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Cet ouvrage sous la direction de Josette Trat n’est pas une réimpression des textes publiés par une revue féministe disparue depuis plus d’une dizaine d’années. Le travail d’archivage informatique ayant déjà été fait par l’association Radar, le projet est ici beaucoup plus ambitieux. Il s’agit de réunir certaines féministes qui ont participé au projet ou l’ont suivi de près et de mener une réflexion rétrospective sur ce qui a fait la singularité des Cahiers du féminisme et les thèmes qu’ils ont abordés, tout en prolongeant ces réflexions à la lumière du contexte actuel caractérisé par l’émergence d’une nouvelle génération féministe et de nouveaux enjeux.
L’ouvrage aborde donc les aspects suivants : l’histoire des Cahiers, le travail des femmes, les enjeux liés au corps et aux sexualités, les polémiques françaises sur la question du « voile », l’internationalisation des mouvements féministes et les enjeux actuels. Si les trois premiers thèmes sont largement tournés vers le passé, les trois derniers sont plus contemporains, voire prospectifs.
Dans la mesure du possible, la facture du livre tend à reproduire l’atmosphère de travail qui régnait aux Cahiers : un effort de réflexion collectif qui débouche sur des textes individuels et un effort qui consiste à inclure des personnes extérieures au projet, mais qui l’ont suivi avec empathie. Il procède d’une volonté de transmission, que l’on retrouve également dans les diverses activités qui ont accompagnée tout au long de l’année 2010 la célébration des « 40 ans du féminisme français ».
Dans le panorama des expériences féministes des années 70, l’expérience des Cahiers du féminisme reste singulière. C’est une revue féministe mais publiée par une organisation politique, la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Les rédactrices de cette revue n’en prônent pas moins l’autonomie du mouvement féministe par rapport à cette organisation politique. Le projet de la revue est également de se rattacher au courant « lutte des classes » du mouvement féministe français et de chercher à articuler luttes des femmes et lutte des classes, tout en ne négligeant pas la dimension antiraciste. D’où l’importance que la revue a accordée aux luttes des salariées, ce qui transparaît un peu dans la section « Travail » de l’ouvrage. Par ailleurs, si la revue était publiée et soutenue financièrement par la LCR, force est de constater qu’elle est restée en marge de l’organisation à la fois sur le plan politique (les enjeux féministes n’ont jamais été réellement pris en charge par la LCR et la diffusion de la revue a reposé essentiellement sur ses militantes plutôt que sur l’ensemble de l’organisation) et dans ses modes de fonctionnement organisationnel, puisque la forme féministe du collectif a usuellement été de mise.
L’apport le plus notable de la revue est certainement lié au travail des femmes et aux luttes des travailleuses. Comme le constate l’une des auteures, « après l’avortement, le temps de travail a certainement été l’un des thèmes les plus traités dans les Cahiers » (p. 65). Constatant que les grandes grèves de femmes ont eu lieu avant la parution de la revue, au cours des années 70, les rédactrices n’en soulignent pas moins l’attention qu’elles ont accordée aux luttes des salariées, et il y a une volonté d’actualisation des enjeux liés au travail. On note également une volonté de réinterpréter la signification des luttes syndicales menées par des groupes totalement ou majoritairement féminins et d’en faire ressortir l’originalité par rapport aux autres luttes ouvrières ou syndicales.
La poursuite des réflexions amorcées par les rédactrices de la revue permet également de sortir des oppositions binaires en ce qui concerne tant la prostitution que le port du voile. Certes, les Cahiers n’ont pas hésité à soutenir, lors des luttes en faveur de la liberté à l’avortement, le droit des femmes de disposer librement de leur/notre corps, mais cela doit-il pour autant inclure celui de le transformer en marchandise? De la même manière, y a-t-il nécessairement continuité entre la défense des droits des lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres et intersexes (LGBTI) et les positions dites « pro-sexe »? Doit-on nécessairement choisir entre une loi interdisant le voile dit « musulman » et la banalisation du même voile? Dans ces débats, la revue a souvent pris la position du « ni, ni » et a cherché à réfléchir à la complexité des enjeux soulevés, en tenant compte de la position de toutes les femmes.
Le même souci de nuance se fait sentir dans la section sur les enjeux actuels. Josette Trat y souligne les dangers des positions intersectionnelles ou postcoloniales lorsqu’elles ont tendance à diffuser l’idée d’un « féminisme blanc » homogène (p. 327) et préfère tenir compte des capacités de riposte unifiée aux offensives antiféministes en tout genre en prenant en considération « la situation des femmes les plus exploitées et les plus opprimées » (p. 331).
Bref, voilà un ouvrage intéressant qui éclaire un pan méconnu de l’activité politique et féministe et qui permet de souligner encore et toujours l’actualité du féminisme.