Comptes rendus

Hanétha Vété-Congolo, Nous sommes Martiniquaises. Pawòl en bouches de femmes châtaignes. Une pensée existentialiste noire sur la question des femmes. Paris, L’Harmattan, coll. « Genres, écoles et sociétés », 2020, 352 p.[Record]

  • Sabine Lamour

…more information

  • Sabine Lamour
    Université d’État d’Haïti

Partant du proverbe martiniquais Fanm se chatenn, nonm se friyapen dou (« Les femmes sont des châtaignes, les hommes sont des fruits à pain »), Hanétha Vété-Congolo propose une lecture complexe des rapports de sexe et du genre en mobilisant l’imaginaire martiniquais qui est tributaire des valeurs insanes de l’esclavage. Elle considère l’oraliture comme une « force modelante », un matériau essentiel qui permet de dégager une vision du monde et de la personne humaine. Selon cette déclinaison, l’être humain est un sujet non fragmenté : « je parle, je pense, je sens, je fais, donc je suis » (p. 23). Dans cette théorisation, Vété-Congolo réconcilie le social, l’individuel et le féminin afin d’asseoir une épistémologie qui mobilise le témoignage au féminin. Cette perspective s’ancre dans la conviction suivante : « Les systèmes oraux constituent un système de langages et de paroles sensées, c’est-à-dire un métalangage énonçant des discours à valeur symbolique » (p. 10). En outre, l’auteure réussit le pari de ramener au centre de la société autant la pawòl an bouch (« parole dans la bouche ») que le discours féminin considéré comme vil. Elle propose ainsi une pensée féministe existentialiste noire qui se trouve ancrée dans l’imaginaire caribéen. L’ouvrage de Vété-Congolo est divisé en deux parties. Dans la première, elle propose une lecture féministe du proverbe martiniquais « Fanm sé chatenn, nonm se friyapen dou », en partant du concept homme-plante de Suzanne Césaire et du roman Je suis Martiniquaise de Mayotte Capécia, paru en 1948, tout en visibilisant les arguments de Jenny Alpha et en réfutant les arguments apportés par Frantz Fanon quant à cette oeuvre. La seconde partie présente les témoignages de Martiniquaises sur leur réalité. L’auteure rappelle que la végétation caribéenne propose des éléments onto-axiologiques qui permettent aux personnes de se situer dans le monde. C’est le cas du proverbe mentionné plus haut qui établit dans la société martiniquaise une certaine distinction entre les sexes qui rompt avec l’indistinction qui présentait les personnes esclavagées comme des meubles. Il en résulte une autre perspective du genre et une nouvelle symétrie, car les deux sexes sont assimilés à des fruits de deux arbres : chatenn et friyapen. En proposant cette forme du monde, la nouvelle désignation des sexes permet aux anciens esclavagés et esclavagées de s’affranchir de la perception coloniale qui fait du masculin un être supérieur au féminin. L’homme est assimilé au fruit à pain qui tombe, s’écrase et se décompose. La femme devient châtaigne qui tombe, s’écrase et se relève par la pousse. Les deux sexes sont des éléments de la nature. En extrapolant ces affirmations, l’auteure souligne la capacité de redressement des femmes qui chutent et également la faiblesse des hommes à se redresser. Ainsi, la société jette un regard politique sans concession sur le sujet masculin. L’auteure déduit que, selon la pensée martiniquaise, les femmes sont dans une situation constante de germination les installant dans un processus de recréation que la chute ou l’adversité ne saurait entamer, d’où la complexité du sujet féminin que Vété-Congolo présente comme un problème qui porte sa solution : « la femme est une châtaigne […] [une] garantie, un contrepoids face à l’angoisse provoquée par la mollesse du sujet masculin » (p. 50). Reprenant le concept d’homme-plante proposé en 1942, dans Malaise d’une civilisation, à partir du questionnement Qu’est-ce que le Martiniquais fondamentalement, Césaire (1942) présente une réalité martiniquaise désaccordée, car les personnes sont coupées de leur identité. Son paradigme du terreau propose une réflexion sur l’ensouchement, l’enracinement de la population martiniquaise dans son territoire en vue de dépasser les troubles de la traite …

Appendices