Comptes rendus

Maria Nengeh Mensah, Claire Thiboutot et Louise Toupin, Luttes XXX Inspirations du mouvement des travailleuses du sexe., Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2011, 455 p.[Record]

  • Micheline Dumont

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  • Micheline Dumont
    Université de Sherbrooke

Note d'Érudit

Une erreur s'est malencontreusement glissée dans un prénom d’une auteure de l'ouvrage recensé. Il s'agit de Maria Nengeh et non de Marie Nenghe. Par conséquent, la version en ligne diffère de la copie imprimée (PDF). Date de modification : juin 2024.

Il n’est pas anodin qu’un ouvrage féministe, publié en 2011, ne soit recensé que deux ans plus tard dans une revue québécoise de recherches féministes : les responsables de cette revue ont eu du mal à trouver une volontaire! Le sujet même de cette anthologie, la parole des travailleuses du sexe, est l’objet d’un débat qui divise le mouvement féministe depuis plus de deux décennies. Or, il ne s’agit pas d’une division comme il y en a tant au sein du féminisme depuis l’apparition de cette lutte sociale au xixe siècle : la contraception, le suffrage féminin, le salaire au travail ménager, les quotas en politique, l’équité salariale, etc. C’est dans ce cas précis une division tout à la fois conceptuelle et idéologique : le travail du sexe est considéré soit comme un travail, soit comme une aliénation. Cette division est aussi structurelle : pour s’en tenir au Québec, le Conseil du statut de la femme s’oppose à la reconnaissance du travail du sexe, tandis que la Fédération des femmes du Québec a choisi de présenter les deux positions et refuse encore de prendre parti. On trouve également deux organisations internationales opposées, la Coalition Against Traffic of Women (1991) et la Global Alliance against Traffic in Women (1994), qui proposent des statistiques contradictoires. Enfin, cette division est dans un cul-de-sac : les deux camps ont beaucoup de peine à discuter, voire à se parler, s’accusent de faussetés et manifestent une incompréhension totale du discours de l’autre; les propos des deux camps sont le plus souvent indignés et le discours abolitionniste semble majoritaire. En 2005, les rédactrices du numéro anniversaire de La Vie en rose en faisaient déjà le constat : « Putain de débat » (relire de toute urgence, p. 72-76). J’ai accepté de rédiger le compte rendu qui suit parce que je n’appartiens à aucun camp et que je souhaite honnêtement tenter d’y voir plus clair. La lecture de cet ouvrage n’est pas de tout repos : il faut s’attendre à un certain bouleversement. Avant d’aller plus loin, je conseille de commencer la lecture par trois textes qui situent les trois niveaux de lecture présents dans l’ouvrage : le texte liminaire, le texte de Louise Toupin et le texte de Maria Nengeh Mensah. Le texte liminaire (p. 15) donne la parole à une travailleuse thaïlandaise : je pense que personne ne peut lire ses propos sans ressentir à quel point la situation des travailleuses du sexe est contradictoire. Le texte de Louise Toupin, qui a d’ailleurs paru dans la revue Recherches féministes en 2006, s’intitule « Analyser autrement la « prostitution » et la « traite des femmes » (pp. 388-402). On y réalise que, dans le discours social majoritaire, sont continuellement amalgamées « prostitution » et « exploitation sexuelle » ou encore « traite » et « prostitution ». Louise Toupin cite notamment une étude hollandaise de Wijers, Marjan et Lin Lap Chew (1997). On y trouve ce paragraphe que je reproduis en entier tant il est d’une clarté : On sait avec certitude que des femmes sont réduites en esclavage dans le champ du travail domestique, que des enfants sont réduits en esclavage dans la fabrication des tapis, que des ouvriers sont réduits en esclavage dans les usines du quart-monde, et pourtant personne ne songe à abolir le travail domestique, ni la fabrication des tapis, ni le travail en usine. Pourquoi le travail du sexe devrait-il être aboli? Et seulement ce travail? Pascale Navarro écrivait dans La Vie en rose : « Toutes les féministes s’entendent sur ce principe : les femmes ont le droit de …

Appendices