Le présent numéro a été pensé dans l’objectif de contribuer à la diffusion de textes en français portant sur diverses formes de résistance, de création de connaissances et de pratiques de femmes autochtones. Nous inscrivant dans une perspective de décolonisation, nous avons considéré que la priorité de ce numéro devait être de mettre en valeur des textes issus principalement d’auteures autochtones. Nous sommes donc heureuses d’avoir réuni en ces pages des articles écrits ou coécrits par des femmes autochtones dont Aura Cumes (Maya-Kaqchikel), Suzy Basile (Atikamekw), ainsi que Patricia Monture (Mohawk). À ces voix trop peu nombreuses s’ajoutent, sous forme d’entrevues, celles de France Robertson (Innue), Michèle Rouleau (Ojibwé), Ellen Gabriel (Mohawk) et Viviane Michel (Innue). Deux autres contributions sont aussi à souligner, soit le poème de Joséphine Bacon (Innue), qui ouvre ce numéro, et l’oeuvre d’Ellen Gabriel, qui se trouve en page couverture. Malgré ce contenu fort riche, nous devons souligner la difficulté éprouvée à réunir un plus grand nombre de textes écrits par des Autochtones pour ce numéro. Le fait de ne pas avoir réussi à rassembler davantage de textes écrits par des femmes autochtones nous incite à réfléchir. Bien sûr, les enjeux démographiques et linguistiques sont des dimensions à considérer. D’une part, les femmes autochtones au Québec représentent une minorité démographique relativement modeste et elles sont peu nombreuses à franchir le seuil des établissements universitaires. Les taux de décrochage, en effet, sont encore bien supérieurs à la moyenne québécoise. D’autre part, il ne faut pas oublier non plus qu’au Québec les Inuites, les Cries, les Mohawks, les Naskapies et les Mik’maq ainsi qu’une partie des Algonquines n’écrivent pas en français ou peu, ayant plutôt l’anglais comme langue première ou seconde. Toutefois, nous croyons qu’il faut pousser notre réflexion plus loin. Les écrits et la présence des femmes autochtones sont encore peu visibles dans les milieux universitaires (Arvin, Tuck et Morrill 2013). C’est le cas tout particulièrement dans le milieu francophone, et ce, malgré l’intérêt grandissant pour les études autochtones affiché au cours des dernières années, notamment dans le cas des études postsecondaires québécoises. On assiste en effet, dans les universités francophones, à la création de divers programmes et cours d’études autochtones dans les départements d’histoire, de science politique, de sociologie, de littérature, etc. Ces cours sont les bienvenus, considérant le manque d’éducation sur les enjeux coloniaux qui ont marqué et marquent toujours les relations entre nations, au Québec tout comme dans le reste du Canada. Cependant, la création de cours et de programmes n’est pas en soi suffisante pour que l’apport des femmes autochtones soit reconnu. Le milieu universitaire est toujours ancré dans des rapports de pouvoir coloniaux, racistes, capitalistes et patriarcaux, ce qui a une influence sur la production et la circulation du savoir : le type de savoir valorisé, jugé valable, acceptable, légitime (Todd 2016), celles et ceux qui sont autorisés à y participer, les voix qui sont entendues, ou non. Le milieu universitaire se trouve ancré dans des rapports de pouvoir qui ont nécessairement une incidence sur les types de savoirs qui y sont valorisés. Un survol rapide des différents programmes offerts au Québec nous permet de constater deux éléments. D’une part, les cours et les programmes d’études autochtones sont actuellement créés et enseignés, en majorité, par des professeures et des professeurs non autochtones, formés dans des universités nord-américaines ou européennes, pour des étudiants et des étudiantes non autochtones. D’autre part, nous pouvons observer la place restreinte que réservent ces cours et ces programmes à l’étude des enjeux de genre. Par exemple, le certificat en études autochtones de l’Université Laval n’a pas de cours …
Appendices
Références
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