Abstracts
Résumé
L’auteure s’appuie sur les théories de la voix en psychologie morale de même qu’en philosophie morale et politique pour montrer qu’elles autorisent une conception du sujet féminin directement articulée avec le politique, sous condition de les faire travailler avec le féminisme matérialiste. L’auteure relate une enquête ethnographique réalisée dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes et discute de la pluralité des voix et des langages à l’intérieur du domaine de travail du care. Elle repère trois modalités d’échec de la « voix différente » : l’inexpressivité (langue de bois importée du monde masculin), la surexpressivité (hystérie au sens social ou « hystérie de culture ») et la voix étouffée dans l’entre soi (résistance). Parler publiquement dans « une voix différente » impliquerait une transformation féministe de l’organisation du travail : il s’agirait moins de diviser le travail entre spécialités que de le partager plus équitablement. Cette perspective impliquerait d’assumer comme un passage obligé l’hystérisation de la voix féministe dans l’espace public, sa dissonance ou stridence.
Mots-clés :
- voix différente,
- éthique du care,
- travail du care,
- établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (ehpad),
- hystérie sociale,
- féminisme
Abstract
Relying on the theories of voice in moral psychology, ethics and political philosophy, when combined with a materialist feminist perspective, the author provides a conception of the female subject that is directly related to the political. The author draws on her ethnographic research in a nursing home to discuss the plurality of voices and languages within the care work domain. She identifies three ways in which the « different voice » is unsuccessful : inexpressiveness (professional jargon imported from the masculine world); hyper-expressiveness (hysteria in the social sense or « cultivatedhysteria »); muffled voices keeping to themselves (resistance). To speak publicly « in a different voice » involves a feminist transformation of the organization of work, based on equitable sharing rather than specialized division of labour. It implies accepting as a necessary transition the hysterization of feminist voices, their shrillness or dissonance in the public realm.
Resumen
Este artículo se basa en las teorías de la voz en psicología moral, en filosofía moral y política para demostrar que permiten una concepción del sujeto femenino directamente articulado con lo político, con la condición de hacerles trabajar junto al feminismo materialista. El autor sugiere un estudio etnográfico en un establecimiento residencial para ancianos dependientes para discutir la pluralidad de voces y languajes dentro de la zona de trabajo del care. Identifica tres modalidades de fracaso de la « voz distinta », la inexpresividad (jerga importada del mundo masculino), la surexpresividad (histeria en el sentido social o « cultura de la histeria »), la voz apagada en su interior (resistencia). Hablar en público en una « voz distinta » implicaría una transformación feminista de la organización del trabajo : no sería tanto de dividir el trabajo entre las especialidades sino de compartir de manera más equitativa. Esta perspectiva implicaría asumir como obligación la histerización de la voz feminista en el espacio público, su disonancia o estridencia.
Appendices
Références
- Arnaud, Sabine, 2014 L’invention de l’hystérie au temps des Lumières (1670-1820). Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales.
- Barrig, Maruja, 2001 El mundo al revès : imagenes de la mujer indigena. Buenos Aires, CLACSO.
- Cassell, Joan, 2000 « Différence par corps : les chirurgiennes », Les Cahiers du genre, 29 : 53-82.
- Douglas, Mary, 1992 « The Person in the Entreprise Culture », dans Shaun Hargreaves Heap et Angus Ross (dir.), Understanding the Entreprise culture : Themes in the Work of Mary Douglas. Édimbourg, Edinburgh University Press : 41-62.
- ELKABETZ, Ronit, et Shlomi ELKABETZ, 2014 Le procès de Viviane Amsalem, [Enregistrement vidéo], Warner Bros France, DVD, 115 min.
- FALQUET, Jules, et autres (dir.), 2010 Le sexe de la mondialisation.Genre, classe, race et nouvelle division du travail. Paris, Les Presses de Sciences Po.
- FRASER, Nancy, 2012 « Après le revenu familial. Exercice de réflexion post-industrielle », dans Nancy Fraser (dir.), Le féminisme en mouvements. Des années 1960 à l’ère néolibérale. Paris, La Découverte : 155-188 [1re éd. : Thousand Oaks (CA), Sage Publications, 1994].
- Gilligan, Carol, 2013 « Résister à l’injustice : une éthique féministe du care », dans Carol Gilligan, Arlie R. Hochschild et Joan Tronto (dir.), Contre l’indifférence des privilégiés. À quoi sert le care. Paris, Payot : 35-67.
- GILLIGAN, Carol, 2009 Une voix différente, Pour une éthique du care. Paris, Champs essais [1re éd. : Cambridge (MA), Harvard University Press, 1982].
- Hill Collins, Patricia, 1989 « La construction sociale de la pensée féministe Noire », dans Elsa Dorlin (dir), Black Feminism. Anthologie du féminisme africain-américain, 1975-2000. Paris, L’Harmattan : 135-176.
- Laugier, Sandra, 2007 « Voix reconnue, voix revendiquée. Cavell et la politique de la voix », Cahiers philosophiques, 109 : 9-28.
- Lautier, Bruno, 2002 « Les employées domestiques latino-américaines et la sociologie : tentative d’interprétation d’une bévue », Les Cahiers du genre, 32 : 137-160.
- LEPASTIER, Samuel, 2009 « Le paradigme de l’hystérie », dans Patricia Attigui (dir.), Éléments pour une épistémologie de la psychanalyse – Les Cahiers de l’ED, 39 : 49-116.
- Locke, John, 1998 Identité et différence. L’invention de la conscience. Paris, Essais Points [1re éd. : Londres, Thomas Basset, 1690].
- Mathieu, Nicole-Claude, 1991 « Quand céder n’est pas consentir. Des déterminants matériels et psychiques de la conscience dominée des femmes, et de quelques-unes de leurs interprétations en ethnologie », L’anatomie politique. Catégorisations et idéologies du sexe. Paris, Éditions Côté-femmes : 131-226.
- MOLINIER, Pascale, 2014 « Cuidado, interseccionalidade e feminismo », Tempo Social, 26, 1 : 17-33.
- MOLINIER, Pascale, 2013 Le travail du care. Paris, La Dispute.
- MOLINIER, Pascale, 2010 « Apprendre des aides-soignantes », Gérontologie et sociétés, 33 : 133-144.
- Nakano Glenn, Evelyn, 2000 « Creating a Caring Society », Contemporary Sociology, 29 : 84-94.
- Okin, Susan, 1989 Justice, Gender and the Family. New York, Basic Books.
- Paillé, Anne, 2011 Émotions et travail d’assistance aux soins personnels en gérontologie. Se garder du dégoût, mais pas trop. Thèse de doctorat. Québec, Université de Laval.
- Spivak Chaktravorty, Gayatri, 2009 Les subalternes peuvent-elles parler? Paris, Éditions Amsterdam [1re éd. : Londres, Macmillan, 1988].
- Tronto, Joan, 2009 Un monde vulnérable. Pour une politique du care. Paris, Éditions La Découverte [1re éd. : New York/Londres, Routledge, 1993].
- Varikas, Eleni, 2006 Penser le sexe et le genre. Paris, Presses universitaires de France.
- Wittig, Monique, 1969 Les guérillères. Paris, Éditions de Minuit.
- WITZ, Anne, 1992 Professions and Patriarchy. New York, Routledge.
- Zolesio, Emmanuelle, 2012 Chirurgiennes au féminin? Des femmes dans un métier d’hommes. Rennes, Presses universitaires de Rennes.