Marie José Nadal est anthropologue et spécialiste du Mexique. Elle travaille depuis les années 80 sur les mobilisations sociales et politiques des populations autochtones dans ce pays. Cet ouvrage est une synthèse de ses recherches et offre une lecture critique de l’évolution de la place des femmes autochtones mexicaines dans l’espace public en tant qu’agentes politiques et économiques. En effet, depuis les années 90, les femmes autochtones mexicaines se sont imposées comme des actrices à part entière en créant des organisations vouées à la défense de leurs droits, mais aussi en s’associant à certaines luttes. Cette synthèse de différentes recherches menées auprès de collectifs de travailleuses, d’organisations de femmes autochtones autonomes et de femmes appartenant au mouvement zapatiste analyse la construction complexe de l’identité des femmes autochtones, les rapports de pouvoir au sein desquels elles évoluent ainsi que les revendications qu’elles formulent. L’ouvrage s’articule autour de deux éléments clés de l’espace public selon Marie José Nadal : l’espace économique et l’espace politique. La première partie explore donc l’évolution des politiques de développement rural, notamment dans l’État du Yucatán, où la majorité de la démarche terrain a été effectuée. Cette exploration illustre l’entrée de certaines femmes dans des activités économiques formelles encouragée par l’État mexicain, les organisations non gouvernementales et les organisations internationales. Cette entrée s’est traduite par une redéfinition des rapports de genre et de classe au coeur même des communautés. Elle correspond également à l’imposition d’une vision essentialisée de l’identité « femme autochtone », sexiste et raciste, promue par les programmes internationaux de développement. Cette partie s’appuie sur un travail de terrain auprès des regroupements de travailleuses, à partir des récits de vie et de l’observation participante qui permettent d’enrichir la compréhension de l’évolution des rapports de pouvoir de genre, de classe et de race. La seconde partie s’intéresse à la construction d’un espace politique où les femmes autochtones mexicaines deviennent des actrices à part entière à partir des années 90, en tant que femmes, mais aussi en tant que femmes autochtones. Marie José Nadal retrace la création d’un espace politique particulier qui s’articule autour de deux imaginaires distincts : « le corporatisme et la résistance rebelle » (p. 9). Le corporatisme transparaît notamment à travers la participation à des espaces politiques internationalisés influencés par les organisations internationales onusiennes. Cette position se caractérise par un discours féministe différentialiste mettant davantage l’accent sur les discriminations liées à l’identité ethnique et moins sur celles de genre vécues dans les communautés autochtones. D’autre part, la résistance rebelle des femmes autochtones s’exprime au sein de mouvements politiques subversifs tels que le mouvement zapatiste, qui articule à la fois des demandes en matière de genre, de classe et de race pour exiger un changement systémique contrairement au corporatisme (p. 276). L’autonomie devient une stratégie centrale pour formuler d’autres conceptions du politique. Cette partie s’appuie sur différentes stratégies de recherche : observation, analyse de discours des dirigeantes d’organisations de femmes autochtones et entretiens avec des militantes. Ce retour sur plus de trente années de recherche permet à l’auteure de tirer un certain nombre de constats sur l’évolution de la place des femmes autochtones mexicaines dans l’espace public et sur les rapports de pouvoir complexes dans lesquels elles évoluent et sur lesquels elles agissent. D’abord, les interventions des institutions internationales – tant dans les programmes de développement pour intégrer les femmes à l’économie formelle que dans la formation de dirigeantes politiques – contribuent à une vision essentialisée de leur identité et à leur assujettissement en imposant un modèle occidentalocentré pour leur « émancipation ». Ensuite, la participation des femmes, que ce soit dans des coopératives de …
Appendices
Références
- DAMIÁN, Gisela Espinosa, 2009 « Movimientos de mujeres indígenas y populares en México: encuentros y desencuentros con la izquierda y el feminismo », Filosofía, política y economía en el Laberinto, 29 : 9-28.
- HERNÁNDEZ CASTILLO, R. Aida, 2010 « The Emergence of Indigenous Feminism in Latin America », Signs: Journal of Women in Culture and Society, 35, 3 : 539-545.
- OLIART, Patricia, 2008 « Indigenous Women’s Organizations and the Political Discourses of Indigenous Rights and Gender Equity in Peru », Latin American and Caribbean Ethnic Studies, 3, 3 : 291-308.
- ROUSSEAU, Stéphanie, et Anahi MORALES HUDON, 2016 Indigenous Women’s Movement in Latin America: Gender and Ethnicity in Peru, Mexico and Bolivia. New York, Palgrave.