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Caroline Andrew était une politologue féministe réputée, spécialisée dans les études urbaines. Sa participation au comité de rédaction de Recherches féministes, de 1994 à 2011, a été marquée par la solidarité et la générosité.
Devenue professeure émérite, Caroline, a eu un long et remarquable parcours universitaire comme professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa (de 1971 à 2018), durant lequel elle a été doyenne de la Faculté des sciences sociales de 1997 à 2005 et directrice du Centre d’études en gouvernance de 2008 à 2018. Pour reprendre les mots d’un de ses collègues, elle s’est révélée « une formidable organisatrice de collaborations de recherche[1] ».
À une époque où sa discipline était presque exclusivement tournée vers des enjeux liés aux gouvernements supérieurs, Caroline a développé une pensée novatrice et visionnaire qui mettait les villes au coeur de la gouvernance et de la citoyenneté, pensée qu’elle concrétisait à travers son engagement et son militantisme au quotidien avec les groupes exclus du débat public et desservis par les politiques et services urbains. Pour elle, changer le monde passait par des villes inclusives et un soin porté à la solidarité et à la qualité de vie au quotidien dans l’espace local. La recherche universitaire pouvait y contribuer par des allers-retours constants entre action et réflexion et par le partage des fruits de ce travail dans un patient travail de diffusion.
Pour un fin compte rendu de l’ampleur de l’héritage de Caroline, je renvoie les lectrices et lecteurs au récent ouvrage La ville inclusive. Dans les pas de Caroline Andrew, édité par ses collègues Anne Gilbert et Guy Chiasson[2]. Je me contenterai ici de mentionner quelques éléments clés de son engagement féministe. Dans son université, elle a fondé ce qui est devenu l’Institut d’études féministes et de genre et a présidé le Groupe de travail sur le respect et l’égalité. Nommée première présidente de l’Association canadienne de science politique en 1984, elle a placé, dans son allocution d’investiture, le sujet des femmes au coeur de sa discipline. Dès la fin des années 70, elle participait à un regroupement informel de chercheuses canadiennes autour de la relation femmes et environnements, groupe dont les idées ont essaimé progressivement à l’échelle nationale et internationale. Enfin, son regard féministe a coloré tout son engagement avec les groupes communautaires contre diverses formes d’exclusion urbaine, depuis les luttes ouvrières contre la « rénovation » urbaine du centre de Hull (maintenant Gatineau), au début de sa carrière, jusqu’à une implication étroite avec divers groupes de femmes, de jeunes, de personnes immigrantes et autochtones pour faire entendre leur voix auprès de la Ville d’Ottawa : c’est ainsi, par exemple, qu’elle a joué un rôle de premier plan dans l’Initiative : une ville pour toutes les femmes, au Centre de ressources communautaires de la Basse-Ville, au Partenariat local pour l’immigration d’Ottawa, à Avenir Jeunesse et dans l’adoption de la Déclaration sur les femmes dans le gouvernement local.
Pour Caroline, la diffusion, par l’écrit, par la parole et par la collaboration, était une part essentielle de la recherche. Parmi les 155 écrits, dont 26 livres, tant en anglais qu’en français, recensés par Anne Gilbert[3], on peut en compter 40 qui portent directement sur le sujet des femmes et de nombreux autres qui y réfèrent tout en étant classés sous d’autres rubriques, comme la santé et le gouvernement des villes. Plusieurs sont coécrits ou coédités : ils témoignent de l’attention qu’elle portait à ses consoeurs et confrères, étudiantes et étudiants, en les encourageant et en les aidant à diffuser le fruit de leur travail. Cette attitude, on la retrouve également dans son travail avec les groupes communautaires : elle les a encouragés et soutenus, les a aidés à tisser des réseaux. Si on ne peut facilement recenser ses conférences et participations à des débats, car Caroline ne tenait pas à jour ni dans le détail son curriculum vitae, on sait qu’elle communiquait avec autant de conviction et de pertinence dans les organisations professionnelles, civiques et communautaires qu’en milieu universitaire.
Le Prix du Gouverneur général en commémoration de l’affaire « personne » (2012) et l’Ordre du Canada (2015) lui ont été remis en reconnaissance de son dévouement exceptionnel envers sa communauté et la nation, particulièrement pour l’accès des femmes aux services municipaux. Il reste peu de gens qui peuvent encore se souvenir de son passage à l’Université Laval, entre 1964 et 1966, à titre d’étudiante à la maîtrise. Il aura cependant influencé sa vie universitaire puisqu’elle y a rédigé une thèse de maîtrise (City Politics: An Analysis of the Study of Urban Government) sur un sujet qui continuera d’animer ses recherches. Ce passage aura aussi marqué sa vie personnelle puisqu’elle y a pris mari, et y a commencé son intégration dans le monde francophone. Caroline est d’ailleurs reconnue comme une grande avocate de la communauté franco-ontarienne.
Caroline Andrew était une femme admirable en raison de ses profondes convictions sur la possibilité d’un monde plus juste, de la grande continuité dans son travail, de son attention et de son soutien indéfectibles aux femmes et aux groupes communautaires, de son habileté à tisser des réseaux, de son inépuisable générosité et de son humanité. Son plus grand legs est sans doute les dizaines et dizaines de personnes et de groupes qui marchent dans ses pas.
Caroline Andrew est décédée le 23 novembre 2022 à l’âge de 80 ans.
Appendices
Notes
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[1]
Voir Joseph Yvon Thériault, « Caroline Andrew et la génération des deux nations », dans Gilbert et Chiasson (voir note 2).
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[2]
Gilbert, Anne, et Guy Chiasson (dir.) (2022). La ville inclusive. Dans les pas de Caroline Andrew. Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa.
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[3]
Voir Anne Gilbert, « Caroline Andrew au fil de ses écrits », dans Gilbert et Chiasson (voir note 2).