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Au Canada et ailleurs, certaines études récentes révèlent l’ampleur des violences sexuelles en milieu d’enseignement supérieur et en milieu sportif. Ces deux environnements sont traversés par des rapports sociaux de genre et des rapports hiérarchiques. Plusieurs recherches ont documenté la prévalence des violences sexuelles (VS) dans le sport, et d’autres vécues par la population étudiante universitaire. Or, les recherches ne permettent pas de documenter précisément l’ampleur et les caractéristiques des violences sexuelles au collégial (VSMC) dans la communauté étudiante athlète. Le portrait des situations de VS est encore méconnu pour cette communauté au Québec, composée d’un peu plus de 11 000 étudiantes et étudiants athlètes, qui conjuguent leurs études collégiales et la pratique d’un sport à titre d’athlète représentant officiellement son cégep (Réseau du sport étudiant du Québec 2020). Nous abordons de manière spécifique, dans notre recherche, les violences sexuelles subies par les étudiantes et les étudiants athlètes qui évoluent au collégial et commises par des personnes affiliées à leur établissement (engagées ou non dans l’équipe sportive).

On sait que le milieu d’enseignement supérieur et le milieu sportif constituent deux environnements traversés par des rapports sociaux de genre et des rapports hiérarchiques. Dans son texte sur la sociologie du genre et du sport, Cheryl Cooky (2018) souligne que le milieu du sport n’est pas neutre : les sports contribuent au maintien des relations de pouvoir genrées et à la reproduction d’un environnement qui favorise la conception de la supériorité masculine et de l’infériorité féminine (notamment par la ségrégation toujours présente entre les hommes et les femmes dans le sport). Dans un même ordre d’idées, Martin D. Schwartz (2021) explore le lien entre les masculinités, le sport et la violence envers les femmes en mobilisant la théorie du soutien par les pairs et les paires. Ce cadre théorique éclaire la situation quant aux différents facteurs qui influent sur la violence envers les femmes, dont les facteurs sociaux suivants : un environnement de consommation excessive d’alcool, le fait de faire partie d’un groupe social qui valorise une « vision étroite de la masculinité hégémonique et une vision objectivée de la place des femmes dans la société » (Schwartz et DeKeseredy 1997, cités dans Schwartz (2021 : 692; notre traduction)), ou encore l’absence de conséquences ou même la possibilité de récompenses positives au sein du groupe après la perpétration des gestes répréhensibles.

Dans notre article, nous nous appuyons sur un cadre féministe permettant de concevoir les violences sexuelles dans leur dynamique genrée, systémique et de continuum, comme le proposent de nombreuses chercheuses et militantes féministes, depuis les travaux pionniers de Liz Kelly (1987) et de Jalna Hanmer (1977). Sans s’y limiter, le continuum des violences sexuelles inclut des manifestations telles que le (cyber)harcèlement sexuel, les actes de voyeurisme ou d’exhibitionnisme, la diffusion d’images ou de vidéos sexuelles d’une personne sans son consentement, les attouchements, les frôlements et les baisers non désirés, l’agression sexuelle ainsi que les promesses de récompense en échange de faveurs sexuelles. Globalement, nous retenons la définition inclusive suivante de la VS (UQAM 2019 : 9) :

Comportements, propos et attitudes à caractère sexuel non consentis ou non désirés, avec ou sans contact physique, incluant ceux exercés ou exprimés par un moyen technologique, tels les médias sociaux ou autres médias numériques.

L’ampleur et les conséquences des violences sexuelles dans le sport et pendant les études postsecondaires

La pratique d’un sport et de l’activité physique engendre plusieurs bienfaits au niveau tant psychologique que physique (Mountjoy et autres 2016; Organisation mondiale de la Santé 2019). Toutefois, au sein du milieu sportif peut se créer un climat violent, et les athlètes y vivent parfois de la violence psychologique, physique et sexuelle (Kerr, Willson et Stirling 2019; Mountjoy et autres 2016). Au Canada, une étude rapporte que 19,7 % des athlètes d’équipes nationales de l’échantillon (n = 1 001), soit 17,5 % des femmes et 2,1 % des hommes, ont subi au moins une forme de VS dans le milieu du sport au cours de leur carrière d’athlète; ces gestes ont principalement été commis par les entraîneurs et les entraîneuses, et les autres athlètes qui les côtoient (Kerr, Willson et Stirling 2019). Les VS chez les athlètes donnent lieu à diverses conséquences telles que des répercussions sur la performance et la carrière sportive, y compris la diminution de la performance et la baisse de la motivation, ainsi que diverses séquelles sur le plan psychologique (Fasting, Brackenridge et Walseth 2002; Kerr, Willson et Stirling 2019; Ohlert, Rau et Allroggen 2019).

En ce qui concerne les VS dans les milieux d’enseignement supérieur, l’Enquête sur la sécurité individuelle au sein de la population étudiante postsecondaire (ESIPEP), réalisée en 2019 par Statistique Canada, rapporte que 44,6 % des femmes et 32,2 % des hommes ont été la cible d’au moins un comportement sexualisé non désiré dans un contexte d’études postsecondaires au cours des 12 mois précédant l’enquête (Burczycka 2020). Au Québec, l’Enquête sexualité, sécurité et interactions en milieu universitaire (ESSIMU), menée en 2016 dans six universités (n = 6 554), précise que 39,2 % des étudiantes et 26 % des étudiants ont subi au moins un évènement de VS en milieu universitaire depuis leur arrivée à l’université (Bergeron et autres 2016). Les VS peuvent entraîner des répercussions considérables chez les étudiants et les étudiantes quant à leur bien-être émotionnel et mental ainsi que sur leurs études (Bergeron et autres 2016; Burczycka 2020).

L’étude de Kari Fasting, Stiliani Chroni et Nada Knorre (2014) est l’une des rares recherches qui rapporte la VS subie précisément par des étudiantes athlètes en milieu universitaire et sportif. Réalisée dans trois pays européens auprès de 616 étudiantes athlètes, l’étude rapporte que 50 % d’entre elles avaient subi du harcèlement sexuel en milieu sportif (33 %) et en milieu d’enseignement supérieur (38 %) depuis leur arrivée à l’université.

Les enquêtes populationnelles (Conroy et Cotter 2017) de même que les études dans le sport et dans les milieux d’enseignement supérieur confirment que les groupes les plus susceptibles de subir de la VS sont notamment les femmes et les personnes issues de la diversité sexuelle (Bondestam et Lundqvist 2020; Burczycka 2020; Martin-Storey et autres 2018; Ohlert, Rau et Allroggen 2017; Université d’Ottawa 2015; Vertommen et autres 2016). En milieu sportif, un écart d’âge important entre l’athlète et celui ou celle qui l’entraîne (Cense et Brackenridge 2001; Kirby, Greaves et Hankinsky 2000; Ohlert, Rau et Allroggen 2017) et le fait d’avoir précisément un entraîneur (Décamps et autres 2009; Fasting et autres 2010; Kerr, Willson et Stirling 2019) sont des caractéristiques augmentant les risques de subir de la VS.

Plusieurs études ont documenté le genre et le statut des individus commettant des gestes de VS. Ce sont majoritairement des hommes ayant le même statut hiérarchique, soit un pair étudiant (Burczycka 2020; Cantor et autres 2019) ou encore un pair athlète (Décamps et autres 2009; Kerr, Willson et Stirling 2019). D’ailleurs, Fasting, Chroni et Knorre (2014) rapportent que les étudiantes athlètes subissaient plus de gestes de harcèlement sexuel commis par leurs pairs ou paires (28,0 % des étudiants et 22,6 % des autres athlètes) que par un homme en position d’autorité (17,8 % des entraîneurs et 17 % des enseignants).

Quant aux contextes dans lesquels sont survenus les évènements de VS, l’ESIPEP rapporte que la majorité des comportements sexualisés non désirés se sont déroulés sur le campus, alors que les agressions sexuelles se sont majoritairement produites hors campus (Burczycka 2020). Quant au milieu sportif, les situations de VS adviennent à l’occasion de séances d’entraînement, de compétitions, de déplacements, dans les vestiaires, dans les hôtels (en contexte de compétition), dans des lieux privés (Kirby, Greaves et Hankinsky 2000; Mountjoy et autres 2016) ou pendant des initiations sportives (Fogel et Quinlan 2020; Kerr, Willson et Stirling 2019). Dans leur étude, Susanne Johansson et Carolina Lundqvist (2017) rapportent que les situations de harcèlement et d’agression sexuelle commises par un entraîneur ou une entraîneuse ont eu lieu principalement dans un contexte sportif (avant ou après les séances d’entraînement, au cours des compétitions ou des camps d’entraînement), mais des athlètes ont également subi ces situations durant une activité sociale liée au sport, dans une situation privée ou par l’entremise des réseaux sociaux.

Dans le milieu de l’éducation, comme dans le milieu sportif, les taux de signalement des situations de VS sont faibles. Statistique Canada précise que moins de 10 % des personnes aux études ayant été victimes de VS ont parlé de l’évènement à leur établissement d’enseignement (Burczycka 2020). Chez les athlètes d’élite du Canada ayant subi au moins une expérience d’abus, de harcèlement ou d’intimidation, 84 % n’avaient pas signalé la situation à leur organisation (Kerr, Willson et Stirling 2019).

Dans la même étude, des athlètes considéraient que les VS étaient normalisées et acceptées dans le sport (Kerr, Willson et Stirling 2019). Par ailleurs, la recension de Sylvie Parent et de Kristine Fortier (2018) sur la problématique de la violence envers les athlètes souligne que la normalisation et la tolérance de la violence dans le domaine sportif constituent le facteur de risque socioculturel le plus documenté pour l’ensemble de formes de violence, dont la VS. D’ailleurs, le rapport réalisé par l’Université de Toronto en vue de réviser les politiques canadiennes sur le harcèlement et l’abus dans le sport montre que la culture du sport peut parfois mener au refus de reconnaître et de signaler les situations de VS (Donnelly et Kerr 2018).

Les objectifs

L’insuffisance de données récentes et publiées au Québec et au Canada ne permet pas d’établir un portrait de la situation actuelle des VS précisément chez les athlètes qui étudient au collégial. Notre étude se différencie des travaux précédents en ce qu’elle s’intéresse en particulier à ces athlètes. En effet, elle a pour objet de documenter les VSMC subies par des athlètes qui fréquentent cinq cégeps francophones au Québec. L’expression « milieu collégial » signifie que les gestes ont été commis par une personne affiliée au même cégep. Les trois objectifs de notre étude sont les suivants : 1) estimer la proportion d’étudiantes et d’étudiants athlètes qui ont été victimes ou témoins de situations de VSMC ou qui ont reçu des confidences à ce sujet; 2) décrire les caractéristiques des situations de VSMC; et 3) examiner les différences et les similitudes entre les étudiantes et les étudiants athlètes qui ont rapporté avoir subi une situation de VSMC.

Le dispositif méthodologique

Les données proviennent du Projet intercollégial d’étude sur le consentement, l’égalité et la sexualité (PIECES), mené au Québec auprès de l’ensemble de la communauté (études ou travail) de cinq cégeps francophones (Bergeron et autres 2020). Le seul critère d’inclusion était de travailler pour l’un des cinq cégeps partenaires ou d’y étudier au moment de la collecte de données (novembre 2019). Après l’approbation des comités d’éthique de recherche, l’invitation à participer à la recherche a été relayée par les cégeps à l’ensemble de leur communauté, par l’intermédiaire de leurs listes institutionnelles. Des précisions méthodologiques supplémentaires peuvent être consultées dans le rapport de recherche (Bergeron et autres 2020). L’échantillon total pour PIECES compte 6 006 répondantes et répondants. Dans la présente étude, nous avons retenu exclusivement les 218 personnes qui ont rempli le questionnaire et ont déclaré être aux études et faire partie d’une équipe sportive officielle au collégial à titre d’athlète.

Le questionnaire comme outil de collecte de données

Le questionnaire comprenait quatre sections. Nous les présentons brièvement ci-dessous.

Données sociodémographiques. Cette section comportait une série de questions permettant de recueillir les données sociodémographiques, notamment l’âge, le genre, l’orientation sexuelle, la durée de fréquentation du cégep, le programme d’études et le statut d’étudiant ou d’étudiante athlète.

Victimisation sexuelle en milieu collégial (α = 0,86). Pour documenter la fréquence des situations de VSMC, nous avons utilisé l’instrument Sexual Experiences Questionnaire SEQ-Dod (Fitzgerald et autres 1999) composé de 21 énoncés répartis en trois sections :

  1. le harcèlement sexuel (α = 0,81), comprenant tous les comportements verbaux et non verbaux qui ne visent pas la coopération sexuelle, mais qui se traduisent par des attitudes insultantes, hostiles et dégradantes;

  2. les comportements sexuels non désirés (α = 0,78), y compris les comportements verbaux et non verbaux offensants, non désirés et non réciproques;

  3. la coercition sexuelle (α = 0,66), soit le chantage en échange de considérations futures liées à l’emploi, aux études ou au sport, qui se manifeste aussi par de la pression, des menaces ou des représailles en cas de refus de s’engager dans des activités de nature sexuelle.

Pour chaque énoncé, les personnes interrogées précisaient si une autre personne affiliée à leur cégep avait commis ce geste envers elles depuis leur arrivée au cégep et au cours des 12 derniers mois.

Cette section comprenait également une série de questions concernant le statut au cégep, le genre et la position hiérarchique des individus ayant commis les gestes de VSMC (« la personne ou une des personnes ayant commis les gestes ci-haut était-elle en position de pouvoir envers vous, avait de l’autorité sur vous? »), de même que les contextes des situations rapportées. Des réponses à ces questions ont été obtenues pour l’ensemble des énoncés, mais sans possibilité de croiser les variables (par exemple, il n’est pas possible de déterminer la proportion d’hommes qui ont commis une agression et qui ont un statut hiérarchique supérieur). Pour ce qui est des contextes, une liste de 13 choix de réponses était offerte, par exemple : dans des activités liées aux études, dans un contexte sportif, dans l’environnement virtuel, à l’occasion d’une fête, d’un cinq à sept ou d’une autre activité sociale.

Signalement et dénonciation au cégep. La question suivante permettait de savoir si l’étudiante ou l’étudiant avait signalé les évènements subis aux instances ou aux personnes-ressources du cégep : « Avez-vous signalé ou dénoncé les évènements que vous avez vécus aux instances/ressources du cégep (et non à votre entourage personnel)? ».

Être témoin ou recevoir des confidences. Cette section comportait deux questions. Concernant la première, la personne indiquait si elle avait déjà été témoin d’une forme de VSMC. La seconde question traitait du fait d’avoir reçu des confidences de la part d’une personne du cégep ayant subi des VSMC. Cette section ne comportait pas de questions supplémentaires sur l’identité des personnes concernées (les victimes pouvaient donc faire partie de l’équipe sportive ou non).

Le profil de l’échantillon et les analyses effectuées

L’échantillon compte 218 athlètes qui étudient au collégial, soit 66,5 % s’identifiant comme femmes (n = 145) et 33,5 %, comme hommes (n = 73)[2]; 88,5 % des athlètes s’identifient à l’hétérosexualité. La majorité de l’échantillon (63,8 %) est âgée de 18 à 25 ans. Le tableau 1 expose l’ensemble des caractéristiques sociodémographiques.

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon

Caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon

i Dans notre étude, l’expression « minorité sexuelle » fait référence aux personnes ayant répondu être homosexuelles, gaies, lesbiennes, bisexuelles, bispirituelles, queers, pansexuelles, allosexuelles ou asexuelles, ou qui ont sélectionné l’option « Autre » à la question de l’orientation sexuelle.

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Nous avons mené plusieurs analyses dans le contexte de notre étude. D’abord, pour vérifier que le profil sociodémographique entre les hommes et les femmes était comparable, nous avons effectué des analyses comparatives exploratoires de chi carré. Il n’y a pas de différence statistiquement significative selon le genre pour les variables suivantes : l’âge (χ2 = 0,513; p = 0,774); le programme d’études (χ2 = 1,661; p = 0,436); le nombre de sessions (χ2 = 1,536; p = 0,464); l’orientation sexuelle (χ2 = 1,186; = 0,553). Des analyses descriptives ont été réalisées pour obtenir les fréquences par rapport à l’ensemble des variables (objectifs 1 et 2). Pour répondre au troisième objectif, des analyses de chi carré ont également été faites en vue de comparer les hommes et les femmes. Les tailles d’effet présentées dans l’ensemble des tableaux peuvent être interprétées en utilisant l’échelle de Cohen (1988). Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Statistical Package for the Social Sciences Statistics (version 27.0).

L’interprétation des résultats

L'ampleur et le caractère répétitif des violences sexuelles

Les données révèlent que 39,9 % des étudiantes et des étudiants athlètes ont été l’objet de gestes de VSMC commis par une ou un individu fréquentant leur établissement, et ce, depuis leur arrivée au cégep (tableau 2). Plus précisément, 35,3 % rapportent avoir subi du harcèlement sexuel; 17,0 %, des comportements sexuels non désirés; et 4,6 %, de la coercition sexuelle. En considérant la période des 12 mois précédant l’enquête, 38,5 % de l’échantillon a subi au moins une forme de VSMC : 34,4 %, du harcèlement sexuel; 14,7 %, des comportements sexuels non désirés; et 3,2 %, de la coercition sexuelle. Par ailleurs, les analyses indiquent des différences significatives selon le genre, et ce, pour les deux temps de référence : les femmes sont significativement plus nombreuses à rapporter avoir subi au moins un évènement de VSMC que les hommes depuis leur arrivée au cégep (respectivement 45,5 % contre 28,8 %) et au cours des 12 mois précédant l’enquête (respectivement 44,1 % par rapport à 27,4 %). Le harcèlement sexuel est la forme la plus fréquente de VSMC, et elle demeure significativement plus élevée chez les femmes. Depuis leur arrivée au cégep, les étudiantes athlètes ont davantage subi de harcèlement sexuel (42,1 %) que les étudiants athlètes (21,9 %). Il en va de même pour les 12 mois précédant l’enquête (41,4 % en regard de 20,5 %).

Tableau 2

Pourcentage d’étudiantes et d’étudiants athlètes ayant rapporté des évènements de VSMC selon la forme et selon le genre

Pourcentage d’étudiantes et d’étudiants athlètes ayant rapporté des évènements de VSMC selon la forme et selon le genre
  • Note : ϕ’ est la taille d’effet.

  • * p < 0,05.

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Par ailleurs, si nous examinons précisément le harcèlement sexuel et l’orientation sexuelle, nous constatons que les étudiantes et les étudiants athlètes issus de la minorité sexuelle sont significativement plus à risque en ce qui concerne le harcèlement sexuel que ceux et celles qui déclarent une orientation hétérosexuelle, et ce, pour les 12 mois précédant l’enquête (respectivement 52,0 % comparativement à 32,1 %; χ2 = 3,874; p = 0,05) et depuis leur arrivée au cégep (respectivement 56,0 % contre 32,6 %; χ2 = 5,29; p = 0,02).

Les résultats révèlent que la même personne peut avoir subi plusieurs formes de VSMC, ce qui est nommé le « phénomène de la cooccurrence ». Parmi les 87 athlètes ayant vécu des VSMC depuis leur arrivée au cégep, 64,4 % en ont subi une seule forme (52,9 % du harcèlement sexuel, 8 % des comportements sexuels non désirés, 3,4 % de la coercition sexuelle); 28,7 % en ont subi deux formes (27,6 % du harcèlement sexuel et des comportements sexuels non désirés, 1,1 % du harcèlement sexuel et de la coercition sexuelle); et 6,9 % ont vécu les trois formes. La proportion de femmes rapportant deux formes et plus (37,9 %) est plus élevée que celle des hommes (28,6 %), mais cette différence n’est pas significative statistiquement (χ2 = 0,63; p = 0,73). Rappelons qu’il est question de situations de violences sexuelles commises par une ou un individu fréquentant le même établissement (faisant partie ou non de l’équipe sportive) que la personne victime.

Les contextes des événements et les caractéristiques des individus commettant des violences

Les évènements de VSMC se sont produits le plus fréquemment pendant les activités liées aux études (54,8 %). Les autres contextes sont les suivants : 22,6 %, dans un contexte sportif (y compris lors d’une activité d’intégration sportive); 21,4 %, lors d’une fête, d’un cinq à sept ou d’une autre activité sociale; 19,0 %, pendant l’exécution des tâches d’emploi étudiant au cégep; et 15,5 %, dans l’environnement virtuel. Il n’y a pas de différence significative statistiquement selon le genre. Même si les données n’apportent pas cette précision, il est plausible de supposer que certaines situations survenues lors d’activités sociales ou en ligne soient liées à l’engagement sportif.

Le statut au collégial, le genre et la position hiérarchique des individus ayant commis les gestes de VSMC ont été examinés (tableau 3). Dans l’échantillon, 89,5 % des personnes victimes précisent que l’individu ayant commis les gestes de VSMC avait un statut étudiant. Ce pourcentage est similaire entre les femmes et les hommes. Dans les quelques cas où le statut est celui de membre du personnel non enseignant, on compte un membre du personnel de l’équipe sportive (n = 1) et des individus responsables de la prévention et de la sécurité sur le campus (n = 2). Par ailleurs, 10,1 % des personnes victimes ont indiqué que l’individu ayant commis les gestes de VSMC était en position de pouvoir envers elles.

En ce qui concerne le genre des individus ayant commis les gestes de VSMC, ils sont majoritairement identifiés comme des hommes (85,9 %) par l’ensemble de l’échantillon, mais ce pourcentage varie selon le genre de la personne victime. En effet, 96,9 % des femmes et 50 % des hommes ont identifié au moins un homme responsable des gestes de VSMC, alors que 21,5 % des étudiantes athlètes et 73,7 % des étudiants athlètes ont identifié au moins une femme responsable des gestes de VSMC.

Tableau 3

Caractéristiques des individus ayant commis les gestes de VSMC selon le genre des personnes victimesii

Caractéristiques des individus ayant commis les gestes de VSMC selon le genre des personnes victimesii
  • ii Le total dépasse 100 %, car il était possible de cocher plus d’une réponse (si plus d’une situation était subie).

  • Note : ϕ est la taille d’effet.

  • * p < 0,05.

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Notons que la collecte de données ne permet pas d’inclure diverses caractéristiques contextuelles. Par exemple, nos données ne permettent pas de documenter si les personnes aux études ayant commis les gestes de VSMC étaient des athlètes (ou non) ou encore de déterminer si les activités sociales étaient circonscrites à l’engagement sportif (ou non).

La dénonciation ou le signalement au cégep

Sur les 87 athlètes ayant fait l’objet de VSMC, 92,0 % n’ont jamais dénoncé ni signalé aucun évènement aux instances du cégep, ni à une personne ou à des ressources d’aide au cégep. « Dénoncer » ou « signaler » signifiant avoir communiqué les évènements de VSMC aux personnes-ressources ou instances du cégep, cette démarche ne se limite donc pas à une plainte officielle. Ce résultat est similaire pour les femmes (92,9 %) et les hommes (89,5 %) (χ2 = 0,221; p = 0,64).

Être témoin ou recevoir des confidences

Dans l’ensemble de l’échantillon, 12,6 % des athlètes déclarent avoir été témoins de gestes de VSMC dans le contexte de leurs activités au cégep, et cette proportion est similaire entre les femmes et les hommes (respectivement 10,3 % contre 16,9 %; χ2 = 1,552; p = 0,21). Par ailleurs, 17,1 % affirment avoir déjà reçu les confidences d’une personne du cégep ayant fait l’objet de VSMC de la part d’une autre personne affiliée au même établissement. Ce pourcentage est similaire entre les étudiantes athlètes et les étudiants athlètes (16,4 % en regard de 18,6 %; χ2 = 0,141; p = 0,71).

Discussion

Les résultats de notre étude permettent de décrire les expériences de VSMC chez les étudiantes et les étudiants athlètes en milieu collégial et d’établir les différences et les similitudes selon le genre. Les personnes visées évoluant à la fois dans une équipe sportive et dans une communauté étudiante, il nous apparaît essentiel de prendre en considération ce double statut pour rendre compte des expériences de victimisation sexuelle au cours de leur trajectoire scolaire au collégial, dont les conséquences potentielles peuvent nuire aux deux sphères simultanément.

Le fait que près de quatre étudiantes ou étudiants athlètes sur dix (39,9 %) ont subi un évènement de VSMC depuis leur arrivée au cégep indique la grande ampleur de la situation dans cette communauté. Selon le rapport de recherche de PIECES exposant globalement les résultats pour l’échantillon complet, ce pourcentage se situe à 34,6 % pour le groupe des étudiantes et étudiants (Bergeron et autres 2020), ce qui semble relativement comparable. D’ailleurs, Sylvie Parent et autres (2022) ont récemment publié un portrait comparatif des violences sexuelles entre les personnes athlètes et non athlètes qui étudient dans une université québécoise. Les analyses de régression démontrent que le statut d’athlète n’augmente pas le risque de subir de la violence sexuelle à l’université, puisque la victimisation sexuelle est plutôt expliquée par la variable de l’âge (les athlètes étant plus jeunes) et le fait d’avoir subi de la violence sexuelle à l’enfance. Des analyses similaires seraient éclairantes pour la population au collégial, bien que la durée des études au cégep soit plus courte et qu’un écart d’âge entre les deux groupes soit moins probable. Par-delà l’intérêt d’une comparaison future entre les deux groupes, notre étude révèle le pourcentage élevé de victimisation sexuelle pour un échantillon exclusivement composé d’athlètes au collégial, ce qui comprend des gestes subis durant leur participation sportive au cégep et commis par des personnes affiliées au même établissement. C’est donc une contribution unique en comparaison des études antérieures qui ont largement documenté la victimisation sexuelle chez les athlètes d’élite ou à l’échelle de l’université (athlètes ou non).

Par ailleurs, les situations de VSMC sont plus fréquentes chez les femmes, et ce, pour les deux périodes de référence. Le harcèlement sexuel est la forme la plus fréquente rapportée par les étudiantes et les étudiants athlètes, et on voit apparaître le harcèlement sexuel dans tous les cas de cooccurrence avec les autres formes de VSMC. Selon notre étude, les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes à avoir été la cible de gestes de harcèlement sexuel depuis leur arrivée au cégep; et les personnes issues de la minorité sexuelle sont également plus à risque quant à ces gestes que les personnes d’orientation hétérosexuelle. Ces résultats convergent avec l’ensemble des études antérieures, qui réitèrent que ces deux groupes sont parmi les plus touchés par les VS, autant dans les études populationnelles (Conroy et Cotter 2017) que dans les études sur les populations étudiantes (Burczycka 2020) et les athlètes (Ohlert, Rau et Allroggen 2017; Vertommen et autres 2017). Des relations d’autorité sont également présentes dans le quotidien des étudiantes et des étudiants athlètes, alors que le genre est utilisé comme système de division et marqueur d’inégalité dans les milieux d’enseignement supérieur (Cardi, Naudier et Pruvost 2005) et sportif (Brackenridge 2001). En milieu sportif, certaines études documentent la banalisation ou la normalisation de la VS (Kerr, Willson et Stirling 2019; Parent et Fortier 2018; Stirling et Kerr 2009). Dans le milieu sportif canadien, la recherche menée par Sandra Kirby, Lorraine Greaves et Olena Hankinsky (2000) rapporte que les athlètes qualifiaient l’environnement sportif comme sexiste, soulignant que les commentaires sexistes et sexuels étaient normalisés ou tolérés. En 2019, des athlètes canadiens ont rapporté que le motif de discrimination le plus vécu dans le milieu sportif était la discrimination basée sur le genre (Kerr, Willson et Stirling 2019). Ainsi, il apparaît nécessaire que la prévention de la VS lutte contre la banalisation du harcèlement sexiste et sexuel.

La forte majorité des étudiantes et des étudiants athlètes signalent que les gestes de VSMC ont été commis par une personne aux études (89,5 %) (athlète ou non). À cet égard, l’étude de Belinda-Rose Young et autres (2017), réalisée auprès d’étudiants universitaires, athlètes et non athlètes, révèle que les athlètes adhéraient davantage aux mythes sur le viol et aux stéréotypes de genre, et qu’ils étaient plus nombreux à s’engager dans des comportements de coercition sexuelle que les non athlètes. Par ailleurs, soulignons qu’environ 10 % des situations impliquent une ou un individu ayant une position d’autorité ou de pouvoir sur la personne victime, que ce soit à titre de membre ou non du personnel de l’équipe sportive. Pour le milieu sportif, les relations athlètes-entraîneur ou entraîneuse basées sur le pouvoir, la proximité et les limites floues constituent également des conditions propices menant à des situations de VS (Gaedicke et autres 2021). Subséquemment, il est primordial que les interventions visant la prévention s’adressent à la communauté étudiante athlète mais également au personnel sportif, et qu’elles abordent autant les croyances liées aux genres, les attitudes à l’égard des violences sexuelles (y compris le harcèlement sexuel) que les relations de pouvoir et les situations de proximité.

Les résultats révèlent que plus d’un évènement de VSMC sur cinq a lieu dans un contexte sportif (y compris à l’occasion une activité d’intégration). Dans le milieu du sport, les inégalités de pouvoir sont observables entre les athlètes, particulièrement entre les vétérans ou les vétéranes et les recrues, et elles constituent un facteur de risque (Jeckell, Copenhaver et Diamond 2018). Ces inégalités se concrétiseraient particulièrement dans un contexte d’initiation (hazing) pouvant mener à des actes humiliants, intimidants, dégradants ou de VS (Fogel et Quinlan 2020; Waldron 2015). Un évènement sur cinq s’est produit durant une activité sociale; et près d’un sur six, dans l’environnement virtuel. Les données ne nous permettent pas de distinguer si ces évènements impliquent ou non des membres de l’équipe sportive (par exemple, des personnes ont pu sélectionner le contexte sportif et le contexte festif pour une soirée de fête après une compétition sportive, ou encore des personnes ont pu choisir l’environnement virtuel pour du cyberharcèlement sexuel de la part d’une personne de l’équipe). Cependant, il est bien connu que les étudiantes et les étudiants athlètes se fréquentent à l’extérieur des activités sportives. La prévention des violences sexuelles auprès des athlètes devrait alors aborder les multiples contextes possibles qui peuvent tous devenir des lieux de reproduction des rapports de pouvoir établis en milieu sportif.

Enfin, selon les données fournies dans le rapport de recherche de PIECES (Bergeron et autres 2020), 7,7 % des étudiantes et des étudiants (non athlètes et athlètes confondus) affirment avoir été témoins de VSMC, en comparaison de 12,6 % dans notre échantillon exclusivement composé d’athlètes au collégial. Cela suggère que ceux-ci et celles-ci pourraient être davantage témoins de VSMC que les non athlètes. De plus, près de deux athlètes sur dix rapportent avoir reçu les confidences d’une personne ayant subi une situation de violence sexuelle perpétrée par une autre personne affiliée à leur établissement (en contexte sportif ou scolaire). Ces résultats montrent l’importance de former les étudiantes et les étudiants athlètes à intervenir en présence de manifestations de VSMC, ainsi qu’à réagir de manière appropriée si une confidence leur est faite. Une réaction juste et pertinente envers la personne victime peut apporter des effets positifs, tels que l’encourager à utiliser les ressources spécialisées de son établissement en prévention des VSMC et, ultimement, réduire la tolérance sociale envers les VS dans le milieu scolaire et sportif.

Dans notre échantillon du collégial, neuf athlètes victimes de VSMC sur dix indiquent n’avoir jamais dénoncé ni signalé de tels gestes aux personnes-ressources ou instances de leur cégep. Ce taux de non-signalement suggère qu’un grand nombre d’étudiantes et d’étudiants athlètes ne bénéficient pas de services d’aide pour faire cesser les situations de VSMC ou pour obtenir du soutien approprié. À noter que, à la suite de l’adoption de la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements denseignement supérieur (Gouvernement du Québec 2017 : 2), les étudiantes et les étudiants athlètes, comme toutes les personnes aux études, ont accès à un guichet unique, une nouvelle procédure permettant de dénoncer les gestes de VSMC de façon confidentielle. Subséquemment, il est primordial que les cégeps s’assurent que cette ressource soit connue de la communauté étudiante athlète, que cette dernière sache qu’elle est accessible, confidentielle, et ne risque pas de mettre en péril le développement sportif ou scolaire. Récemment, l’organisme Sport’Aide et toutes les fédérations sportives au Québec ont ajouté, sur leur site Web, le lien menant à une plateforme destinée à recevoir les plaintes des athlètes (ou toute personne impliquée dans le sport) (Sport’Aide 2022). Cette plateforme, nommée Alias, permet de dénoncer l’abus, le harcèlement et les violences dans le sport, de façon confidentielle par une seconde entité. Cette mesure indépendante et les guichets uniques doivent être mis en avant, particulièrement auprès de la communauté étudiante athlète.

Conclusion

Notre étude nous a permis de fournir des données spécifiques concernant la présence accrue des VSMC au sein de la communauté étudiante athlète, mais elle comporte certaines limites. Premièrement, l’échantillon est considéré comme étant de convenance : il n’est donc pas possible d’inférer ces résultats à l’ensemble de la communauté athlète au collégial au Québec. Par ailleurs, l’échantillon compte 34 % d’hommes, alors que le groupe des étudiants-athlètes en milieu collégial compte pour plus de la moitié des athlètes : cette sous-représentation masculine pourrait potentiellement inférer sur les taux de victimisation sexuelle. Deuxièmement, le questionnaire a été construit pour l’ensemble de la communauté collégiale et ne s’adressait donc pas à proprement parler aux étudiants et aux étudiantes athlètes et au contexte sportif (par exemple, des options de choix de réponses plus précisément liées au contexte sportif auraient pu être ajoutées ainsi qu’un choix de réponses permettant d’identifier une étudiante ou un étudiant athlète). La structure du questionnaire a limité ainsi l’exploitation des données pour un portrait exclusivement en contexte sportif; rappelons cependant que l’objectif de notre étude était de documenter le parcours de personnes aux études combinant un double statut (étudiant et athlète). Enfin, l’absence ou le petit nombre de personnes issues de la minorité sexuelle et de genre n’a pas permis d’inclure ces groupes dans l’ensemble des analyses, alors qu’ils sont plus à risque en ce qui concerne les VS dans le milieu sportif et dans l’enseignement supérieur (Martin-Storey et autres 2018; Ohlert, Rau et Allroggen 2017). Une étude future serait souhaitable pour pallier ces limites.

Malgré ces limites, nous croyons que notre étude demeure pertinente puisqu’elle permet de documenter les violences sexuelles dans le cas des personnes qui combinent un double statut (étudiant et athlète) en milieu collégial. C’est donc une contribution unique en comparaison des études antérieures qui ont principalement examiné la victimisation sexuelle soit chez les athlètes d’élite, soit chez les étudiantes et les étudiants universitaires (athlètes ou non). À l’instar de Parent et autres (2022), nous estimons qu’il serait intéressant de comparer l’ampleur et les caractéristiques des situations de VSMC entre les athlètes et les non athlètes aux études dans un établissement collégial au Québec. Enfin, les résultats de notre étude offrent des pistes pour le développement d’interventions préventives auprès de ces athlètes en milieu collégial. Selon Cooky (2018), les sports contribuent au maintien des relations de pouvoir genrées. Les dynamiques de pouvoir qui se développent en milieu sportif, entre les athlètes mêmes, sont susceptibles de perdurer dans des lieux et des contextes non directement associés aux activités sportives (notamment à l’occasion d’activités sociales); ainsi, il apparaît approprié et judicieux de prendre en considération le double statut mentionné plus haut pour prévenir les violences sexuelles et lutter contre ces dernières.