Comptes rendus

Laura Tatoueix, Défaire son fruit : une histoire sociale de l’avortement en France à lépoque moderne, Paris, Éditions EHESS, 2024, 391 p.[Record]

  • Marie-Laurence Raby

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  • Marie-Laurence Raby
    Université Laval

La monographie Défaire son fruit : une histoire sociale de l’avortement en France à l’époque moderne de Laura Tatoueix, parue en 2024, trace un portrait complet à la fois des discours et des pratiques entourant l’avortement volontaire en France du xvie au xviiie siècle et comble ainsi un vide historiographique. L’autrice pose d’emblée l’avortement comme un fait social avéré à l’époque moderne, sa présence dans les discours témoignant de son existence dans l’univers des possibles, ce qui justifie dès lors une analyse du cadre normatif sur l’avortement tel qu’il a été énoncé par les autorités ecclésiastiques, judiciaires et médicales. Dans cette monographie, l’autrice s’interroge de prime abord sur la frontière entre infanticide et avortement volontaire à l’époque moderne, en soulignant les spécificités de l’avortement pour « considérer ces usages dans une forme de continuum » (p. 29). Elle s’intéresse ensuite aux éventuels décalages entre les discours, les représentations et les pratiques de l’avortement, et pose la question suivante (p. 30) : « Comment les discours le font-ils exister et qu’en révèlent-ils? » L’avortement étant une pratique marquée par le secret et inscrite dans la clandestinité, Tatoueix tente de faire émerger les conditions d’accessibilité à l’avortement en mettant en lumière les réseaux de circulation de l’information sur l’avortement à l’époque moderne. Finalement, l’autrice propose une réflexion sur l’évolution de la conception du crime d’avortement, où elle signale les transformations dans sa répression et les difficultés y étant liées. Pour mener à bien son étude, Tatoueix mobilise le cadre conceptuel de l’histoire du genre en vue d’analyser les représentations des femmes qui avortent de même que le clivage entre les normes – énoncées majoritairement par des hommes – et l’expérience, qui s’ancre dans un univers féminin. Comme le dit bien l’autrice, « [l]e genre s’inscrit au coeur des rapports sociaux qui se nouent autour de la pratique des avortements, conséquence d’une relation hétérosexuelle, qu’il s’agit d’explorer dans une approche d’histoire sociale » (p. 32). En reconstituant des parcours individuels, l’autrice relève le défi de mettre en lumière l’agentivité des femmes qui avortent à l’époque moderne. Elle appréhende ainsi historiquement la notion de choix et montre les contraintes sociales, notamment l’enfermement de la sexualité à l’intérieur du mariage, qui le conditionnent. L’agentivité des femmes s’exprime ensuite dans le choix de la méthode d’avortement, plus ou moins effective. Enfin, l’autrice s’appuie aussi sur le champ de l’histoire du corps, intimement lié au genre, en prêtant attention particulièrement à l’expérience de la corporéité des femmes qui avortent et en braquant le regard sur le traitement des foetus. Tatoueix mobilise plusieurs types d’archives pour comprendre l’avortement. Elle analyse d’abord la littérature savante qui construit l’avortement volontaire comme catégorie criminelle, ce qui lui permet de considérer de plus près son évolution. Elle conjugue ainsi des écrits théologiques et des traités juridiques laïques. Grâce à ces derniers, elle est en mesure de mieux saisir les problèmes liés à l’absence de criminalisation spécifique de l’avortement. L’autrice mobilise aussi les archives judiciaires pour reconstituer les expériences individuelles de l’avortement. Par exemple, elle a répertorié, dans les archives des juridictions royales et seigneuriales, une cinquantaine d’affaires menées dans le contexte de l’édit d’Henri ii. À ces affaires s’ajoutent le corpus extraordinaire de l’affaire des Poisons (1679-1682), conservé aux archives de la Bastille, et quelques cas de justice ecclésiastique. De plus, elle a dépouillé, aux Archives nationales (France) les registres contenant les rapports écrits par les chirurgiens et les médecins jurés au Châtelet pendant la période 1673-1791. Ce corpus est complété par l’analyse de factums imprimés (aussi appelés « mémoires judiciaires ») et de mémoires tels que le …