Présentation

Évolution historique de la pensée féministe sur le développement de 1970 à 2011[Record]

  • Elsa Beaulieu and
  • Stéphanie Rousseau

…more information

Le sujet du « développement » comme thématique d’un numéro de revue est un de ceux qui amènent nécessairement à poser un regard critique sur l’état du monde que nous habitons, un monde perçu et vécu de plus en plus à travers l’interdépendance caractérisant chacune des sociétés nationales, des collectivités locales et des communautés transnationales telles qu’elles se consolident depuis l’intensification des migrations à l’échelle globale. Or, parler de « développement » en 2011 peut sembler paradoxal, même anachronique, au regard de l’évolution de la conjoncture économique et politique mondiale. En effet, les quinze dernières années ont été le théâtre d’événements qui ont provoqué le déplacement de plusieurs points de repère qui structuraient le dispositif de développement, et, par conséquent, son étude : crises économiques successives, d’une ampleur toujours plus grande due à l’interconnexion croissante au sein du capitalisme financiarisé; bouleversements majeurs liés aux changements climatiques; militarisation et virage sécuritaire à la suite des événements du 11 septembre 2001; changement, voire renversement des rapports de pouvoir entre les différentes régions du monde, pour n’en nommer que quelques-uns. Ces bouleversements rendent-ils obsolètes la notion de « développement » et les champs d’études qui lui sont consacrés, y compris le champ « femmes/genre et développement »? En 2011, la crise économique mondiale de 2008 est revenue hanter les gouvernements et les peuples de l’Europe ainsi que des États-Unis et, par voie de conséquence, du monde entier. Cette crise financière a eu des effets absolument désastreux sur les populations de différents niveaux socioéconomiques, mais elle a aussi révélé une crise de légitimité des institutions financières et politiques du régime néolibéral de gouvernance capitaliste. La façon dont les chefs d’État ont répondu à cette crise, en sacrifiant des milliards de fonds publics pour la sauvegarde des banques et des marchés, n’aura été qu’un pansement sur une plaie béante. De la même façon, le refus de plusieurs gouvernements, dont le gouvernement canadien, d’agir pour parer à l’accélération du réchauffement climatique permet une course toujours plus effrénée à l’exploitation des ressources non renouvelables, détruisant les écosystèmes, mettant en péril la production agricole et l’alimentation, ainsi que les modes de vie de millions d’êtres humains, principalement dans le Sud. La direction du changement en ce qui a trait aux fondements et aux pratiques économiques mondiales subit profondément l’influence de la transformation des rapports entre différentes puissances, étant donné que plusieurs pays du Sud dits « émergents » (au premier chef, la Chine, suivie de l’Inde et, dans une moindre mesure, du Brésil et de la Russie, soit le BRIC) sont en train de supplanter les puissances traditionnelles et brouillent ainsi la ligne de division Nord-Sud sur laquelle repose le dispositif de développement. Ces mutations semblent faire de l’« aide au développement » une sorte de relique d’une autre ère, ou encore un recours ultime pour « les pays en extrême pauvreté ». Bien que l’« industrie du développement » – avec ses experts et ses expertes, ses techniques, ses sciences, ses institutions, ses valeurs hégémoniques – soit toujours vigoureuse, les sommes consacrées par les États à l’aide officielle au développement n’ont pas augmenté depuis 1990 (OCDE 2011). En proportion du revenu national brut des pays donateurs, l’aide au développement a même diminué depuis cette date. En outre, le virage sécuritaire observé dans le dispositif de développement depuis les événements du 11 septembre 2001 (Escobar 2012, Marchand 2009; Marchand et Sisson Runyan 2011) contribue aussi à transfigurer le paysage de l’aide au développement, ne serait-ce qu’en créant violences et catastrophes humanitaires, d’une part, et en détournant les budgets des États vers le complexe militaro-industriel, d’autre part. Par ailleurs, …

Appendices