Lussier-Desrochers, Lachapelle, Consel et Lavergne (2010) insistent sur le fait que plusieurs technologies sont souvent pensées et utilisées pour faire les activités à la place de la personne et que cette vision s’éloigne du mouvement de réadaptation accordant une place centrale à l’autodétermination. Ainsi faut-il s’assurer, autant que faire se peut, d’éviter de créer des technologies de suppléance qui risquent de créer de la dépendance (contrôler les actions de la personne) au détriment de technologies de soutien à l’interdépendance (exercer du contrôle sur son environnement). En plus de répondre à un besoin du participant, la tâche doit susciter un intérêt chez la personne et outrepasser le simple caractère attrayant puisqu’une tâche ennuyante restera ennuyante même si la personne aime l’ART. De fait, l’expérimentation a démontré que les personnes laisseront de côté l’appareil si celui-ci contient des tâches bien connues pour la personne ou encore des tâches trop simples. L’utilisation de la technologie et le maintien de l’intérêt de l’utilisateur nécessitent donc un renouvellement continu de tâches. Par conséquent, il apparaît nécessaire d’assurer l’expérience de tâches diversifiées permettant l’émergence de capacités dans chacune des composantes essentielles de l’autodétermination (autonomie comportementale, autorégulation, empowerment psychologique et autoréalisation). Ceci s’avère particulièrement important afin d’assurer que le recours à des technologies soit synonyme à la fois de liberté accrue pour l’utilisateur et d’allègement de la tâche en terme de diminution du temps de soutien requis par les intervenants et les proches. Ainsi, les TSA contribuent à l’augmentation des répertoires de comportements autodéterminés chez une personne et lui assure non seulement de démontrer ses nouveaux savoir-faire, mais contribue à améliorer son estime d’elle-même et de valoriser son image sociale.

Le deuxième facteur déterminant est la personne elle-même. D’entrée de jeu, il importe d’évaluer minutieusement les besoins et les capacités de la personne. Dans une approche prônant l’autodétermination, ceci implique de le faire avec elle et ses proches afin de maximiser l’adéquation entre ses besoins et la tâche proposée tout en s’assurant rapidement de son intérêt pour intégrer les technologies dans sa vie quotidienne. Dès lors, il est nécessaire de tenir compte à la fois du contexte de vie de la personne, de son intérêt pour la technologie et de sa capacité à s’adapter à la nouveauté. Par conséquent, la capacité des intervenants et des proches à soutenir efficacement la personne dans l’utilisation de l’ART est essentielle.

Les qualités de l’ART constituent le troisième facteur déterminant. Il importe donc de considérer les qualités physiques de l’outil tout comme la simplicité de son utilisation et la facilité à le manipuler. De plus, le caractère ludique de l’appareil en augmente l’intérêt tout comme la possibilité de l’utiliser à d’autres fins (téléphone, musique, etc.) en fonction des intérêts de la personne.

Limites de la recherche et recommandations

Compte tenu du fait que la technologie et les tâches identifiées sont spécifiques à chacun des participants, il serait intéressant de réaliser des études utilisant d’autres devis de recherche tel qu’un devis expérimental à cas unique pour approfondir l’analyse des effets de l’ART sur les comportements autodéterminés de chaque individu. De plus, l’étude a été réalisée sur une courte période de temps et aucune mesure de généralisation ni de maintien n’a pu être réalisée. Il est recommandé de réaliser des études longitudinales afin d’examiner le maintien et la généralisation des acquis vers d’autres tâches de la vie quotidienne. Il importe donc de développer des outils et des grilles d’observation qui permettront d’évaluer adéquatement les effets de technologies de soutien sur les différentes composantes de l’autodétermination. L’étude a été réalisée auprès d’un petit échantillon de participant (N = 15) dans trois régions du Québec. Ce type d’étude devrait être reproduit auprès de plus grands échantillons et dans d’autres régions afin de vérifier l’efficacité et la généralisation des acquis. Enfin, les résultats obtenus nous permettent de dégager certaines pistes dans l’utilisation d’un ART afin de soutenir adéquatement l’émergence de comportements autodéterminés. À cet égard, certains outils pourraient être développés afin de guider les intervenants dans l’utilisation de l’ART dans une perspective d’autodétermination.

Conclusion

Malgré ses limites, cette recherche novatrice suscite des retombées importantes. Tout d’abord, l’étude a permis de traduire et d’expérimenter une première technologie d’assistance à la réalisation de tâches en sol québécois. Utilisée efficacement, cette technologie peut non seulement soutenir les personnes présentant une déficience intellectuelle à réaliser des tâches à domicile et au travail, mais également diminuer le temps d’assistance requis (présence continue d’un intervenant ou d’un proche). Il n’est donc pas question que la technologie supplée au rôle des intervenants ou des proches, mais qu’elle s’ajoute à leur banque d’outils d’intervention. Il apparaît également probable qu’une telle technologie puisse être généralisable à des personnes présentant d’autres types d’incapacités telles que les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, souffrant d’un traumatisme crânien ou présentant un trouble envahissant du développement. Une autre retombée importante concerne la prise de conscience du potentiel que représente l’ajout d’une dimension technologique aux modalités d’intervention actuelles.

Cette recherche est une première dans le domaine de la déficience intellectuelle au Québec et ouvre donc une fenêtre sur l’exploration d’autres technologies de soutien pour les personnes présentant des incapacités. Les nombreuses retombées positives observées tendent à confirmer la pertinence de poursuivre la recherche dans ce domaine.