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L’ouvrage Penser la violence des femmes, dirigé par Coline Cardi et Geneviève Pruvost, est le fruit de 27 travaux présentés lors d’un colloque international, portant le même nom, à Paris en 2010. La violence des femmes est abordée sous divers angles : la pluridisciplinarité des études permet d’atteindre les objectifs de ce collectif qui sont d’exhumer, de dénaturaliser, de contextualiser, d’« historiciser » et de repolitiser la violence des femmes. Ces travaux tentent d’assigner un sens à la violence des femmes en définissant la notion de violence et en interrogeant la différence des sexes quant à ce phénomène. L’ouvrage se divise en quatre grandes parties qui explorent les violences politiques, le privé et le politique, le traitement institutionnel de la violence des femmes ainsi que la figuration et la défiguration des femmes violentes.
La première partie aborde la politisation de la violence des femmes à des époques et dans des circonstances variées. Émeutières, insurgées, révolutionnaires, combattantes, policières, génocidaires, les femmes ont été des actrices sociales de violence publique. De la France du xvie siècle au Rwanda du xxe siècle, en passant par la Révolution française, la Commune et la lutte armée au Proche-Orient ou en Irlande, ces articles relatent des périodes troubles où les femmes sont intervenues sur la scène politique et ont participé activement aux violences. Les violences de femmes dans l’espace politique correspondent, pendant longtemps et aujourd’hui encore, à une double transgression dans des territoires considérés initialement comme masculins, c’est-à-dire la violence et la politique. Les femmes violentes dans les milieux publics remettraient donc en cause la distribution des rôles et des espaces qui organisent les sociétés. Au-delà de la violence politisée de ces femmes, la reconstruction de l’ordre social, politique et « genré » est également un élément abordé dans cette partie.
Les textes de la deuxième partie de l’ouvrage explorent et comparent la violence des femmes dans les sphères privées et politiques. Si elle est dépolitisée dans le domaine public, la violence est souvent voilée, atténuée et même déniée dans le contexte privé. Ainsi, on aborde les situations de violence considérées comme inhabituelles chez les femmes. Femmes pédophiles, femmes violentes lesbiennes, femmes violentes maliennes, jeunes brésiliennes criminelles, voilà autant d’exemples de figures sociales impensables soulevés dans cette partie. Ces situations de violence sont alors vues comme une réappropriation, par les femmes, des valeurs sociales de domination : elles tenteraient, par leurs actes violents, de s’affirmer comme actrices détenant un pouvoir. Les travaux présentent également les actes violents des femmes comme un mode de survie. Par ce mécanisme de défense, il y a ainsi tentative de renversement d’un cumul de situations de domination.
La troisième partie de l’ouvrage explore le traitement institutionnel de la violence des femmes. Les représentations de la violence des femmes dans un contexte institutionnel sont donc abordées. On interroge le traitement de la criminalité féminine par les systèmes pénaux. Une comparaison entre les genres pour la criminalité est alors faite : le constat est que les figures prises par les femmes délinquantes sont différentes de celles des hommes et que leurs délits sont appréhendés autrement par les acteurs juridiques. La criminalité féminine serait alors inférieure à la criminalité masculine. Cette infériorité serait occasionnée par la rareté de la pénalisation des femmes pour des faits violents sur des hommes. Une typologie des crimes typiquement féminins devrait être utilisée pour décrire de manière appropriée cette réalité. Bref, selon les textes de cette partie, il y aurait sous-représentation des femmes lors des processus pénaux. Cette sous-représentation est également observable dans les situations de conflits armés. La violence des femmes y est perçue comme exceptionnelle, anormale et différente de celle des hommes. Cette idée entraînerait une dichotomie dans la description de la violence : les hommes sont les bourreaux et les femmes, les victimes. Des textes soulignent les répercussions de la perspective binaire de la violence chez les femmes. Ces représentations victimes/bourreaux limiteraient l’analyse et la compréhension réelle de la participation des femmes aux violences armées.
Enfin, les figurations et les défigurations des femmes violentes sont explorées dans la quatrième et dernière partie de l’ouvrage. On considère davantage la violence des femmes comme une construction sociale : on parle alors de violences performatives, symboliques et fantasmées. Certes, la performance est l’essence de l’exercice de la violence chez les actrices violentes. Toutefois, cette violence relève d’une logique fantasmatique pour ceux et celles qui y assistent. Dès lors, la violence féminine est symbolique : elle n’est pas désirée comme une réalité, mais en tant que représentation. La médiatisation accentuerait ainsi les stéréotypes sexuels de la violence et, par conséquent, les représentations communes. Cette transgression des normes de genre se situerait au coeur d’un filtre social qui défigurerait la question de l’engagement des femmes dans des mouvements politiques violents.
Les différents textes de cet ouvrage ont tenté de répondre à la question suivante : comment penser la violence des femmes? La compréhension de cette réalité ne signifie pas qu’on la justifie : les diverses hypothèses soulevées expliquent davantage la violence des femmes par la variation des contextes culturels.
Il n’en demeure pas moins que dans la plupart des travaux on s’interroge sur les concepts de genre et de sexe de la violence. Ce questionnement réanime certains débats à l’égard de la normalité et de la symétrie de la violence. Bref, les stéréotypes de genre sont remis en cause dans la compréhension de la violence féminine : les dichotomies émancipation/oppression et bourreaux/victimes sont largement abordées dans cet ouvrage. Certes, la violence a un sexe, mais elle possède également un genre. Participant à un ordre des sexes, la violence est le reflet des rôles masculins et féminins s’appuyant sur les normes sociales. Le genre, quant à lui, permet de signifier les rapports de pouvoir. Or, la violence des femmes peut être expliquée à partir des différences de sexes, mais elle peut aussi être abordée en analysant les interrelations de pouvoir.
L’explication de la violence des femmes par les rapports de genre peut toutefois paraître simplette. Une analyse contextualisée des changements de relations entre les hommes et les femmes est apportée par certains auteurs et auteures afin de limiter l’utilisation des idées binaires dans l’explication de la violence féminine. Ce désir d’élargir le champ d’études de la violence des femmes est une façon concrète et vivifiante de mieux répondre à la question initiale qui est : comment penser la violence des femmes?