Présentation[Record]

  • Lucie Joubert and
  • Brigitte Fontille

L’heure est à l’humour, au Québec comme ailleurs. Nous n’avons jamais tant ri. Pourtant, même omniprésent, cet humour se décline encore majoritairement au masculin, les femmes occupant toujours la portion congrue de cet espace, du moins en ce qui a trait à leurs prestations sur scène. Les femmes humoristes, en effet, sont encore bien peu nombreuses pour des raisons aussi bonnes que diverses mais toujours extérieures à leur talent (Joubert 2010 : 100); de plus, il faut le dire, cet humour, pourtant bien réel, est toujours considéré comme une excroissance de l’humour dit universel selon une idée reçue qui a la vie dure et qui confine au truisme : les gars font de l’humour tout court, les filles font de l’humour de filles… quand elles sont drôles, bien sûr, les galons dans le domaine n’étant pas gagnés d’avance. On a longtemps hésité à reconnaître une âme aux femmes : il y a encore, semble-t-il et dans une moindre mesure, une résistance à leur concéder la faculté de faire rire ou sourire (Joubert 2002 : 165). Cette réticence, même inconsciente, a de lourdes conséquences. Prenons la littérature : alors que, du Moyen âge à nos jours, les femmes ont souvent eu recours à l’ironie ou au trait d’esprit, elles brillent par leur éclatante absence dans les nombreuses anthologies ou les ouvrages savants consacrés à l’humour et à ses avatars (ironie, satire, parodie, etc.); elles ne servent à peu près jamais de référents universels. En d’autres termes, on ne les donne pas en exemple, on ne cite pas leurs ouvrages, on ne les analyse pas. Rare exception : Pour une éthique de la raillerie de Mademoiselle de Scudéry, texte qu’a choisi Véronique Sternberg-Greiner (le sexe de la signataire de l’anthologie n’est peut-être pas innocent ici) pour son recueil Le comique (2003). Déduction logique du lecteur ou de la lectrice de bonne foi qui parcourt ces livres de référence (mais qui n’a pas compris le système qui décide des modèles à suivre) : si les oeuvres de femmes ne sont jamais citées, c’est qu’elles ne font pas d’humour. Sinon, cela se saurait. Alors, inutile de lire les femmes si on veut de l’humour, puisqu’elles n’en font pas. Par contre, si on ne les lit pas, on ne saura jamais qu’elles en sont capables… C’est un malentendu tenace qui entraîne une autre conséquence : la nécessité de ghettoïser l’humour au féminin, de l’étudier dans sa finalité « genrée », pour qu’on l’entende, qu’on le voie enfin. Car, on le constatera en lisant Les voies secrètes de l’humour des femmes, l’esprit féminin se porte très bien; il est pluriel, polymorphe, tour à tour jouissif ou plus grave. Il emprunte simplement des canaux moins tonitruants que la scène, pratiquement le seul terreau médiatique actuel de l’humour féminin. Le présent numéro de la revue Recherches féministes propose donc des réflexions issues de multiples disciplines et vient s’ajouter aux (rares) ouvrages français sur la question. Judith Stora-Sandor remarquait en 1995 que les chercheuses et les chercheurs qui osaient essayer de mesurer la différence entre l’humour des femmes et des hommes « avan[çaient] sur un terrain inconnu », devaient inventer leurs « propres méthodes et soumettre [leurs] résultats à de constantes révisions » (Stora-Sandor 1995 : 6), tellement le domaine était inexploré. Cinq ans plus tard, Élisabeth Pillet, dans sa présentation du numéro de la revue Humoresques intitulé « Armées d’humour. Rires au féminin », soulignait que, « si l’humour féminin a déjà donné lieu, dans le domaine anglo-saxon, à de nombreux travaux universitaires, il n’en est pas de même en France »; le numéro …

Appendices