Émile Durkheim (1858 -1917) est considéré comme un des fondateurs de la sociologie, cette nouvelle discipline que l’on peut définir comme « l’étude des faits sociaux considérés comme des choses » (p. 1). On lui doit la célèbre étude sur le suicide dans laquelle il démontre que ce geste apparemment tout à fait individuel est en réalité un fait social, c’est-à-dire qu’il subit l’influence de l’environnement social. Cette nouvelle science se place en opposition au naturalisme qui, à l’époque, s’intéresse aux relations entre la physiologie et le comportement humain. Dans son ouvrage intitulé, La sociologie entre nature et culture, 1896-1914, Hélène Charron démontre, par une analyse fine des textes publiés dans L’Année sociologique de 1896 à 1914 par Durkheim (fondateur de la revue), ses collaborateurs et plusieurs autres personnes, que la majorité des auteurs de la revue (et de ceux et celles dont les textes sont analysés dans la revue) n’ont pas compris que les rapports sociaux de sexe ne sont pas déterminés par la nature, mais sont bel et bien des faits sociaux. Dans le premier chapitre, Charron présente la revue L’Année sociologique. Elle décrit d’abord le projet de Durkheim qui consiste à rompre avec le sens commun et à expliquer le social à partir du social et non de la biologie, de la philosophie, de la psychologie ou de la religion. Une rupture forte! Charron décrit ensuite la manière dont fonctionne la revue : la fréquence (douze volumes au total, de 1896 à 1914), les principaux auteurs, les types de textes (mémoires originaux, brèves notices, analyses d’ouvrages, etc.), les sujets traités et la présentation en thèmes et sections. Elle aborde brièvement la question des femmes comme sujet et souligne l’absence de textes proprement théoriques sur cette question. Dans le deuxième chapitre, Charron décrit le contexte social à l’époque en France. Elle s’intéresse en particulier à certains auteurs clés du XIXe siècle et à certaines institutions créées à cette période, de même qu’à la place des sciences sociales à l’université, et termine le chapitre par la présentation de l’évolutionnisme social de Durkheim. La fin du XIXe siècle en France est le début de la Troisième République, caractérisée par le courant laïque, l’instruction obligatoire, l’apparition du mouvement ouvrier et la pauvreté persistante. Frédéric Le Play (1806-1882) est représentatif de la période précédente. Il fonde en 1856 la Société d’économie sociale : « Son hypothèse centrale est que l’on peut comprendre la société en l’étudiant systématiquement à l’échelle microsociale » (p. 21). Vers 1890 est fondé Le musée social, une institution dont le but est de produire et de diffuser le savoir sur les faits sociaux relatifs à la vie industrielle; elle est dirigée par des réformateurs qui ne sont pas des révolutionnaires et elle est plus proche de l’État que des ouvriers. Charron présente aussi, entre autres, Dick May et René Worms, deux auteurs qui, comme Le Play, sont des réformateurs sans idéologie ni vision forte. L’université s’ouvre lentement aux sciences sociales à la fin du XIXe siècle et Durkheim y est, à cet égard, un pionnier; cependant, il n’est pas seul, il y a même tout un monde sociologique qui bouge, mais il s’impose, entre autres, par la création de L’Année sociologique qui lui permet de critiquer les autres approches. Pour Durkheim et ses collaborateurs, il y a « un mouvement de l’humanité allant de l’homogénéité vers l’hétérogénéité » (p. 43), qui fait en sorte que les groupes sociaux deviennent interdépendants. Les sociétés primitives évoluent et deviennent plus sophistiquées, plus morales, et s’émancipent lentement des contraintes de la nature. Selon Durkheim, au départ, de …
Hélène Charron, La sociologie entre nature et culture, 1896-1914. Genre et évolution sociale dans L’Année sociologique, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2011, 180 p.[Record]
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Michel Pigeon
Assemblée nationale