Partant du postulat que la tradition occidentale allie désir et masculinité (p. 1), Joëlle Papillon propose, dans son ouvrage Désir et insoumission chez Arcan, Millet et Ernaux, tiré de sa thèse de doctorat, une lecture critique des diverses manifestations littéraires de la subjectivité désirante et de l’agentivité sexuelle au féminin. L’objectif de l’autrice est ainsi de mettre en avant l’expression des désirs au féminin, laquelle, loin d’être « un phénomène récent », a plutôt fait l’objet d’un déni de reconnaissance à travers l’histoire littéraire (p. 1). L’essai de Papillon vient de la sorte enrichir le corpus critique consacré à ce sujet en se penchant sur trois oeuvres contemporaines écrites par des femmes, soit Folle de Nelly Arcan (2004), La vie sexuelle de Catherine M. de Catherine Millet (2001) et Se perdre d’Annie Ernaux (2001). Pour chacune d’elles, l’autrice présente une analyse des configurations du désir et de ses liens avec la construction identitaire des sujets féminins, l’expression d’une agentivité sexuelle, ainsi que les types de rapports représentés entre les partenaires (p. 6). Le cadre théorique déployé emprunte tant à la psychanalyse traditionnelle et à ses relectures féministes qu’aux approches centrées sur le genre. Ainsi se côtoient, dans cette étude richement documentée, les propositions théoriques de Freud, Lacan, Girard, Bataille, Deleuze et Guatarri, Benjamin, Cixous, Irigaray, Despentes et Haraway, pour ne nommer que ces spécialistes. La convocation de ces perspectives multiples sur le désir relève du fait qu’aucune d’entre elles « n’a suffi à expliquer et à comprendre le désir tel que les narratrices-personnages d’un tel corpus le configurent » (p. 177-178). Résolument féministe, l’approche adoptée par l’autrice l’amène par ailleurs à tordre et à « fragmenter » (p. 182) les différentes propositions théoriques de certains auteurs soit ayant passé sous silence le désir féminin, soit l’ayant défini en réponse à un impératif masculin. Aussi est-ce dans l’« agencement des théories » (p. 178) que Papillon parvient à circonscrire les contours de l’expression du désir au féminin tel que l’ont tracé les trois écrivaines et à mettre en lumière la « grammaire du désir » propre à chacune. Le premier chapitre, consacré à Folle de Nelly Arcan, analyse, dans un premier temps, les figures rhétoriques qui placent les personnages féminin et masculin dans des postures hiérarchiques et accentuent la situation de la narratrice en tant que sujet masochiste, soit l’hyperbole et les métaphores de la colonisation et de la prostitution. L’autrice invite toutefois à jeter un regard nouveau sur la représentation de la soumission et du masochisme, y voyant là une forme de manipulation pleinement investie par la narratrice, qui s’en sert comme d’un « moyen privilégié pour obtenir la reconnaissance d’un sujet fort » (p. 45) – l’amant qui l’a quittée, et à qui elle adresse sa missive. La définition de la narratrice comme sujet masochiste devient, dans un second temps, prétexte à une réflexion autour de la notion d’agentivité, qui se déploie sous deux formes distinctes dans Folle : d’abord sous une forme négative, puis sous une forme positive. Ces deux formes d’agentivité, liées dans une tension constante, relèvent de la posture double de Nelly, la narratrice, à la fois « victime sacrifiée à la domination de l’amant et sujet fort, résilient et vengeur » (p. 30). L’agentivité négative s’exprime « à travers la soumission de Nelly devant l’amant » (p. 50), qui lui permet d’obtenir un certain pouvoir par l’entremise de la reconnaissance provenant de la part de celui qui apparaît en posture de domination, et par ce que Papillon nomme le « terrorisme de la souffrance » (p. 53), qui vise à confronter l’amant à la …
Joëlle Papillon, Désir et insoumission chez Arcan, Millet et Ernaux, Québec, Presses de l’Université Laval, 2018, 199 p.[Record]
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Catherine Dussault Frenette
Université de Sherbrooke