Présentation

Présentation Féminismes et lesbianismes : hier et aujourd’hui, ici et ailleurs[Record]

  • Manon Tremblay and
  • Julie Podmore

…more information

Comme le laisse supposer l’étiquette « lesbiennes féministes », le féminisme et le lesbianisme semblent entretenir une relation symbiotique. En effet, partant du principe que toute définition est lacunaire mais nécessaire, le féminisme, pensé de manière large et inclusive, désigne selon Maggie Humm (1989 : 74) « both a doctrine of equal rights for women (the organised movement to attain women’s rights) and an ideology of social transformation aiming to create a world for women beyond simple social equality », alors que le lesbianisme décrit « the condition of emotional and sexual relationships between women or between self-identified lesbians » (ibid. : 117). Il n’y a alors qu’un pas à franchir pour lier féminisme et lesbianisme : la valorisation de relations émotionnelles, et a fortiori sexuelles, entre femmes constitue certainement une idéologie de transformation sociale, celle de l’hétéronormativité, par-delà la simple égalité! Et pourtant, les relations entre le féminisme et le lesbianisme ont souvent été tendues. Dans sa présentation de l’ouvrage de Diane Lamoureux intitulé Fragments et collages, Françoise Collin (1986 : 14) écrit du lesbianisme qu’il « casse le code des relations amoureuses qui ont soutenu jusqu’à ce jour l’institution patriarcale de la famille, ou qu’il libère le désir de sa “ contrainte à l’hétérosexualité ” ». De fait, le féminisme reste prisonnier d’une contradiction fondamentale : celle, en ce qui concerne les hétéroféministes, de coucher avec l’ennemi, pour reprendre une invective servie à satiété, alors que par leur simple existence les lesbiennes font un pied de nez à la « pensée straight » (Wittig 1980). Autrement dit, le féminisme serait la théorie et le lesbianisme, la pratique, d’après une lecture attribuée à Ti-Grace Atkinson (Lamoureux 2009). Au Québec comme ailleurs, le fait de voir dans l’hétérosexualité les fondements politiques et idéologiques de l’oppression des femmes a contribué à jeter l’opprobre sur les lesbiennes qui, au demeurant, sont soupçonnées de faire mauvaise presse à un mouvement féministe en besoin de légitimité politique et symbolique. Le cadrage des lesbiennes comme constituant une sorte d’épée de Damoclès au-dessus du féminisme en a incité plus d’une à quitter le mouvement féministe et à former les premiers mouvements lesbiens autonomes au Canada, certes, mais aussi en Allemagne, aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni au début des années 70 (pour un aperçu de ces tensions dans ces pays, voir Bonnie Zimmerman (2012)). Ainsi, le groupe américain Radicalesbians a été fondé en réaction aux propos de la présidente de la National Organization for Women (NOW), Betty Friedan, qui a qualifié de « menace violette » (lavender menace, le violet étant la couleur des lesbiennes) les lesbiennes au sein de la NOW (Echols 1989 : 213). Cet ostracisme a aussi régné outre-Atlantique, au pays des droits de « l’Homme » [sic]. Alors que Les gouines rouges de Paris ont vu le jour en réaction à la domination masculine au sein du Front homosexuel d’action révolutionnaire (groupe qu’elles avaient pourtant contribué à fonder en 1972), les lesbiennes ont aussi dû lutter pour accéder à une certaine reconnaissance au sein du Mouvement de libération des femmes (MLF), employant pour cela des tactiques de conscientisation publique (zapping), comme perturber les procédures de la Journée de dénonciation des crimes contre les femmes en 1972 afin que soient entendues leurs revendications au sein du mouvement féministe (Bonnet 1998). Au Canada, les travaux de Becki L. Ross (1995), The House that Jill Built: A Lesbian Nation in Formation, et de Liz Millward (2015), Making a Scene: Lesbians and Community across Canada, 1964-84, rendent compte de tensions similaires entre féminisme et lesbianisme, …

Appendices