Comptes rendus

Natacha Chetcuti-Osorovitz, Femmes en prison et violences de genre. Résistance à perpétuité, Paris, La Dispute, 2021, 283 p.

  • Catherine Rossi

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  • Catherine Rossi
    Université Laval

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Cover of Psychologisation de l’oppression, Volume 36, Number 2, 2023, pp. 1-274, Recherches féministes

L’ouvrage de Natacha Chetcuti-Osorovitz porte un regard original sur la réalité et le quotidien de femmes incarcérées actuellement pour des peines de moyenne et longue durée en France. Fondé sur l’analyse de récits de vie, elle utilise une approche, qualitative et ethnographique impliquant autant des observations sur le terrain que des analyses de récits. L’auteure explore les dimensions, ô combien complexes et contradictoires, des mondes intriqués de la violence et de la détention d’un côté, et des jeux de la soumission ou de l’émancipation du féminin, de l’autre. Chetcuti-Osorovitz pose un regard sociologique nécessaire sur les itinéraires de vie des femmes détenues en France, itinéraires marqués par l’accumulation très impressionnante des violences de genre qu’elles subissent. Après avoir enduré des violences personnelles, puisque l’immense majorité d’entre elles ont été directement atteintes par une main masculine, elles ont subi de la violence contextuelle ou sociale, leur détention étant la conséquence immédiate de leur action, soit leur insurrection ou leur vengeance. Ces femmes sont devenues des actrices de la violence pour ne plus être des victimes idéales se contentant de la subir. Une fois incarcérées, elles découvrent de nouvelles violences, cette fois institutionnelles ou normées, puisque leur parcours pénal et disciplinaire imposera de se conformer à l’ordre social de genre. Enfin, elles continueront de subir, ce faisant, les pressions systémiques et structurelles de genre établies par le contexte même de leurs socialisations, culturelle, sociale, religieuse, conjugale ou sexuelle, professionnelle ou liée à l’emploi. Dès ses premières lignes, l’ouvrage semble rechercher à établir son originalité. L’auteure évoque le peu de recherches apparent portant sur le diptyque femmes et violence, ou femmes et prison. Elle reconnaît pourtant l’immense fascination, à la fois scientifique et artistique, qui est portée depuis toujours à la « femme criminelle » : en témoignent les archives historiques ou la littérature romanesque, regorgeant d’exemples clichés de femmes insoumises, frondeuses, délinquantes, différentes, allant de l’empoisonneuse à la manipulatrice, de la reine à la prostituée. L’auteure n’est pas sans rappeler à cet égard les abus de la criminologie positiviste du début du xxe siècle, qui ont plus que jamais porté atteinte aux statuts actuels des femmes. L’originalité de l’ouvrage ne tient donc pas à cela : en 2024, l’on compte par dizaines de milliers les ouvrages ou articles, ne serait-ce que strictement scientifiques, qui portent uniquement sur les femmes incarcérées. Quant à la femme criminelle, elle est un objet courant en recherche, depuis toujours, au point qu’au début du xxe siècle il existait même des concepts pour en qualifier l’étude, tels que l’enclitophilie. L’ouvrage est original pour une tout autre raison. Il étonne par la force de la démonstration selon laquelle il semble impossible qu’une femme, puisse sortir des rapports de domination et échapper aux rapports de pouvoirs quand l’expertise pénale est totalement enchevêtrée dans des attendus normatifs de genre. Ces femmes ont toutes été victimes de violences masculines additionnées de violence systémique ou structurelle; avant de devenir également des détenues. Or l’ouvrage démontre ainsi un paradoxe : l’institution carcérale insiste d’un côté pour reconnaître que toutes ces femmes sont des victimes, tout en faisant de leur statut de délinquantes le coeur de son intervention, en une boucle infinie d’auto-alimentations normatives et d’oppressions. Ces femmes ne peuvent que saisir la maigre chance d’établir, lorsque c’est possible, un discours identitaire échappatoire et émancipatoire. Se pose également, au fil de l’ouvrage, une question, elle aussi peu explorée : est-il possible de construire au quotidien, à l’intérieur des murs, un collectif de femmes détenues? Est-il seulement possible, en prison, de nouer des formes de solidarité étant donné la complexité des éléments de socialisations …