Comptes rendus

Mylène Bédard, Écrire en temps d’insurrections. Pratiques épistolaires et usages de la presse chez les femmes patriotes (1830-1840), Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2016, 335 p.[Record]

  • Magda Fahrni

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  • Magda Fahrni
    Université du Québec à Montréal

Cet ouvrage repose sur la conviction que le « contexte insurrectionnel » des années 1830 aurait contribué à la porosité d’un certain nombre de frontières : entre le privé et le public, le féminin et le masculin, le monde épistolaire et la pratique journalistique. Le contexte insurrectionnel aurait donc permis aux Bas-Canadiennes une marge de manoeuvre plus grande qu’en temps de paix, voire une certaine liberté d’expression (l’auteure s’intéresse aux « conditions d’acceptabilité de leur discours politique » (p. 14)). Bédard nuance ainsi l’avis de l’historien Allan Greer, à savoir que le projet patriote avait peu à offrir à ces femmes et que l’Église catholique aurait eu davantage à leur donner. Elle montre au contraire à quel point le projet patriote – qu’elle caractérise de « lutte d’émancipation nationale » (p. 114) – mobilisait, voire politisait un certain nombre de Bas-Canadiennes pendant les années 1830. Les preuves sur lesquelles elle appuie cet argument – des lettres échangées entre proches ou des lettres et des pétitions envoyées aux administrateurs coloniaux (ou aux épouses de ces derniers), toutes deux des pratiques épistolaires issues d’une culture de sociabilité féminine privée, bâtie autour des salons et de la lecture partagée de la presse bas-canadienne – sont tout à fait convaincantes. Cependant, les auteures des lettres étudiées par Bédard constituent un petit groupe de femmes, essentiellement les épouses, les soeurs et les mères d’hommes politiques au coeur du conflit des années 1830. Après une introduction substantielle, l’ouvrage se divise en trois grands chapitres d’analyse. Le premier se penche sur les « stratégies d’affirmation et de représentation des femmes patriotes » (p. 37) pendant les années 1830, que ce soit dans la correspondance, la presse coloniale ou encore au sein d’associations partisanes et de manifestations patriotiques. En effet, les Canadiennes se mettent en scène, souvent en tant qu’épouse ou mère, dans leurs écrits. Le deuxième chapitre examine le va-et-vient constant entre sphères « publique » et « privée », sphères qui étaient, comme les historiennes des femmes et du genre insistent pour le dire depuis longtemps, tout sauf étanches (voir, par exemple, la belle citation de l’historienne française Michelle Perrot qui ouvre ce chapitre). Enfin, le troisième chapitre explore les modèles épistolaires (manuels, traités) disponibles au Bas-Canada et, après 1840, au Canada-Est. On trouve dans ce chapitre des petits bijoux – par exemple, le fait que Louis-Joseph Papineau avait dans sa bibliothèque au moins cinq éditions des lettres de la marquise de Sévigné (p. 250-251). Ma lecture de l’ouvrage de Bédard est celle d’une historienne des femmes et du genre qui enseigne régulièrement l’histoire des femmes au Québec. Avant la publication de ce livre, les chercheuses s’intéressant à l’histoire des femmes pendant les rébellions bas-canadiennes de 1837-1838 avaient à leur disposition l’article de Marcelle Reeves-Morache, publié dans la Revue d’histoire de l’Amérique française il y a presque 70 ans, en 1951, ainsi que l’article d’Allan Greer paru dans la même revue en 1991, transformé en chapitre de son livre Habitants et Patriotes. La Rébellion de 1837 dans les campagnes du Bas-Canada, publié en 1997 (1993 pour la version originale anglaise). Par ailleurs, il était possible de consulter les recueils de lettres de femmes patriotes – Julie Bruneau-Papineau, notamment, mais aussi Rosalie Papineau-Dessaulles –, ainsi que leurs échanges épistolaires avec leurs parents masculins (Amédée Papineau, par exemple). La publication du livre de Bédard ajoute à ce corpus d’études et de sources une analyse très fine de la culture épistolaire de ces femmes et de l’imbrication de leur lecture des journaux de la colonie avec leurs pratiques épistolaires. Par ailleurs, Bédard met en évidence quelques femmes patriotes …