Comptes rendus

Muriel Gomez-Perez (dir.), Femmes d’Afrique et émancipation, Paris, Éditions Karthala, 2018, 470 p.[Record]

  • Agnès Adjamagbo

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  • Agnès Adjamagbo
    Institut de recherche pour le développement, Laboratoire Population Environnement Développement (LPED), Aix Marseille Univ, IRD, LPED, Marseille, France

L’ouvrage dirigé par Muriel Gomez explore les effets des transformations profondes qu’ont connues les pays africains depuis l’époque coloniale sur les rapports de pouvoirs entre les femmes et les hommes. Quatorze textes basés sur des recherches inédites menées dans dix pays du continent africain par des historiennes, des sociologues et des anthropologues nourrissent le propos en ciblant plusieurs thèmes : l’engagement politique et le militantisme féminin, les reconstructions nationales postconflit, l’influence des systèmes religieux, les mouvements migratoires ou encore l’insertion des femmes dans l’économie néolibérale, chacun étant appréhendé à différents moments des histoires nationales marquées par les luttes indépendantistes, les crises politiques et économiques du xxe siècle et leurs adaptations, la montée du travail informel ou encore la mondialisation de l’économie. Plusieurs questions traversent l’ouvrage : la plus grande reconnaissance des différentes formes de contribution des femmes à l’histoire des sociétés africaines a-t-elle a changé fondamentalement les codes sociaux et les prérogatives du masculin et du féminin dans les mêmes sociétés? La mise en évidence des rôles significatifs des femmes dans les luttes sociales et politiques qui ont accompagné les grands moments de l’histoire du continent africain révèlent-elles des avancées en matière d’émancipation féminine? Comment les femmes africaines d’aujourd’hui parviennent-elles à prendre leurs distances à l’égard d’injonctions normatives qui entravent leur liberté d’agir? L’ouvrage apporte des réponses à ces questions en analysant ce qui fait, dans cette partie du monde, la singularité des modes d’affirmation des identités féminines collectives et des dynamiques d’autonomisation individuelle. Les processus d’émancipation sont appréhendés au travers de recherches documentaires et empiriques fines, centrées sur les expériences vécues des femmes dans les espaces publics et privés. Le soin particulier accordé à la mise en contexte des situations et des trajectoires enrichit la réflexion en révélant toute la complexité des réalités qui entourent la notion même d’émancipation. Ainsi, ce n’est pas une définition de l’émancipation qui est donnée mais plutôt des définitions que l’on ne saurait réduire à un modèle unique. Ce faisant, l’ouvrage sous la direction de Gomez-Perez rappelle à quel point les Africaines, loin de constituer une catégorie sociale homogène souvent affublée des stigmates de soumission, de dépendance et de vulnérabilité, forment avant tout une catégorie plurielle dont les modes d’adaptation aux événements de l’histoire témoignent d’une indéniable capacité d’agir. Quatre parties structurent l’ouvrage : la première porte un regard historique sur la place des femmes dans les luttes et les prises de position politiques en Érythrée, en Guinée et au Mali. Les trajectoires exceptionnelles de femmes y sont analysées par un travail d’archives méticuleux. Sylvia Bruzzi relate ainsi le singulier parcours de l’illustre et influente figure féminine de l’Érythrée italienne de l’entre-deux-guerres incarnée par Sitti Alawiyya, puissante autorité politique et religieuse reconnue par le pouvoir colonial de même qu’à l’international. Dans la lignée de travaux d’historiennes comme Odile Goerg (1997) et Pascale Barthélémy (Barthélémy, Capdevila et Zancarini-Fournel 2011), Céline Pauthier et Ophélie Rillon traitent de la remarquable mobilisation des femmes dans les luttes anticoloniales et nationalistes en Guinée et au Mali et interrogent la manière dont elle influence les reconfigurations des rapports de genre dans les pays visés. Au-delà des particularités contextuelles, des constats communs s’imposent, en particulier quant aux représentations sexuées de l’engagement politique des femmes et de leur place dans la construction des identités nationales. Par exemple, les études soulignent la prégnance des valeurs essentialistes qui pèsent sur la manière dont la société perçoit les militantes. Hormis quelques figures d’exception dont le parcours est soigneusement étudié, rares sont celles parmi les plus engagées qui parviennent à s’imposer comme les égales des hommes dans le champ politique. Dans leur majorité, les combattantes …

Appendices