Comptes rendus

Marie-Hélène Bourcier, Queer Zones 3. Identités, cultures et politiques, Paris, Éditions Amsterdam, 2011, 357 p.[Record]

  • Alexandre Baril

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  • Alexandre Baril
    Université d’Ottawa

Marie-Hélène Bourcier, désormais bien connue avec Queer Zones 1 et 2 (2006 [1re éd. : 2001] et 2005), complète sa trilogie avec Queer Zones 3. On y trouve un collage de textes et d’entretiens, originaux ou déjà publiés, qui constituent des unités indépendantes que Bourcier présente dans son préambule comme des pièces d’une « Play List » (p. 11) à choisir aléatoirement. Dès ces premières lignes, le ton est donné : critique, truffé de néologismes et d’emprunts à l’anglais. Bourcier précise d’ailleurs qu’elle « essaie de trouver une écriture parlée, burlesque, qui puisse pas être gobée par l’académique et dans un français parasité par l’anglais » (p. 148). Malgré ce souci, le livre demeure hermétique pour les néophytes qui ne manient pas avec autant d’agilité et d’érudition que l’auteure les Wittig, Braidotti, de Lauretis, Hall, Foucault, Barthes, Derrida, Freud, etc., pour les encenser ou les critiquer. L’entreprise peu orthodoxe de Bourcier n’a toutefois pas empêché la constitution de onze chapitres cohérents rassemblés sous trois sections : « Modernisme et féminismes », « Ready for the cultural turn? » et « Yes we queer! » Le fil conducteur qui les traverse concerne la critique de l’universalisme français et son imperméabilité aux productions culturelles alternatives et aux subcultures minoritaires qui représentent pourtant un capital politique à investir. La première section examine cet universalisme et propose deux chapitres qui critiquent les postulats modernes, élitistes et exclusifs qui subsistent dans le champ culturel et féministe en France. Après un rappel historique des débats entre féministes différencialistes et radicales matérialistes, l’auteure montre que la France demeure fermée aux idées féministes. Cet « antiféminisme » (p. 23) se traduit dans la culture française dans laquelle certaines productions culturelles sont valorisées, financées, etc., et d’autres non. C’est à travers l’exemple des films de Catherine Breillat que Bourcier déplore ce qu’elle nomme le « haut modernisme français », demeuré intact en France à cause de la relative absence des études féministes et culturelles (p. 32 et 40). Cet art moderne se caractérise par une recherche d’objectivité, d’universalité, de désengagement politique et propose une vision de la culture élitiste, raciste, classiste et sexiste (p. 35-37). Bourcier, dans son deuxième chapitre, précise que la France n’est pas seule à avoir raté son tournant culturel pour sortir du modernisme : c’est également le cas du féminisme français (p. 63). Bien qu’elle adhère à certaines idées des féministes matérialistes (Wittig, Delphy, Guillaumin, Mathieu), Bourcier les accuse de réductionnisme à travers leur « approche super-structurale » de la culture. Cette approche (marxiste) simpliste des industries culturelles vues comme « l’opium des connes » réduit le pouvoir d’agir des femmes considérées comme trop « dupes » pour voir le subterfuge (p. 67). C’est à cette vision homogène du rapport entre femmes et culture qu’entend remédier Bourcier en adoptant une approche plus complexe (foucaldienne) du pouvoir. La culture populaire, bien qu’elle soit « genrée » et ait été créée par et pour les hommes, ne peut être rejetée en bloc, au risque de se priver d’espaces alternatifs de résistance. Les femmes ne sont pas que les réceptacles passifs d’une culture sexiste; elles prennent part aux processus de déconstruction et de reconstruction des productions culturelles et le croisement entre études féministes et culturelles permet cette lecture nuancée : Cet échec des matérialistes à concevoir le pouvoir d’agir des femmes dans la culture populaire à partir d’une vision moderniste (p. 73-74) est symptomatique d’une problématique plus large en France par rapport aux subcultures qui demeurent non reconnues. C’est la raison pour laquelle Bourcier, dans la deuxième section de l’ouvrage, invite à prendre ce virage culturel …

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