Abstracts
Résumé
Les auteures analysent l’engagement de militantes entrées dans le mouvement des femmes et des féministes au Québec au tournant du XXIe siècle. Leur étude porte sur des entrevues réalisées dans le contexte d’un projet de recherche intitulé « InterReconnaissance » (2013-2017). Les auteures s’intéressent particulièrement à ce qui caractérise les conditions de militance de ces femmes et marque leurs réflexions politiques ainsi que leur forme d’activisme, et ce, tant dans les espaces plus institutionnalisés du mouvement des femmes que dans ceux qui sont considérés comme plus militants et radicaux. Leurs réflexions s’organisent autour de quatre éléments qui touchent leurs répondantes : leurs formes d’engagement politiques dans et hors du féminisme; la formation universitaire dans le domaine des études féministes; l’importance accordée aux analyses intersectionnelles; et le rapport entretenu à l’État ainsi qu’aux luttes conduites au nom des droits.
Mots-clés :
- mouvement féministe au québec,
- droits des femmes,
- action politique,
- état,
- générations militantes
Abstract
The authors analyze the mobilization of feminists who joined the movement at the turn of the XXIst century in Quebec. Their study stems mostly from interviews that were conducted for the « InterReconnaissance » research project (2013-2017). They focus more specifically on the activism and political ideas of these women, both in the institutionalized segment of the women’s movement and in more informal and radical groups. Their analysis encompasses four topics regarding their respondents: their political activism both in the women’s movement and in other social movements; their background in feminist studies; the relevance of intersectionality; their relationship to the State and more broadly to the struggles for women’s rights.
Resumen
Analizamos el compromiso de activistas que ingresaron al movimiento de mujeres y de feministas en Quebec a principios del siglo XXI para identificar ciertas características. Nuestro análisis se basa en las entrevistas realizadas como parte de un proyecto de investigación llamado « InterReconnaissance » (2013-2017). Nuestro interés se centrará en lo que caracteriza sus condiciones de militancia y marca sus reflexiones políticas, así como su forma de activismo, tanto en los espacios más institucionalizados del movimiento de mujeres como en los más militantes y radicales. Nuestras reflexiones se organizan en torno a cuatro elementos : sus formas de compromiso político dentro y fuera del feminismo; la formación universitaria en el campo de los estudios feministas; la importancia dada a los análisis interseccionales y la relación mantenida con el Estado; así como las luchas libradas en nombre de los derechos.
Article body
Le contexte culturel, politique et socioéconomique influe sur les conditions d’entrée dans les mouvements sociaux ainsi que sur les pratiques militantes; et le mouvement féministe québécois n’échappe pas à cette réalité. À ce titre, nous cherchons à circonscrire et à évaluer certains traits pouvant se dégager du militantisme des féministes francophones du début du xxie siècle au Québec. L’objectif de notre démarche n’est pas de comparer les féministes dans une perspective générationnelle ou en fonction d’une perspective politique, mais de faire ressortir certaines cohérences et inflexions dans la façon de concevoir le féminisme en prenant appui sur les témoignages de quelques militantes arrivées au féminisme après 2000 par rapport au contexte qui caractérisait leur entrée dans le mouvement. Nous n’aborderons donc pas la question des carrières militantes (Darmon 2008; Fillieule 2009) : nous nous concentrerons plutôt sur les formes d’engagement politique, à l’instar du projet de Jacques Ion, Spyros Franguiadakis et Pascal Viot (2005) ou encore d’Éric Agrikoliansky et Isabelle Sommier (2005), car nous nous appuyons sur un nombre restreint d’entrevues en adoptant une méthode de type ethnographique qui repose sur la mémoire individuelle et qui ne permet pas la généralisation. Cependant, nous pensons que l’expérience des féministes que nous avons rencontrées dans le contexte du projet de recherche InterReconnaissance[1] mérite d’être prise en considération, d’autant que leur récit rejoint celui d’autres féministes de leur génération militante, comme en témoignent certains textes déjà publiés (Blais et autres 2007; Breton et autres 2007; Kruzynski et autres 2013; Prairie et Roy-Blais 2016; Surprenant et Bigaouette 2013). De plus, il se dégage de notre corpus d’entretiens quatre éléments qui valent réflexion et peuvent nous renseigner sur les transformations politiques du mouvement féministe francophone au Québec : 1) la façon dont leur militantisme féministe s’articule à d’autres engagements politiques ou sociaux; 2) leur rapport avec les programmes universitaires d’études féministes/de genre/sur les femmes; 3) la compréhension et l’utilisation de la notion d’intersectionnalité; et 4) le rapport aux droits, à l’État et aux transformations législatives. Notre article sera organisé autour de ces éléments qui apparaissent transversaux dans nos entrevues.
Quelques précisions d’ordre méthodologique s’imposent. Le matériel principal que nous étudierons consiste en neuf entrevues semi-dirigées que nous avons faites dans le contexte du projet InterReconnaissance[2], auxquelles nous avons ajouté deux entrevues réalisées avec des femmes racisées à l’automne 2018, en utilisant le même questionnaire. Nous avons également consulté des sources écrites comme les revues publiées durant cette période, par exemple dans le journal étudiant Ultimatum et le blogue québécois Je suis féministe[3], de même que des documents entourant les rassemblements RebELLES[4].
En raison de l’échantillonnage, notre corpus de onze entrevues a nécessairement ses limites en ce qui a trait à la diversité, notamment par sa majorité de femmes blanches, cisgenres, n’étant pas en situation de handicap et relativement instruites. Il rassemble des femmes qui se définissent comme féministes et qui ont des expériences diverses de militance en rapport avec le mouvement des femmes et des féministes au Québec. Néanmoins, il faut relever que notre corpus compte trois femmes autochtones et trois femmes issues de l’immigration récente. Considérant que la majorité des entretiens a été réalisée avant 2015, nous n’avons malheureusement pas de matériaux qui traitent des mouvements collectifs contre les agressions sexuelles, même si le sujet a été abordé dans les deux entrevues effectuées en 2018. L’activisme en ligne, notamment #AgressionNonDénoncée ou #MoiAussi, a donné lieu à plusieurs témoignages, en particulier dans le blogue Je suis indestructible.
Dans notre article, nous discuterons de certaines particularités qui se dégagent des propos des féministes que nous avons rencontrées qui sont arrivées au féminisme après 2000. Leurs discours illustrent certaines transitions au sein du féminisme québécois et témoignent d’enjeux qui marquent actuellement le mouvement au Québec[5]. Si, dans le mouvement féministe, cette date est associée à la Marche mondiale des femmes (MMF), d’autres évènements jouent un rôle important dans la politisation de nos répondantes : le tournant ouvertement néolibéral du gouvernement Bouchard en 1996 avec l’idée du « déficit zéro », le développement des mobilisations contre la mondialisation néolibérale, les recompositions dans la mouvance féministe radicale[6] et la rencontre des jeunes féministes RebELLES[7]. La culture politique de l’époque est aussi marquée par les théories et les pratiques libertaires, anti-autoritaires et anarchisantes au Québec[8], ce qui se reflète chez la quasi-totalité des répondantes. On note également une sensibilité aux enjeux autochtones et de décolonisation. De plus, il importe de considérer le rôle déterminant des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le militantisme pour ces féministes puisque la tenue d’un blogue, les moyens d’éducation et de sensibilisation politiques en ligne, la mobilisation collective au moyen du Web et l’existence de nombreuses communautés en ligne transforment les discours tout comme les pratiques politiques (Blandin 2017; Dagnaud 2011; Weil 2017). Enfin, plusieurs des féministes que nous avons rencontrées sont préoccupées par les questions environnementales et de décroissance, même si elles ne sont pas nécessairement investies dans des luttes précises.
Le féminisme et les autres formes d’engagement militant
Notre premier constat dégagé de l’étude de notre corpus concerne leur rapport au féminisme et les formes diverses d’engagements politiques. Pour plusieurs, le féminisme se traduit comme une posture politique qui façonne leurs autres engagements et leurs visées de transformations sociales. Il ne fait aucun doute que les femmes que nous avons rencontrées se conçoivent comme faisant partie du féminisme. D’ailleurs, elles connaissent son histoire dans le contexte québécois et elles entretiennent certains liens avec les lieux de convergences féministes. Si le féminisme n’apparaît pas dans leur récit comme le seul lieu de leur engagement politique, il marque néanmoins leur manière d’être en lutte à propos d’autres questions, c’est-à-dire qu’il ne se réduit pas à l’axe du genre.
À ce titre, les engagements politiques de nos répondantes prennent la forme de la solidarité internationale, de l’altermondialisme, de l’écologisme, de l’anticapitalisme, du décolonialisme, des luttes autochtones, du mouvement étudiant, des luttes pour la défense des droits et des normes du travail pour toutes. Cela les amène à être en collaboration avec plusieurs organisations militantes au Québec ou au Canada, féministes ou non, mixtes et non mixtes sur la base du genre. Leur féminisme se traduit dans les différents espaces où elles s’engagent :
Au Réseau québécois des groupes écologiques, il y a eu beaucoup de travail au niveau des perspectives féministes, et cela donne des résultats excitants. [Par exemple], il y a eu du travail sur le plan de la culture organisationnelle, de la division du travail, de la division du temps de parole, de la tolérance au machisme ordinaire à laquelle on a mis un holà. Je me souviens, on a adopté un code de pratiques solidaires qui incluait différentes formes d’oppression[9].
MP
Chez les militantes féministes du mouvement étudiant, on rencontre une critique explicite du sexisme dans les organisations mixtes dans lesquelles elles militent, la perpétuation de la secondarisation du féminisme par rapport à la « lutte principale étudiante » (Ruault 2017) et de la reconduction de la division sexuelle du travail militant (Tremblay-Fournier 2013), notamment à l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ)[10]. On se souvient que, lors de la grève de 2012, plusieurs féministes avaient critiqué l’association entre la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) et un collectif d’humoristes et que certaines étudiantes avaient soulevé des cas d’agressions sexuelles à leur encontre durant la grève (Bigaouette et Surprenant 2013). Dans un numéro du journal Ultimatum publié pour le 8 mars 2016, l’éditorial mentionne que « nous pouvons noter depuis la fondation de l’ASSÉ des inégalités structurelles qui se reproduisent telles qu’une division sexuelle du travail militant et une secondarisation de nos revendications » : une telle dénonciation sert également à justifier l’existence de lieux non mixtes sur la base du genre dans une organisation comme l’ASSÉ.
Nous avons également constaté que les institutions et les organisations féministes au Québec jouent un rôle dans l’identification de nos répondantes au féminisme. À ce titre, il faut relever le rôle non négligeable joué par la FFQ dans l’engagement de certaines jeunes féministes francophones en dépit d’un rapport ambivalent à cette organisation souvent perçue comme une institution. Mentionnons aussi la MMF dans ses différentes éditions depuis 2000; les rassemblements de RebELLES; les États généraux de l’action et de l’analyse féministes (2011-2013). En fait, selon celles que nous avons rencontrées, la FFQ a offert directement ou indirectement différents contextes pour que ces féministes s’inscrivent dans le mouvement des femmes plus institutionnalisé en fonction de leurs propres préoccupations, y prennent part et le façonnent, et alimentent les prises de position des dernières années. Par exemple, les thèmes plus récents de la MMF ont permis de joindre les militantes autochtones, écoféministes, anticapitalistes et décoloniales. Toutefois, certaines sont restées plus critiques quant à l’opportunité de s’engager dans la MMF. Ainsi, une militante étudiante souligne « la professionnalisation du mouvement et l’absence de base militante non salariée » (Tremblay-Fournier 2011 : 6). Elle émet également des doutes quant à l’ouverture de la FFQ sur la diversité des tactiques et les actions de perturbation politiques et économiques. Cela fait écho au commentaire de l’une de nos répondantes concernant la MMF de 2005 mentionné plus loin dans notre article.
Ces féministes participent donc à ces grands évènements (MMF, RebELLES ou États généraux), sans nécessairement être membres des organisations féministes plus anciennes, ce qui continue à soulever des interrogations, notamment dans le contexte des chutes d’adhésion et de leur effet sur les budgets de fonctionnement. Cette situation a entraîné des réactions de la part de membres de la FFQ, qui, après le premier rassemblement féministe « S’unir pour être rebelles » à Montréal, auraient découvert l’existence de ces jeunes féministes et se demandaient : « Mais, pourquoi est-ce qu’elles ne sont pas membres? », se rappelle une répondante (EML).
En amont des rassemblements RebELLES, les objectifs des organisatrices étaient « de faire entendre la voix des jeunes au sein de la FFQ et du mouvement des femmes en général et [de] sensibiliser les jeunes au féminisme » (Beaulieu et Legault 2005 : 201). Les rassemblements ont permis d’exposer les organisations féministes existantes à des manières différentes de militer. En outre, cela a été l’occasion de s’organiser entre jeunes féministes et d’établir de nouveaux réseaux de contacts. Par ailleurs, les instigatrices du blogue Je suis féministe ont fait connaître leur projet au rassemblement Toujours RebELLES de 2008, à Montréal, avec l’objectif de créer une plateforme pour des correspondances qui permettrait de « briser l’isolement des jeunes féministes francophones » (Prairie et Roy-Blais 2016 : 16). La FFQ a fait confiance à RebELLES et a laissé libre cours à leur volonté d’organisation politique. Elles ont ainsi créé un mode d’organisation à la fois en rapport avec les structures institutionnalisées et critiques de ces dernières (Beaulieu et Legault 2005). Nos répondantes témoignent également de la malléabilité – parfois surprenante – de certaines structures institutionnalisées :
[Lors de RebELLES, il y a eu] le courage politique d’intégrer des modes organisationnels plus inspirés des milieux radicaux avec un projet en lien avec la FFQ. Je croyais sincèrement et je le crois encore, que cela [ces modes d’organisation anarchisants] reflétait ce que voulaient la plupart des jeunes féministes[11]. Je pense à une critique de la centralisation et du réformisme de certains groupes féministes.
BL
Si l’élément générationnel joue un rôle pour les féministes blanches, en ce qui concerne les femmes racisées, leur rapport avec le féminisme québécois reste paradoxal. Elles se sentent partie prenante du mouvement féministe certes, mais elles ont souvent de la difficulté à se percevoir autrement qu’à la marge de celui-ci. Par exemple, l’une d’elles s’est souvent sentie comme la « Noire de service » en étant « la seule autour de la table » dans certaines organisations féministes (AP). Les femmes autochtones que nous avons rencontrées se reconnaissent davantage dans les organisations autochtones que dans le mouvement des femmes au Québec, même si elles voient la nécessité de nouer des alliances. Pour sa part, une féministe musulmane (A3) reconnaît que « les féminismes des femmes musulmanes contribuent à redéfinir ce qu’est le féminisme québécois » et que, à Montréal du moins, « le féminisme commence à être beaucoup plus ouvert », tout en conservant personnellement une certaine « colère envers le féminisme majoritaire ».
Pour certaines de nos répondantes, les engagements militants deviennent aussi des occasions d’emplois, comme coordinatrices ou travailleuses dans ces organisations féministes (AP, EML, BL, A1, A2, WL). Cependant, le fait que le féminisme devient un emploi n’est pas sans contradictions : le travail en vient alors à prendre le dessus sur la militance, oblige à fonctionner sous forme de coalition avec toute sorte de groupes et de personnes avec qui les affinités ne sont pas toujours les mêmes et, parfois, fait se chevaucher le militantisme et le travail salarié. Une répondante mentionnait le manque de temps : « Le travail a eu raison d’une bonne partie du plaisir qu’on pouvait associer à [la militance] » (A2).
Il ressort également, en ce qui a trait à leur positionnement, qu’elles ont une maîtrise des différentes perspectives politiques et qu’elles situent très clairement leur posture féministe quant aux luttes dans lesquelles elles sont investies. Ainsi, une féministe autochtone décrit de la façon suivante son double engagement :
[Dans les ateliers mixtes] sur les perspectives écoféministes, on entend les pires choses! Comme : “ C’est vrai que les gars ont foutu la marde, il faudrait vous laisser la place pour que vous nettoyez. ” Cette espèce de déresponsabilisation, plutôt qu’une remise en question [du] pouvoir du patriarcat conjugué au capitalisme qui a fait des ravages sur notre planète. [Ce] n’est pas seulement aux gens qui n’ont pas bénéficié de ces systèmes à nettoyer, il faut arriver à faire mieux.
MP
Nous avons aussi observé que nos répondantes ressentent le besoin de se donner des organisations et des espaces (virtuels ou physiques) qui leur soient propres. La revue Sorcières (2000-2010) a joué un rôle pour que ces féministes puissent revisiter certains thèmes du féminisme et de son histoire. En même temps, il était évident que ce collectif entretenait des liens avec la mouvance anarchiste montréalaise, rendant compte de certaines de ses actions, tout en refusant de s’inscrire dans la logique des « vagues » du féminisme (Blais et autres 2007). De façon similaire, Nemesis s’inscrit dans la même sensibilité libertaire, tout en amenant des perspectives queers ou des féminismes de couleur (Breton et autres 2007; Pagé 2017). Fait à noter, la plupart des auteures de ces articles ont participé au colloque et à des livres portant sur la troisième vague féministe au Québec (Baillargeon et collectif les Déferlantes 2011; Mensah 2005). La motivation à créer un espace virtuel propre aux plus jeunes féministes est d’ailleurs à la source de la création du blogue Je suis féministe. L’objectif était « de se donner les moyens de s’exprimer, [de] se créer les lieux, les espaces pour discuter de nos visions du féminisme » (Casselot, citée dans Prairie et Roy-Blais (2016 : 15)). Les instigatrices considéraient « [qu’]Internet était le territoire tout désigné pour rassembler cette communauté et bâtir ce réseau. Un monde virtuel superposé au réel, où tout est possible » (Prairie et Roy-Blais 2016 : 16).
En rapport avec ce blogue féministe francophone, nous avons constaté le rôle important des TIC dans la militance des féministes du xxie siècle. Même si notre recherche ne portait pas explicitement sur l’engagement militant sur le Web, certaines ont abordé le rôle des TIC dans leur militance en général et pour le féminisme en particulier (par exemple : mobilisations autochtones, environnementales, étudiante en 2012 et en soutien aux révolutionnaires en Tunisie). À ce titre, l’une des trois féministes autochtones que nous avons rencontrées parle d’actions militantes faites sur le Web : « Il y avait eu un évènement un 15 octobre : “ Rock your Mocs ”, qui était une activité en ligne » (MMD), dont l’objectif était pour des Autochtones de partager des photos d’elles portant leurs mocassins, ce qui faisait valoir positivement leur identité. La même répondante insiste sur le rôle déterminant de plateformes en ligne (par exemple : Facebook ou Twitter) dans sa prise de conscience de mouvements politiques d’autochtones hors du Québec, les amenant, elle et ses soeurs de luttes autochtones, à s’engager. Elle relate un échange déterminant : « “ Vois-tu ce qui se passe avec Idle no more au Canada? ”; “ Ah ouais, on devrait faire quelque chose! ” Et on a commencé à préparer la marche Idle no more au Québec [en 2012] » (MMD). Une autre des féministes que nous avons rencontrées invoque les avantages de ces réseaux en ligne qui s’avèrent fort utiles au quotidien : « On ne peut pas se toucher, mais on s’échange bien gros de l’information » (A2). Le cyberféminisme joue un rôle névralgique pour cette génération militante. Les différentes plateformes sont des lieux d’initiation au féminisme, des espaces de partage, d’éducation politique et théorique, mais également une forme d’activisme qui se traduit de différentes manières, par exemple l’affirmation comme féministe, le témoignage et le soutien mutuel, la réécriture de l’actualité ou la mobilisation concrète eu égard aux conflits politiques de l’heure (Déry-Obin 2011; Prairie et Roy-Blais 2016).
La formation universitaire au féminisme
Le deuxième constat qui se dégage de l’étude de notre corpus d’entretiens concerne la proportion significative de féministes ayant une formation universitaire au féminisme. En fait, une majorité a étudié dans des programmes en études féministes/de genre/sur les femmes et les autres mentionnent des discussions avec des féministes universitaires ainsi que des lectures déterminantes. Elles ont une maîtrise des termes, des notions et des distinctions en matière de perspectives politiques. Cette formation universitaire leur donne une bonne connaissance de l’histoire du mouvement féministe québécois et des principaux courants théoriques qui ont structuré les débats féministes.
Cela explique probablement que plusieurs ont joué un rôle important pour développer une perspective intersectionnelle, une sensibilité aux enjeux entourant l’inclusion des personnes trans* ou sur les questions de capacitisme dans les groupes au sein desquels elles s’engagent. Elles sont également moins préoccupées de chercher un dénominateur commun au groupe social des femmes et beaucoup plus enclines à trouver des moyens pour inclure la diversité des situations des femmes (immigration ancienne ou récente, femmes autochtones, femmes racisées ou vivant avec des handicaps) ou des sexualités (lesbiennes, queers, trans*).
Ces féministes parlent aussi du rôle qu’ont joué certains cours, des enseignantes, ou encore des lectures pour mettre des mots sur le « malaise » qu’elles ressentaient dans une société sexiste. « Quand j’ai commencé à comprendre qu’il y avait les féminismes noirs, des féminismes musulmans, j’ai commencé à m’instruire, à comprendre que pour être féministe, tu n’avais pas besoin d’être occidentale » (A3). La même personne parle d’un cours féministe qui lui a « fait l’effet d’un “ wake-up call ”. C’était dérangeant, car cela venait me chercher émotivement et cela m’a donné plusieurs outils pour comprendre mon environnement » (A3).
En dépit d’un rapport au féminisme marqué par une formation universitaire, nos répondantes ne limitent pas leur action politique au travail intellectuel qui reste davantage dans des réseaux plus restreints et à la production de savoirs féministes (c’est le cas d’une seule). Pour décrire ce qui s’est passé à RebELLES, deux membres du comité d’organisation précisent :
Chaque séance comportait un échange avec une ou deux jeunes militantes membres d’un groupe actif et ayant une expérience de lutte concrète à partager sur le thème en question – pas une experte ou une superdiplômée, ou une sommité, ou une femme qui vient « livrer » une connaissance prête-à-gober.
Beaulieu et Legault 2005 : 224
Ces féministes sont résolument dans l’action politique, tant en ligne que hors ligne, et elles se préoccupent, entre autres, de la question de la diversité des tactiques. Cela ne les empêche pas de concevoir leurs mémoires ou leurs thèses comme « une manière de militer, de contribuer à la lutte féministe dans le milieu académique » (A3). Certaines reconnaissent les effets politiques concrets des mobilisations par l’entremise du Web; l’une d’elles parle notamment de l’essaimage des indignations contre l’appropriation culturelle autochtone.
Dans le récit de nos répondantes, l’insistance sur la diversité des tactiques est aussi un appel à la radicalisation du mouvement et à repenser les moyens d’action et le rapport à l’État. La diversité des tactiques est un lieu de conflits, que certaines posent en termes de génération, avec les milieux féministes plus institutionnalisés qui, par ailleurs, ont des moyens financiers. Plusieurs répondantes invoquent l’importance de la diversité des tactiques pour faire bouger les choses devant le silence, voire le déni du gouvernement. Toutefois, les résultats se révèlent parfois décevants, car il faut de l’audace politique pour se radicaliser. Par exemple, le cas de la MMF 2005 est éloquent :
Il y avait un mandat clair donné par la CQMMF [Coordination québécoise de la MMF] : si on n’avait pas des réponses du gouvernement à nos revendications à telle date, on passait à d’autres actions. On avait une vision de l’escalade des moyens de pression [et] si on n’avait pas de résultats, on passait à des actions directes ou de désobéissance civile. Finalement, le comité stratégie n’a pas donné le « go » pour des actions de désobéissance civile ou des actions directes.
BL
Il y a une marge, selon une autre répondante, entre « être en faveur de la diversité des tactiques » et « assumer collectivement les conséquences » (EML), sans se désolidariser. Pourtant, le contexte politique appelle la mise en oeuvre de nouveaux moyens d’action, et il faudrait peut-être faire les choses autrement, comme le soulève une des féministes que nous avons rencontrées :
On est beaucoup dans des luttes défensives, justement pour ne pas perdre ce qu’on a. Alors on n’est pas dans la revendication de nouvelles choses dans le mouvement plus communautaire. Je pense qu’il faut repenser comment on revendique, qu’est-ce qu’on revendique, qu’est-ce que notre projet de société.
EML
Il faut également relever que le militantisme de nos répondantes est marqué par une multiplicité de sanctions judiciaires, ce qui n’est pas sans conséquence sur le militantisme (Dufour 2016). Mentionnons, par exemple, une poursuite en diffamation par des masculinistes, des poursuites bâillons par des compagnies, des arrestations à répétition dans les manifestations (en raison du « règlement P6[12] », notamment).
Les féministes actives en ligne sur les différentes plateformes sont également la cible de nombreux actes de violence sur la base du genre (par exemple, la misogynie, l’antiféminisme ou le harcèlement), mais aussi sur la base d’autres différences comme la sexualité, la race ou la religion (dont le racisme, l’islamophobie, l’hétérosexisme/homophobie). Ces formes de violence ont notamment pour objectif de faire taire, d’inhiber la prise de parole politique et de répandre la haine[13]. Dans le cas du blogue Je suis féministe, les instigatrices ont mis sur pied un palmarès en 2011, Trollitudes, qui présentait les citations des pires trolls sur la plateforme afin de désamorcer collectivement la violence (Prairie et Roy-Blais 2016 : 80-89).
Quant aux modes d’organisation politique, il importe de relever qu’il n’y a pas de remise en cause par nos répondantes de la non-mixité organisationnelle, même si par ailleurs elles ressentent le besoin de militer également dans des lieux mixtes et y puisent certaines inspirations quant aux modes d’action. Toutefois, la manière d’envisager la non-mixité est imprégnée d’une volonté d’inclure la diversité des femmes, ce qui la rend résolument intersectionnelle. Par exemple :
[À RebELLES], on était non-mixité et je précise RebELLES dans sa non-mixité, il y avait quand même quatre femmes trans au rassemblement de 2011.
BL
La question de la non-mixité intersectionnelle est importante pour l’organisation de la Dyke March, dont la première a eu lieu en août 2012, comme en atteste la même militante :
Notre spécificité, je pense que c’est une vraie analyse intersectionnelle. On regardait les différents types d’oppression vécus par les lesbiennes et le collectif était diversifié, il y avait trois lesbiennes noires et trois blanches, dont une femme trans.
BL
Ce dernier élément témoigne de l’importance accordée à la posture intersectionnelle dans les modes d’action de nos répondantes.
L’intégration de l’approche intersectionnelle
Le troisième constat qui mérite notre attention concerne justement la question de l’intersectionnalité des systèmes de domination qui semble « aller de soi » pour ces féministes. C’est une approche jugée indispensable dans la conduite des luttes féministes, mais également une condition de poursuite du mouvement. Cependant, elles ne sont pas dupes d’une possible instrumentalisation de l’intersectionnalité ou de son intégration superficielle dans certains milieux[14].
Il semble nécessaire de soulever à la fois l’influence des cours universitaires et des textes qui abordent de manière plus importante cette question au Québec (Maillé 2007; Bilge 2010; Hamrouni et Maillé 2015), mais également le rôle des États généraux de l’action et de l’analyse féministes (2011-2013). Ayant l’objectif de faire le bilan des vingt dernières années du mouvement des femmes et la volonté de dégager les orientations et les lignes d’action pour l’avenir, ces États généraux ont donné lieu à des discussions sur l’analyse intersectionnelle et ses apports au mouvement des femmes au Québec.
En ce qui concerne le cas du blogue Je suis féministe, les billets concernant le thème de l’intersectionnalité n’ont commencé à apparaître qu’en 2014. L’une des membres de l’administration de la plateforme de 2011 à 2013 relate : « celles qui écrivaient et publiaient dans l’espace féministe québécois, ce sont encore souvent, des blanches universitaires hétéro » (LaRochelle, citée dans Prairie et Roy-Blais (2016 : 150)). Cela n’a pas empêché la publication de billets ultérieurs sur les différences parmi les femmes, les privilèges et l’inclusion sociale au Québec. Durant la période des États généraux, la question de l’intersectionnalité apparaissait comme une onde de choc, et cela ne s’est pas passé sans tensions ni déchirements (Campbell-Fiset 2017; Pagé et Pires 2015). L’une des répondantes considérait ce moment comme crucial : « Quand je dis que cela passe ou casse [dans le mouvement des femmes au Québec], je pense que cela se joue au niveau de l’intégration de l’analyse intersectionnelle » (EML). Une autre répondante suggère que l’intersectionnalité entraîne un mouvement entre une volonté « d’ouverture pour interroger le nous des femmes à l’interne » et une crispation autour de la nécessité « de se tenir serrées, d’avoir des objectifs très uniformes pour pouvoir pointer vers la cible et être efficaces » (AP).
La question des privilèges et du confort des unes par rapport aux autres est très présente dans leur manière de penser la posture des féministes majoritaires, l’injonction à la critique intersectionnelle, et c’est principalement sur ce plan qu’elles observent les résistances : « Il y a beaucoup de résistances, je trouve. C’est accepter de se questionner soi-même sur notre position privilégiée sans se sentir coupable automatiquement » (EML).
En même temps, la compréhension qu’ont nos répondantes de l’intersectionnalité évolue. Certaines témoignent de leur sensibilité croissante à la multiplicité des facteurs de marginalisation à l’oeuvre. Par exemple, pour l’une d’elles, tout en reconnaissant qu’il y a « beaucoup de travail à faire par rapport à l’islamophobie » au Québec et dans le mouvement des femmes, elle admet l’importance de l’inclusion « d’autres femmes minoritaires » (A3), en mentionnant, entre autres, les questions de capacitisme. Une autre ironise sur l’emploi des termes « doublement discriminées » par la FFQ pendant un bout de temps et elle précise que l’intersectionnalité « au départ c’était plus l’idée d’inclure les femmes marginalisées (qu’elles soient autour de la table); cela a évolué vers l’idée que les femmes marginalisées ont leur propre analyse politique qui nous aide à atteindre la justice sociale » (AP).
En dépit des blocages, il est possible d’observer des transformations positives dans le mouvement des femmes institutionnalisé. D’emblée, l’une de nos répondantes considère comme une avancée majeure que la « présidence de la FFQ soit assurée par une femme trans*[Gabrielle Bouchard] », ce qui aurait été impensable il y a à peine quelques années (A3). D’autres disent apprécier l’intégration aux manières de penser et aux pratiques de l’intersectionnalité dans le féminisme québécois :
J’ai vu s’intégrer [l’intersectionnalité] dans les dernières années dans une certaine partie du mouvement féministe. [C’]était super dur, il y a 5-10 ans à amener toute la réflexion sur l’intersectionnalité, la déconstruction des privilèges, l’inclusivité des trans au mouvement féministe […] C’est rendu qu’on rédige nos documents [sur les questions de contraception et d’avortement] trans-inclusif.
A2
Ainsi, la question de l’intersectionnalité des luttes est prise comme allant de soi pour ces militantes et elle est même articulée autour des préoccupations en matière de luttes contre les changements climatiques qui vont toucher précisément les femmes (AP). Cependant, elle semble parfois prendre une dimension « éthique » : est-ce que toutes les femmes – dans leurs différences – sont là? De plus, elle devient dans les discours « la bonne posture à incarner », ce qui fait d’elles de « bonnes féministes ». À cet égard, l’intersectionnalité est vue par nos répondantes dans sa double dimension d’inclusion et de « déblanchiment » du féminisme québécois jugé jusqu’ici trop blanc, homogène et francophone. Pour l’une d’entre elles, un défi particulier est « de reconnaître et d’entendre la parole des femmes racisées : la parole des femmes immigrantes et la parole des femmes autochtones » (MB).
Travailler en ces termes peut sembler exigeant et comporte de réels défis afin de passer des idées aux pratiques concrètes. La volonté toujours constante de l’inclusion de toutes les femmes demeure nécessaire politiquement, mais certaines de nos répondantes soulèvent les difficultés pratiques. « Comment faire mouvement ensemble plutôt que de demander aux femmes marginalisées d’embarquer dans un train en marche? » demande l’une d’elles (AP).
Ainsi, l’analyse des rapports de pouvoir qui peuvent exister entre les femmes elles-mêmes conduit à des critiques nécessaires pour le mouvement féministe, mais elle peut aussi entraîner quelques problèmes, comme cela s’est produit lors du rassemblement RebELLES à Winnipeg. L’une de nos répondantes se rappelle que le comité éprouvait un sentiment de culpabilité énorme, qu’elle qualifie de culpabilité liée à la blanchité (white guilty) (BL), d’avoir créé un évènement où se reproduisaient certaines formes d’oppression.
La volonté d’intégrer les préoccupations intersectionnelles suppose une reconfiguration des revendications, mais également des alliances politiques. L’une de nos répondantes témoigne de ce défi dans le contexte des luttes actuelles autour des droits sexuels et reproductifs, car elle considère que la situation en matière d’avortement est relativement bonne au Québec[15]. Toutefois, elle entrevoit des luttes à mener en ce qui concerne la justice reproductive qui soulève la question des alliances traditionnelles et celles qui devraient être établies pour l’avenir dans une perspective intersectionnelle.
La perspective intersectionnelle que préconisent nos répondantes les fait converger vers une valeur prédominante pour le mouvement féministe : la solidarité. Cette idée s’articule autour de la pluralité des voies, des expériences et des visées politiques. Le féminisme prend alors la dimension d’un projet de société. Sortir du cloisonnement pour agir en solidarité : « [L’intersectionnalité] apporte une autre vision de la solidarité », soutient EML.
Lorsque nous les interrogions sur les valeurs prédominantes portées par leur féminisme, les répondantes parlaient de « justice sociale » (MMD); d’une « amitié et d’une solidarité » en dépit des différences entre les femmes québécoises et philippines (LEW); d’une « perspective de solidarité qui est partout, avec les autres communautés et pas exclusivement en environnement mais en général » (MP). Cette solidarité dans les luttes appelle un travail d’égales à égales : le cas du « protocole de solidarité de nation à nation entre la FFQ puis Femmes Autochtones du Québec » (WL) est donné en exemple.
La valeur de la solidarité féministe est revendiquée par les répondantes qui se sentent exclues du mouvement féministe. Par exemple, c’est le cas de celles qui réclament la sécurité et la dignité des travailleuses du sexe[16] : « Idéalement, j’aimerais que ce soient les féministes qui soient nos alliées. J’ose espérer qu’un jour les travailleuses du sexe vont être considérées comme des femmes et pas juste des femmes victimes », soutient A1.
Le rapport à l’État et aux droits
La recherche pour laquelle nous avons rencontré ces féministes portait notamment sur l’apport du mouvement communautaire au Québec aux avancées en matière de droits : comment les luttes ont-elles contribué à l’obtention de droits pour les femmes? Nous avons pu recueillir leur opinion sur les luttes conduites par leurs aînées, leur portée en matière de droits et les batailles à venir dans cette perspective, ce qui implique un certain rapport à l’État. Par ailleurs, notre quatrième constat concerne le rapport à l’État et aux droits de nos répondantes et nous souhaitons aborder deux éléments.
Le premier élément concerne le rapport mitigé entretenu quant aux luttes menées dans une perspective de droits. Ces féministes arrivent après les années 1995, alors que le « triangle de velours[17] » n’a plus son efficacité des années passées et que la structure d’opportunité politique s’est rétrécie sous l’impact du néolibéralisme, principalement en ce qui a trait à la volonté de réformes de l’appareil de l’État. Ce faisant, il se dégage de leur témoignage un désabusement quant à l’État et à ce qu’il est possible d’obtenir de ceux et celles qui gouvernent comme partenaires en faveur de l’égalité et la justice sociale :
[L]’État est de plus en plus à droite, que ce soit au fédéral ou au provincial. Il adopte des mesures économiques, politiques et sociales antiféministes […] qui dégradent les conditions de vie des femmes. C’est quoi le rôle d’une ministre de la Condition féminine si elle n’est pas capable de freiner cela?
EML
Nous notons une désillusion quant à la capacité ou à la volonté de l’État de s’engager réellement en faveur d’une égalité entre les femmes et les hommes et entre les femmes elles-mêmes. Cette posture peut être attribuable aux expériences qui ont marqué l’entrée dans le féminisme de ces militantes. Une répondante se dit un peu découragée : « C’est mieux qu’il n’y ait pas des reculs. Mais je trouve triste qu’on ne soit pas en train de faire des gains avec tout le travail qu’on fait » (A2). Nous avons observé en outre dans leur témoignage une sorte d’association entre les revendications en matière de droits et le rapport à l’État comme interlocuteur. Le contexte politique de leurs luttes pousse plusieurs d’entre elles à considérer cette avenue comme peu efficace.
Pourtant, certaines de ces féministes voient une avenue pour les luttes à conduire dans une perspective de droits pour le mouvement des femmes. Celles qui sont interpellées davantage par cette voie sont engagées dans des luttes auprès des femmes dans des situations plus précaires ou dans des conditions de vulnérabilité, pour lesquelles les droits relativement acquis pour la majorité font encore défaut. Lutter dans une perspective de droits signifie pour l’une de nos répondantes « de remettre l’État devant ses devoirs qui est le respect des droits » (EML). Certaines questions semblent pouvoir être envisagées en termes de droits, par exemple, les enjeux entourant la « liberté de religion et […] la liberté de conscience » (AP) dans une perspective féministe au Québec et, plus largement, « le droit des femmes à porter les vêtements qu’elles veulent », ce qui est apparu comme une question de droit au travail et de luttes contre la « discrimination à l’embauche » (A3).
D’autres questions peuvent être pensées à travers la lorgnette des droits, à ce titre : « [Les travailleuses du sexe doivent être] capables de dire : “ Non, la violence ne fait pas partie de mon travail et oui, je veux des droits ” », soutient A1. Tandis qu’une autre répondante parle de la précarité des conditions de travail et de vie des travailleuses domestiques venues au Canada par l’entremise du Live-in Caregiver Program : « Alors cela fait des années qu’on lutte pour établir les droits [en matière de travail] ou pour changer les droits de ces travailleuses » (EWL).
Le deuxième élément porte sur une sorte d’opposition entre les luttes menées dans une perspective de droits et un projet féministe de société qui impose des ruptures avec la société actuelle, lequel recoupe l’idée de solidarité. La dimension d’un projet féministe de société est bien présente dans les aspirations des féministes que nous avons rencontrées. La volonté d’une société différente qui serait davantage juste, égalitaire et inclusive repose sur une conception plus radicale du changement social. Une des répondantes parle de la nécessité de rupture :
[Par exemple], dans la plateforme politique de la FFQ, on se dit anticapitalistes, mais dans la pratique on est hyper réformistes. Pour moi, la différence [entre le milieu institutionnalisé et] le milieu militant, c’est le projet d’une société autre. La défense des droits reste quelque chose comme : « On veut réformer ce qu’on a déjà » avec l’objectif d’un aboutissement, mais qui est un peu une utopie. C’est une utopie aussi pour le milieu militant, mais je pense qu’on va plus loin dans la pensée politique et dans ce que pourrait être cette société.
EML
En guise de conclusion
S’il est possible de généraliser à partir d’un nombre restreint d’entrevues, nous croyons que, pour ces féministes du xxie siècle, les enjeux ne sont pas nécessairement perçus de la même manière que pour la majorité de celles qui les ont précédées.
D’abord, en ce qui concerne la posture féministe, si les féministes des années 70 et 80 insistaient sur l’autonomie du féminisme comme mouvement, celles du xxie siècle vivent leur féminisme à la fois dans des collectives ou des groupes de femmes et dans d’autres organisations. Cela semble en harmonie avec l’importance qu’elles accordent à la perspective intersectionnelle. Le défi majeur reste la mise en pratique de solidarités féministes fortes et plurielles. Rendre pratique cette solidarité intersectionnelle est l’un des défis qu’elles mettent en évidence, mais cela rejoint également la condition de poursuite et de pertinence du mouvement féministe au Québec. Faire du féminisme un réel projet de société pensé autour de la solidarité et de l’inclusion sociale leur paraît essentiel. Plusieurs d’entre elles se questionnent sur la capacité du mouvement féministe plus institutionnalisé à s’engager dans cette voie (Pagé et Pires 2015) :
[C]omment est-ce qu’on fait pour repenser nos actions, nos façons de fonctionner, pour être efficaces et, surtout, solidaires dans nos revendications? [Il faut] voir comment fonctionner sans brûler les travailleuses, tout en ayant un impact réel qui résonne avec la société.
A2
Ensuite, le contexte néolibéral qui a entouré leur engagement féministe a aussi nourri une méfiance à l’égard de l’État comme garant de l’avancée en droits des femmes. Plusieurs de nos répondantes s’en remettent plutôt à la construction de solutions de rechange concrètes dans une perspective plus écologiste et autogestionnaire qu’à la revendication de réformes législatives. Sur les formes d’action, elles sont assez sensibles à l’action directe et n’hésitent pas à la confrontation avec l’État (considéré non seulement comme patriarcal, mais aussi comme raciste et colonial) ou les autres institutions.
Enfin, les féministes que nous avons rencontrées hésitent entre l’inscription dans la continuité avec les luttes et les mouvements féministes qui les ont précédées et la rupture qui permet de soulever de nouveaux enjeux et de les intégrer à leur féminisme. D’où l’importance que beaucoup d’entre elles ont donnée aux États généraux du féminisme comme nouveau départ d’une action féministe réellement inclusive pour le xxie siècle. Elles sont fières de s’engager dans un mouvement féministe, mais elles veulent également contribuer à le façonner.
Appendices
Notes biographiques
Diane Lamoureux est professeure associée au Département de science politique de l’Université Laval. S’intéressant depuis plusieurs années aux enjeux liés à la citoyenneté et à la démocratie à travers le prisme des diverses modalités d’exclusion des femmes, elle a mené récemment des travaux sur l’incidence conjuguée du néolibéralisme et du néoconservatisme sur les sociétés occidentales contemporaines. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages et articles sur le féminisme québécois, l’antiféminisme et les théories féministes. Parmi ses publications, on trouve Pensées rebelles (Les éditions du remue-ménage, 2010), Le trésor perdu de la politique (Écosociété, 2013) et Les possibles du féminisme (Les éditions du remue-ménage, 2016).
Stéphanie Mayer est chercheuse postdoctorale à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Elle poursuit une recherche qui s’inscrit au croisement de la modification féministe des arrangements intimes hétérosexuels et des philosophies féministes du soin (care) portant sur la responsabilité relationnelle. Elle a coécrit des textes sur l’histoire du mouvement des femmes et féministes au Québec, qui ont notamment été publiés à Recherches féministes (2016 et 2019) et aux Presses de l’Université Laval (2018). Elle a publié sur le thème de la non-mixité organisationnelle des féministes (Possibles, 2014). Elle a également coécrit sur la militance féministe dans le sport amateur (Moult Éditions, 2018).
Notes
-
[1]
Le projet InterReconnaissance (2013-2017), sous la direction scientifique de Francine Saillant, avait pour objectif d’établir la contribution du mouvement communautaire et de leurs acteurs et actrices aux avancées en matière de droits au Québec, depuis 1960. Le mouvement des femmes et des féministes s’ajoutait aux secteurs de défense et de service en santé mentale, en migration/refuge, du mouvement LGBTQ+, des personnes handicapées, et comprenait le milieu artistique engagé. La professeure Diane Lamoureux assumait le travail d’enquête pour le secteur « femme » et deux assistantes de recherche, Stéphanie Mayer et Catherine Rainville, ont participé à la réalisation et à l’analyse des entrevues. Un ouvrage collectif (Saillant et Lamoureux 2018) rend compte de ce travail d’enquête et une exposition a été présentée à l’Écomusée du fier monde à Montréal (2018-2019) avant de partir en tournée au Québec dans d’autres musées régionaux.
-
[2]
Les entrevues du projet portaient sur le parcours militant des personnes interviewées, les types d’intervention privilégiés, les valeurs portées et leur rapport aux droits. Pour la composante portant sur les féministes, le choix des 40 interviewées a été déterminé par la chercheuse responsable du secteur et un comité conseil composé d’Odile Boisclair, de L’R des centres de femmes du Québec, d’Alexa Conradi, de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), et d’Anne Saint-Cerny, de Relais-femmes. Comme le projet englobait la période 1960-2010, le nombre de féministes arrivées au mouvement durant les années 2000 était limité.
-
[3]
Nous avons principalement consulté l’ouvrage sous la direction de Marianne Prairie et Caroline Roy-Blais (2016).
-
[4]
Nous faisons référence aux trois éditions de RebELLES dont nous ont parlé les féministes que nous avons rencontrées : Montréal (2003 et 2008) et Winnipeg (2011).
-
[5]
Nous sommes conscientes qu’il existe une génération militante arrivée plus récemment au mouvement par rapport à celle dont nous avons recueilli les propos, ce que certaines intellectuelles féministes, hors du Québec, renvoient à une quatrième vague féministe. Par exemple, Prudence Chamberlain (2017) associe à cette vague féministe la résurgence des actions dénonçant les violences sexuelles à l’encontre des femmes, tandis que Kira Cochrane (2013) insiste sur le rôle déterminant de la technologie dans le militantisme de cette génération. À noter que Marie-Anne Casselot et Catherine Plouffe Jetté écrivent un billet sur « La Jeune Féministe » (mai 2015) pour déconstruire les préjugés entourant sa conception du point de vue des féministes et de la société québécoise (citées dans Marianne Prairie et Caroline Roy-Blais (2016 : 193-194)).
-
[6]
Cette recomposition fait l’objet du mémoire de maîtrise de Geneviève Pagé (2006), selon qui le dénominateur commun des groupes qui se définissent comme féministes radicaux à cette époque est l’opposition au patriarcat, au capitalisme et à l’État.
-
[7]
Lors de la première tenue de ce forum en 2003, on précisait qu’il était réservé aux féministes de moins de 35 ans.
-
[8]
L’ouvrage d’Anna Kruzynski et autres (2013) illustre la culture politique générationnelle qui a marqué de près ou de loin une partie des féministes rencontrées pour notre enquête.
-
[9]
Nous avons choisi d’identifier les interviewées par leurs initiales, sauf celles qui ont demandé l’anonymat. Ces dernières sont désignées par un A (pour anonyme) suivi d’un chiffre.
-
[10]
L’ASSÉ est une organisation québécoise fondée en 2001 et dissolue en 2019. Elle est à l’origine de la CLASSE, coalition temporaire formée lors de la grève étudiante du printemps 2012 au Québec.
-
[11]
À titre indicatif, cette interviewée suggère une distinction intéressante pour penser l’entrée au féminisme et, éventuellement, le rapport à l’État dont nous discuterons plus loin : « je trace la ligne entre celles qui ont obtenu de grandes choses par le lobby et celles qui n’ont jamais vu le lobby comme une tactique qui permettait de grandes choses ».
-
[12]
La Ville de Montréal a adopté le « règlement P-6 » le 18 mai 2012; il modifie le Règlement sur la prévention des troubles de la paix, de la sécurité et de l’ordre publics, et sur l’utilisation du domaine public. Il porte sur l’encadrement des manifestations et sur le port du masque et il est entré en vigueur lors du printemps étudiant de 2012. Des articles du « règlement P-6 » ont été contestés devant la Cour municipale (2016 et 2018) pour être rendus invalides. Au moment où nous écrivions ce texte, l’administration municipale envisageait de l’abroger.
-
[13]
Voir le documentaire réalisé par Pénélope McQuade et Hugo Latulippe (2018) qui aborde cette question dans le contexte québécois.
-
[14]
Pour une évaluation plus générale de l’intégration de la perspective intersectionnelle à la FFQ, voir Geneviève Pagé et Rosa Pires (2015).
-
[15]
À noter que l’entretien avec cette féministe a eu lieu avant les évènements de l’été 2019 et la résurgence des menaces plus explicites de la part des antichoix au Québec.
-
[16]
La FFQ a adopté en 2018 une proposition favorable à la reconnaissance de l’autonomie et de l’agentivité des femmes présentes dans l’industrie du sexe.
-
[17]
Le concept de « triangle de velours » est attribuable à Alison Woodward (2003) qui envisage la collaboration entre les féministes issues des bases militantes, les féministes universitaires et les féministes dans l’État afin que soient intégrées des politiques en matière d’égalité entre les femmes et les hommes dans le contexte de l’Union européenne.
Références
- Agrikoliansky, Éric, et Isabelle Sommier, 2005 Radiographie du mouvement altermondialiste. Paris, La Dispute.
- BAILLARGEON, Mercédès, et collectif les Déferlantes (dir.), 2011 Remous, ressacs et dérivations autour de la troisième vague féministe. Montréal, Les éditions du remue-ménage.
- BEAULIEU, Elsa, et Barbara LEGAULT, 2005 « The making of… S’unir pour être rebelles », dans Maria Nengeh Mensah (dir.), Dialogues sur la troisième vague. Montréal, Les éditions du remue-ménage : 207-232.
- BIGAOUETTE, Mylène, et Marie-Ève SURPRENANT (dir.), 2013 Les femmes changent la lutte. Au coeur du printemps québécois. Montréal, Les éditions du remue-ménage.
- Bilge, Sirma, 2010 « De l’analogie à l’articulation : théoriser la différenciation sociale et l’inégalité complexe », L’Homme et la société, 176-177 : 43-64.
- Blais, Mélissa, et autres, 2007 « Pour éviter de se noyer dans la troisième vague : réflexion sur l’histoire et l’actualité du féminisme radical », Recherches féministes, 20, 2 : 141-162.
- Blandin, Claire (dir.), 2017 « Féminisme en ligne », Réseaux, communication, technologie et société, 201, janvier-mars.
- Breton, Émilie, et autres, 2007 « Mon/notre/leur corps est toujours un champ de bataille. Discours féministes et queer libertaire au Québec 2000-2007 », Recherches féministes, 20, 2 : 113-139.
- CAmpbell-fiset, Marie-Ève, 2017 Analyse d’un backlash intramouvement : les états généraux de l’action et de l’analyse féministes (2011-2014). Mémoire de maîtrise. Montréal, Université du Québec à Montréal.
- Chamberlain, Prudence, 2017 The Feminist Fourth Wave: Affective Temporality. Basingstoke, Palgrave Macmillan.
- Cochrane, Kira, 2013 All the Rebel Women: The Rise of the Fourth Wave of Feminism. Londres, Guardian Books.
- Dagnaud, Monique, 2011 Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion. Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Nouveaux Débats ».
- Darmon, Muriel, 2008 « La notion de carrière, un instrument interactionniste d’objectivation », Politix, 82, 2 : 149-168.
- DÉRY-OBIN, tanya, 2011 « Se mettre en danger pour changer le monde : subjectivité et web 2.0 », dans Mercédès Baillargeon et collectif les Déferlantes (dir.), Remous, ressacs et dérivations autour de la troisième vague féministe. Montréal, Les éditions du remue-ménage : 39-49.
- DUFOUR, Pascale, 2016 « Mobilisation du droit dans le conflit étudiant de 2012 au Québec : quand le juridique se mêle de la contestation politique », dans Diane Lamoureux et Francis Dupuis-Déri (dir.), Au nom de la sécurité! Montréal, M éditeur : 15-38.
- FÉDÉRATION DES FEMMES DU QUÉBEC (FFQ), 2018 « Trois positions adoptées lors de l’AGE 2018! », Fédération des Femmes du Québec, [En ligne], [ffq.qc.ca/14702/] (28 novembre 2019).
- Fillieule, Olivier, 2009 « Carrière politique », dans Olivier Fillieule, Lilian Mathieu et Cécile Péchu (dir.), Dictionnaire des mouvements sociaux. Paris, Presses de SciencesPo : 85-94.
- Hamrouni, Naïma, et Chantal Maillé (dir.), 2015 Le sujet du féminisme est-il blanc? Femmes racisées et recherche féministe. Montréal, Les éditions du remue-ménage.
- Ion, Jacques, Spyros Franguiadakis et Pascal Viot, 2005 Militer aujourd’hui. Paris, Autrement, coll. « CEVIPF ».
- KRUZYNSKI, Anna, et autres, 2013 Nous sommes ingouvernables. Les anarchistes au Québec aujourd’hui. Montréal, LUX, coll. « Instinct de liberté ».
- Lamoureux, Diane, et Stéphanie Mayer, 2018 « De grandes avancées en droits : le mouvement des femmes au Québec », dans Francine Saillant et Ève Lamoureux (dir.), InterReconnaissances. La mémoire des droits dans le milieu communautaire au Québec. Québec, Presses de l’Université Laval : 19-48.
- Maillé, Chantal, 2007 « Réception de la théorie postcoloniale dans le féminisme québécois », Recherches féministes, 20, 2 : 91-110.
- McQuade, Pénélope, et Hugo Latulippe, 2018 Troller les trolls – documentaire. [Enregistrement vidéo], Production Esperamos II, Québec, 60 min.
- Mensah, Maria Nengeh, 2005 Dialogues autour de la troisième vague féministe. Montréal, Les éditions du remue-ménage.
- PAGÉ, Geneviève, 2017 « La lente intégration du queer au féminisme québécois francophone : douze ans de résistance et le rôle de passeur des Panthères roses », Canadian Journal of Political Science/Revue canadienne de science politique, 50, 2 : 535-558.
- PAGÉ, Geneviève, 2006 Reinventing the Whell or Fixing It. Mémoire de maîtrise. Ottawa, Carleton University.
- PAGÉ, Geneviève, et Rosa PIRES, 2015 L’intersectionnalité en débats : pour un renouvellement des pratiques féministes au Québec. Montréal, Fédération des femmes du Québec/Service aux collectivités de l’UQAM.
- PRAIRIE, Marianne, et Caroline ROY-BLAIS (dir.), 2016 Je suis féministe, le livre. Montréal, Les éditions du remue-ménage.
- RUAULT, Katherine, 2017 Les rapports sociaux de sexe dans l’action sociale opposée au néolibéralisme. Mémoire de maîtrise. Montréal, Université du Québec à Montréal.
- Saillant, Francine, et Ève Lamoureux (dir.), 2018 InterReconnaissances. La mémoire des droits dans le milieu communautaire au Québec. Québec, Presses de l’Université Laval.
- SURPRENANT, Marie-Eve, et Mylène BIGAOUETTE (dir.), 2013 Les femmes changent la lutte. Au coeur du printemps québécois. Montréal, Les éditions du remue-ménage.
- Tremblay-Fournier, Camille, 2013 « La grève étudiante pour les nulles. Qui paie le prix des résistances au capitalisme néolibéral? », dans Marie-Eve Surprenant et Mylène Bigaouette (dir.), Les femmes changent la lutte. Au coeur du printemps québécois. Montréal, Les éditions du remue-ménage : 73-97.
- Tremblay-Fournier, Camille, 2011 « La MMF. Quelle place pour les étudiantes », Ultimatum, 10, 4, mars : 6.
- WEIL, Armelle, 2017 « Vers un militantisme virtuel? Pratique féministe sur Internet », Nouvelles Questions féministes, 36, 2 : 66-84.
- Woodward, Alison, 2003 « Building Velvet Triangles: Gender and Informal Governance », dans Thomas Christiansen et Simona Piattoni (dir.), Informal Governance in the European Union. Cheltenham, Edward Elgar : 76-93.
- Blogues, 2013-2019 Je suis indestructible, [En ligne], [www.jesuisindestructible.com] (28 novembre 2019).
- Blogues, 2008-2019 Je suis féministe, [En ligne], [jesuisfeministe.com] (28 novembre 2019).