Présentation

AntigoneEmblème de la voix des femmes en éthique[Record]

  • Chantal Doré and
  • Cécile Lambert

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Le personnage d’Antigone est la figure emblématique du présent numéro de la revue Recherches féministes dont la visée est d’examiner l’expression de la voix des femmes en éthique. Mieux que quiconque, cette femme incarne les nombreux enjeux qui entourent la décision éthique, dont celui de la transgression. De même, il est plutôt remarquable que, dans cette tragédie grecque écrite en 441 av. J.-C., Sophocle, qui en est l’auteur, nous fasse part du peu d’intérêt que représente la voix des femmes dans tout ce qui dépasse les confins du foyer. Dans une guerre où deux frères appartenant à des camps opposés s’entretuent, Étéocle est enseveli selon le rite qui lui assure un accueil honorable auprès des morts. Quant à Polynice, considéré comme mécréant, le roi Créon décrète que sa dépouille sera privée de sépulture. Antigone, leur soeur, ne peut accepter que des rites funéraires lui soient refusés (Sophocle 1999 : 42) : « Il faut l’abandonner sans larmes, sans tombe, pâture de choix pour les oiseaux carnassiers! Oui, telles seraient les décisions que Créon le juste nous signifie, oui à toi et à moi, oui à moi! » Ayant décidé que le corps de Polynice ne doit pas être une proie laissée à l’abandon, Antigone invite sa soeur Ismène à se joindre à elle pour recouvrir de terre le corps de leur frère. Ismène n’y voit que folie, car elle juge inutile de s’acharner devant l’impossible. Tout en étant désolée de ne pas porter secours à sa soeur, elle ne pense pas pour autant que le sort réservé à son frère est juste, « mais désobéir aux lois de la cité, non : j’en suis incapable » (Sophocle 1999 : 44). L’obéissance aux ordres du roi est une obligation… Nous voici donc en présence de la préséance du droit sur l’éthique. De plus, Ismène ne manque pas de rappeler à Antigone leur statut de femme, qui les rend « incapables de lutter contre des hommes » (Sophocle 1999 : 44) qui sont aussi leurs maîtres. Néanmoins, Antigone choisit de défier les ordres du roi sachant très bien que son geste lui vaudra la mort. La comparution d’Antigone devant Créon met en scène les valeurs à la source du conflit qui est à l’origine de la tragédie qui s’annonce. « Je savais bien que je mourrais », dira-t-elle, lorsque les gardes qui ont été témoins de ses efforts pour recouvrir le corps de Polynice la conduisent auprès de celui qu’elle a osé défier. Pour Créon, la sauvegarde de l’État est primordiale et quiconque s’y attaque n’a plus droit à la part du juste. Alors que, pour Antigone, laisser un corps sans sépulture, c’est le priver d’un passage vers l’au-delà et, par le fait même, violer des lois fondamentales qu’elle qualifie de divines. À ses yeux, outrepasser ce que ces lois nous prescrivent est un crime bien au-dessus de la désobéissance civile. Dans cette situation, la piété qui représente l’attachement au devoir à l’égard de la personne morte et l’amitié qui fait appel à la bienveillance pour la personne aimée sont le reflet des valeurs fondamentales sur lesquelles Antigone fonde son agir. C’est donc en toute conscience qu’Antigone assume son destin : « Sans amis, seule en mon infortune, je descends vivante au tombeau des morts » (Sophocle 1999 : 82). Hémon, le fils de Créon à qui Antigone est promise, invite son père à se montrer moins absolu dans ses jugements : « Ne te crois pas l’unique détenteur de la vérité » (Sophocle 1999 : 71). Tirésias, devin et conseiller du roi, plaide, tout comme Hémon, pour un appel à …

Appendices