Comptes rendus

André Gervais (édition préparée et annotée par), Louky Bersianik. L’écriture, c’est les cris. Entretiens avec France Théoret, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2014, 163 p.[Record]

  • Mylène Bédard

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  • Mylène Bédard
    Université de Montréal

Né en 2006, ce projet d’entretien avec Louky Bersianik (Lucille Durand) (1930-2011) avait d’abord pour objectif, selon France Théoret, de souligner le 30e anniversaire de la publication du roman L’Euguélionne (1976), oeuvre phare de la littérature féministe au Québec, mais surtout d’aborder la féminisation du langage, question chère à Bersianik qui a joué un rôle de pionnière dans ce domaine. Comme les entreprises d’écriture de Bersianik, cet entretien s’est démultiplié et s’est échelonné dans le temps pour devenir une série de six entretiens organisés autour de thèmes spécifiques. Pour Théoret, ces six échanges « témoignent de [l]a singularité féministe » (p. 8) de Bersianik. Ils rendent également compte de sa vivacité, et de sa volonté de dire et d’écrire. Celle qui avait franchi le cap de la quarantaine au moment de la publication de L’Euguélionne, roman maintenu quelques années à l’état de manuscrit par timidité, avait encore des cris à faire entendre et des projets d’écriture plein la tête lorsqu’elle s’est éteinte en 2011. Les entretiens réunissant France Théoret et Louky Bersianik se sont déroulés entre le 10 avril et le 5 juin 2006 à sa résidence située à Montréal. Enregistrés par son fils, Nicolas Letarte-Bersianik, ces entretiens n’étaient pourtant pas destinés à la publication au départ. C’est à partir des verbatims tirés de ces enregistrements qu’André Gervais a établi et annoté le texte, effectuant certaines modifications au passage dont la nature est précisée dans un préambule, afin d’offrir au public cet ouvrage qui commémore l’héritage littéraire et féministe de cette « terrible vivante ». Le premier entretien est consacré à la mère, Laurence Bissonnet, figure que Louky Bersianik inscrit à l’origine de son féminisme. C’est grâce à cette mère, féministe sans le dire et rebelle sans le paraître, que Louky Bersianik et sa soeur Claire ont pu poursuivre leurs études et faire leur cours classique comme leur frère André. En 1952, Bersianik sera diplômée de la Faculté des lettres de l’Université de Montréal pour sa maîtrise sur Bernanos ainsi que de l’École des bibliothécaires. Puisqu’elle a été à l’écoute de son désir de s’instruire malgré les contingences financières, sa mère constitue sans contredit une source d’inspiration dans la lutte qu’elle mènera pour l’égalité des femmes. Les textes féministes comme Le deuxième sexe (1949) de Simone de Beauvoir, qu’elle a lu seulement en 1964, car il était interdit au Québec avant cette date, et deux articles du Nouvel Observateur sur La politique du mâle (1970, 1971 pour la traduction française) de Kate Millett ont également été déterminants dans son engagement comme dans son oeuvre. L’Euguélionne s’ouvre d’ailleurs sur une dédicace à ces deux penseuses féministes : « à SIMONE DE BEAUVOIR avant qui les femmes étaient inédites / et / à KATE MILLETT grâce à qui elles ne sont plus inouïes ». Bersianik évoque également la lecture de Virginia Woolf, dont l’oeuvre, et plus particulièrement l’essai Une chambre à soi, l’a accompagnée tout au long de sa vie. Aux racines de son féminisme se trouvent également des contre-influences, des antimodèles. La religion et la psychanalyse constituent des moteurs à son indignation, car s’y affirment de façon prédominante et univoque l’autorité et l’opinion des hommes sur les femmes. En cantonnant les femmes dans le rôle de seconde, elles ont attisé sa révolte. Sur ce point comme sur de nombreux autres, Théoret et Bersianik se rejoignent et affirment d’une même voix qu’à l’origine du féminisme il faut une révolte. Consacré au père, Donat Durand, enseignant et homme de théâtre, le deuxième entretien est davantage lié à l’écriture. Féru du dictionnaire et grand lecteur, son père, bien que chrétien, …

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