L’ouvrage intitulé La promotion de l’allaitement au Québec : regards critiques tombe à point nommé, dans un contexte où cette pratique est hautement scrutée dans le discours social et médiatique : d’une part, on entend fréquemment parler d’« ayatollahs de l’allaitement » qui s’acharneraient sur les nouvelles mères pour leur dicter le choix d’alimentation de leurs enfants et restreindre leur autonomie décisionnelle tout en les soumettant à un jugement public qui les qualifie ou disqualifie en tant que « bonne mère ». D’autre part, déferlent, en particulier sur Internet, les témoignages désemparés de femmes désireuses d’allaiter pour qui l’expérience s’est soldée par un échec ou de terribles écueils, placées devant des prescriptions aussi nombreuses que contradictoires. Comme l’affirme la codirectrice Catherine Chouinard en préface, l’allaitement n’est pas qu’un simple geste nourricier : il se situe au coeur de problématiques complexes qui dépassent la question des bénéfices pour la santé, mais que le discours promotionnel sociosanitaire résume à celle-ci, et qui imposent d’examiner cette fonction biologique sous l’angle de la culture. Car il s’agit inextricablement d’un phénomène naturel et social. Cet ouvrage comble donc le besoin urgent de problématisation d’un sujet qui touche au plus près les Québécoises dans leur expérience de la maternité, qu’elles choisissent, désirent, ou non, allaiter. En ouverture, l’historienne Denyse Baillargeon nous apprend que le discours sur l’allaitement a été rattaché dès le début du xxe siècle par les médecins hygiénistes à une question de « survie du peuple canadien-français » (p. 23). Ceux-ci tenaient les femmes responsables du taux très élevé de mortalité infantile dans la population franco-catholique, groupe ethnique connaissant d’ailleurs l’un des plus hauts taux de mortalité infantile en Occident jusque durant les années 60 et qui, aussi, allaitait le moins. Avec la révolution pasteurienne, on avait compris que le lait animal contaminé décimait les nourrissons, et c’est alors qu’a émergé en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest un mouvement médical pour remettre l’allaitement à l’honneur, mais accusant les mères d’être la cause unique de cette mortalité. Le non-allaitement sera également assimilé à une fantaisie, sans égard aux raisons de cet abandon, notamment, au Québec, la honte et l’indécence du corps héritée du catholicisme, les grossesses rapprochées et la pression à enfanter qui autorisait les curés à « une réprobation de l’allaitement prolongé » (p. 36). Il est devenu de bon ton au cours des années 20 et 30 de dénoncer ces mères qui se livraient à la mode du biberon pour jouir de la vie mondaine et se soustraire à leurs devoirs. Or, les données de la fin des années 20 montrent que le quart seulement des décès de nourrissons était attribuable aux entérocolites, tandis que les trois quarts mouraient plutôt de maladies infectieuses, prématurité, morbidité, malformations ou encore de lésions obstétricales. Les médecins rendant compte à l’époque des motifs de non-allaitement écrivaient qu’il n’y avait pas, à leurs yeux, de « raison valable » (p. 29) dans la majorité des cas, outre certains motifs invoqués par les femmes, soit leur manque de lait ou sa pauvreté, le travail salarié et la maladie. Un seul article médical recensé disculpait les femmes, nombreuses à voir leur santé décliner en raison de l’enchaînement des grossesses. À l’aube de la Révolution tranquille, l’amélioration des conditions sanitaires et du niveau de vie sera le facteur décisif entraînant une diminution franche et durable de la mortalité infantile. Lorsque l’approvisionnement en lait animal ou substitut sain, pasteurisés, sera garanti, les médecins se désintéresseront de l’allaitement, tout en s’élevant en autorité quant aux bonnes méthodes pour nourrir l’enfant, quelles qu’elles soient. Du texte de Baillargeon, on retiendra …
Chantal Bayard et Catherine Chouinard (dir.), La promotion de l’allaitement au Québec : regards critiques, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2014, 207 p.[Record]
…more information
Stéphanie St-Amant
Université du Québec à Montréal