L’antiféminisme est une réaction. Étymologiquement, il pourrait se placer « au lieu du », « en comparaison du » ou « contre le » féminisme. En tout cas, il s’oppose, mais concrètement à quoi, à qui? Qui le porte : des individus, des groupes sociaux, des organisations? Le numéro commun des Cahiers du Genre et de Recherches féministes a été pensé pour y voir plus clair dans cette nébuleuse des réactions au progrès social en faveur de l’émancipation des femmes. S’y intéresser maintenant tient d’abord et avant tout à ce qu’il y a non seulement problème mais aussi danger. L’antiféminisme s’organise aujourd’hui en s’adossant à l’idée que, les inégalités de genre ayant disparu, les nouveaux droits des femmes seraient des privilèges créant de nouvelles inégalités à l’encontre des hommes. Partant de là, le féminisme contemporain est censé être dépassé, car il continuerait de combattre pour des objectifs déjà atteints. Cela le cataloguerait comme combat d’arrière-garde. Cependant, en a-t-il toujours été de même et cela a-t-il toujours revêtu les mêmes formes? C’est ce qu’une perspective historique permet de savoir. Et en est-il partout de même? Une perspective internationale permet de s’en faire une idée. Deux directions d’emblée présentes dans notre projet éditorial commun. L’antiféminisme s’oppose au féminisme, c’est une évidence étymologique, qu’il peut être nécessaire de rappeler et de décortiquer, mais à quoi s’opposent ou réagissent les antiféministes? Aux féministes? Ou aux femmes dans leur ensemble? Du cri du meurtrier en rafale de l’École polytechnique à Montréal qui lance « j’haïs les féministes » aux meurtres en série de femmes seules dans les rues, des crimes dits « d’honneur » aux viols de guerre, du harcèlement psychologique et sexuel au travail à la malnutrition féminine assumée, des mariages forcés aux mutilations sexuelles et aux violences domestiques, quel est le lien? On tue des femmes au nom de leur sexe, mais en des lieux, en des situations politiques, en des contextes très divers. Si la méthode de combat, la violence, est commune, argumentaires et justifications adoptent plusieurs déclinaisons. Lorsqu’on réfléchit à l’antiféminisme, on se heurte d’entrée de jeu à un problème, c’est-à-dire la définition de ses contours, de ses objectifs et de ses méthodes. De quoi parlons-nous au juste : s’agit-il de discours, de pratiques ou des deux? En quoi l’antiféminisme est-il distinct de la misogynie, du sexisme, de la lesbophobie, du postféminisme, du masculinisme ou en quoi se confond-il avec l’une ou l’autre de ces attitudes? Son caractère fuyant, du fait de ses contours incertains, interdit-il toute tentative de délimitation? Commençons par un petit exercice de sémantique. Malgré des luttes féministes qui se déroulent depuis plus d’un siècle et des avancées qui ont transformé les vies des femmes et des hommes, force est de reconnaître que nous vivons encore dans des sociétés misogynes, sexistes et lesbophobes, et c’est de ce fond sociétal qu’émergent les diverses variantes de l’antiféminisme. Livrons-nous à un petit travail archéologique pour en repérer les sédimentations et constituer une généalogie des antiféminismes contemporains. La misogynie est certainement la strate la plus ancienne et en même temps la plus récurrente. Un dictionnaire la définit ainsi : « haine ou mépris des femmes » (Petit Robert 2012). Nos cultures sont imprégnées de ce mépris. Ève serait la cause de la déchéance humaine, ayant osé braver l’interdiction divine et croquer le fruit de l’arbre du bien et du mal, ce qui s’est soldé par l’expulsion du paradis et la confrontation de l’humanité à la mortalité, à la misère et à la souffrance. Hésiode nous décrit Pandore, « source de la race maudite des femmes », comme source également de la …
Appendices
Références
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