Laura Bassi est une femme véritablement « exceptionnelle ». À 20 ans, le 17 avril 1732, elle soutient brillamment une série de 49 thèses, c’est-à-dire de réponses à 49 questions sur différents sujets, dont 16 portant sur la métaphysique et 18 sur les sciences physiques (chapitre 1). Elle avait préparé par écrit les réponses en latin et elle a, ce jour-là, répondu oralement aux questions des sept membres du jury, tous des hommes. Elle a ainsi obtenu son diplôme de docteure en philosophie. Trois semaines auparavant, elle avait été invitée à devenir membre de l’Académie des sciences de Bologne. Sa grande intelligence et son bagage de connaissances l’avaient fait connaître des élites politico-religieuses de la ville au cours de nombreuses rencontres et discussions se déroulant chez elle. Ces élites masculines souhaitaient contrer le déclin de l’Université de Bologne et mettre en évidence la vitalité de leur cité grâce aux talents de cette femme d’exception d’origine plutôt modeste (son père était avocat). Dans son livre Laura Bassi and Science in 18th Century Europe, The Extraordinary Life of Italy’s Pioneering Female Professor, Monique Frize nous présente la vie de cette femme hors du commun, ainsi que l’époque à laquelle elle a vécu, ce qui correspond aux débuts des sciences expérimentales. C’est en Italie, alors un assemblage de cités-États, que s’est développé, aux xive et xve siècles, le concept de « femme exceptionnelle ». On encourageait des jeunes femmes à étudier, surtout les langues, la philosophie et la littérature (chapitre 2). Leurs talents étaient ensuite mis en évidence afin de promouvoir la vitalité de leur cité-État. L’auteure donne quelques exemples, comme Christine de Pisan (1363-1434), Isotta Nogarola (1418-1466) et Laura Cereta (1469-1499). Il ne faut cependant pas en conclure que tous les hommes instruits étaient d’accord, comme le montrent deux querelles célèbres qui ont eu lieu par la suite. En 1599, Giuseppe Passi a publié un pamphlet misogyne qui a suscité une forte réaction de deux femmes, Lucrezia Marinelli Vacca (1571-1653) et Moderata Fonte (1555-1592). De même, un débat s’est déroulé à l’Académie de Ricovrati à Padoue le 16 juin 1723 pour discuter de l’opportunité de permettre aux femmes d’étudier les sciences. Ce débat a donné lieu à des réponses écrites par deux femmes, dont Maria Gaetana Agnesi (1718-1799), alors âgée de 11 ans mais qui à 9 ans participait déjà à des discussions à Milan! Au Moyen Âge, même si l’on tenait à ce sujet des procès en sorcellerie, les sciences étaient considérées comme un champ d’études mineur (chapitre 3). Quelques femmes se sont illustrées à cette époque, dont Hildegard de Bingen (1099-1179), qui a réfléchi sur le système solaire et a écrit sur la médecine et les sciences naturelles, et Jacqueline Felice de Almania, qui pratiquait la médecine à Paris en 1322. Cependant, plus le milieu scientifique et médical s’est organisé, plus les femmes ont eu de la difficulté à y pénétrer. Néanmoins, aux xve et xvie siècles, plusieurs femmes se sont également illustrées. Monique Frize cite en particulier Sophie Brahé (1556-1643), qui était déjà passionnée d’astronomie à 10 ans, Margaret Lucas (1623-1673), épouse de William Cavendish, qui a été la première femme autorisée à visiter la Société royale à Londres, et Marie Cunitz (1610-1664), qui a écrit un livre pour rendre accessibles au plus grand nombre les lois de Kepler. Dans la péninsule italienne, il y a eu aussi plusieurs femmes de science à cette époque (dont soeur Fiammetta Frescobaldi, qui a décrit le phénomène des taches solaires en 1584), mais c’est principalement au début du xviiie siècle qu’une certaine ouverture envers les femmes …
Monique Frize, Laura Bassi and Science in 18th Century Europe, The Extraordinary Life of Italy’s Pioneering Female Professor, Berlin et Heidelberg, Springer-Verlag, 2013, 196 p.[Record]
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Michel Pigeon
Université Laval