Comptes rendus

Camille Robert et Louise Toupin (dir.), Travail invisible. Portraits d’une lutte féministe inachevée, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2018, 198 p.[Record]

  • Micheline Dumont

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  • Micheline Dumont, C.M.
    Université de Sherbrooke

L’ouvrage Travail invisible. Portraits d’une lutte féministe inachevée est sous la direction de deux chercheuses, appartenant à deux générations différentes, qui ont déjà à leur crédit un ouvrage consacré à la question litigieuse du travail ménager. Ainsi, Louise Toupin a publié en 2014, aux éditions du remue-ménage, Le salaire au travail ménager. Chronique d’une lutte féministe internationale (1972-1977), ouvrage essentiel sur un chapitre oublié du féminisme des années 70. Cet ouvrage vient tout juste d’être traduit en anglais. Pour sa part, Camille Robert a publié en 2017, chez Somme toute, Toutes les femmes sont d’abord ménagères. Histoire d’un combat féministe pour la reconnaissance du travail ménager. Les textes qui servent d’introduction et de conclusion à ce nouvel ouvrage proposent un cadre d’analyse permettant de saisir la fonction du travail de reproduction sociale assignée aux femmes dans les sociétés et mettant en évidence l’enjeu collectif que constitue le travail invisible aujourd’hui. On découvre que le travail gratuit, invisible, qui caractérise le travail ménager, représente le noeud gordien de l’organisation sociale, rien de moins. Dans l’esprit des militantes du mouvement international pour le salaire au travail ménager, ce salaire n’a jamais été pensé comme une revendication, mais comme une perspective globale d’analyse qui permettait de rendre visible la gratuité du travail. Plusieurs concepts utilisés couramment maintenant, la discrimination systémique et l’équité salariale notamment, sont issus directement des analyses des premières militantes du salaire au travail ménager. Le concept de reproduction sociale vient précisément de ces analyses. La reproduction sociale (production et reproduction de la force de travail) dans les sociétés où se déploie dorénavant le capitalisme (autrement dit, partout) expose désormais ce modèle faussement attribué à la nature, provenant de la division sexuelle du travail, soit la gratuité du travail domestique et reproductif. Qui plus est, la relation des femmes au travail domestique est traversée par des rapports raciaux, culturels et de classe qui incluent des situations d’exploitation entre femmes. Et, de ce fait, elles n’ont pas les mêmes expériences de l’oppression (p. 9). C’est donc à un approfondissement et à un élargissement de la question que les chercheuses convient le lectorat. Car les militantes du courant du salaire au travail ménager ont dévoilé, à partir de leur analyse du travail gratuit de la reproduction sociale, la face cachée de la division internationale du travail, soit le travail des sans salaire (p. 15). Elles affirment qu’un processus d’invisibilisation graduelle du travail en général est à l’oeuvre. Le travail gratuit et invisible constitue le ciment économique de la reproduction sociale. Avec cet ouvrage collectif, Robert et Toupin nourrissent l’espoir de voir « cet enjeu de lutte réinscrit au programme des mouvements des femmes [et espèrent] ainsi donner […] des outils tant pour nourrir la réflexion collective que pour l’action » (p. 18). L’équipe qu’elles ont réunie pour ce livre sur le travail invisible poursuit l’analyse de cette réalité, dans certains lieux où il s’est immiscé, et met en lumière des aspects souvent occultés par le mouvement des femmes. L’ouvrage propose d’abord un commode résumé, par Camille Robert, de la lutte des Québécoises sur la question de la gratuité du travail ménager, objet de son mémoire de maîtrise, depuis le début du xxe siècle : Du travail d’amour au travail exploité. Ce rappel est important puisque les féministes ont parfois la mémoire courte. Cette auteure sort de l’ombre des analyses de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste au début du xxe siècle et souligne les trois avenues proposées durant les années 70 : la socialisation des activités domestiques et familiales, le salaire au travail ménager et différentes réformes gouvernementales. Le …