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Alors qu’au Québec nous entendons et lisons régulièrement des nouvelles relatant l’heureux événement de la naissance ou encore de l’arrivée d’un ou d’une enfant dans une famille homoparentale[1], dans la préface du présent livre, Eleni Varikas présente la recherche de Virginie Descoutures sur les couples de mères lesbiennes françaises comme une revendication du « double paradoxe qui consiste à réunir ensemble ce que le sens commun et les normes sociales séparent : l’homosexualité, perçue socialement comme une transgression de l’ordre du genre, et la maternité, un des plus importants piliers de cet ordre et de la hiérarchie des sexes et des sexualités dont elle devient le support » (p. IX). Cet ouvrage, qui a reçu le prix Le Monde de la recherche universitaire en France et a été publié par les Presses universitaires de France dans une collection grand public, nous montre à quel point la société québécoise a pris une longueur d’avance sur la France relativement à la question de l’homoparentalité.
En introduction, l’auteure affirme que son but est de faire connaître la vie quotidienne des mères lesbiennes vivant en couple. Pour ce faire, elle a procédé à des « entretiens compréhensifs[2] » auprès des deux « conjointes-parentes[3] » de 24 familles homoparentales françaises métropolitaines qui élèvent des enfants âgés de 1 à 18 ans (p. 5) : « Que se passe-t-il dans le couple quand deux femmes sont à l’“origine” d’un enfant, se définissent et se comportent comme mères de l’enfant? » Ces entrevues ont été complétées par la collecte de données sur le quotidien de ces femmes, consignées dans des carnets.
L’auteure a pris soin de choisir des familles représentant diverses figures de la maternité lesbienne :
des familles lesbiennes adoptives;
des familles lesbiennes coparentales où la décision d’avoir un ou une enfant s’est prise avec un homme, gai ou hétérosexuel, qui accepte de concevoir sans assistance médicale et d’élever l’enfant avec les mères lesbiennes;
des familles lesbiennes composées d’enfants conçus par relation sexuelle entre la mère biologique et un homme hétérosexuel ou gai;
des familles lesbiennes constituées grâce à une insémination artificielle avec donneur anonyme ou connu.
Virginie Descoutures présente son travail en trois parties. Avant la première, elle fait d’abord une contextualisation du sujet dans un chapitre théorique introductif qui relate la transformation de la famille contemporaine et l’apparition de la famille homoparentale avec ce qu’elle entraîne de pressions politiques et sociales dans la France contemporaine. Puis les première et deuxième parties sont consacrées à la présentation des résultats de la recherche. L’auteure compare tout d’abord le quotidien des couples enquêtés avec l’image hétéronormative de la famille telle qu’elle est définie dans la société contemporaine française en ce qui concerne le droit, la médecine et la psychologie. Enfin, la troisième et dernière partie, « Une expérience de la parentalité », nous fait entrer dans le quotidien des familles lesbiennes enquêtées pour y observer leur façon de vivre.
Bien au fait des questions d’homoparentalité et de filiation homosexuelle ou lesbienne au Québec surtout, mais aussi au Canada et dans le monde occidental en général, j’ai été bouleversée tout au long de la lecture de cet ouvrage par le peu d’ouverture de Virginie Descoutures à l’égard des pratiques homofamiliales, tant européennes hors France que nord-américaines, et aussi par la prise de conscience de toute la souffrance exprimée dans les résultats de la recherche.
L’auteure se limite à définir et à décrire l’homoparentalité et la filiation à travers le prisme de la société française et de son droit civil : elle laisse ainsi de côté les avancées faites dans le monde occidental au regard des droits des gais et des lesbiennes quant à l’accès au mariage et à la filiation. Et lorsqu’elle ne peut passer outre, les énoncés sont si évasifs qu’ils ne permettent pas de faire avancer le débat[4], ou encore ils sont tout simplement erronés[5].
Par ailleurs, je suis encore ébranlée par la souffrance que vivent ces mères françaises, particulièrement celle que l’auteure nomme la « mère non statutaire », celle que la loi ne reconnaît pas, qui n’apparaît pas sur l’acte de naissance de l’enfant, qu’il soit question d’adoption ou d’une naissance découlant d’une relation sexuelle avec un hétérosexuel ou un gai ou encore d’une insémination artificielle avec donneur anonyme ou non. Car, en France, l’adoption n’est accordée qu’aux hétérosexuels mariés ou à un futur parent célibataire[6]. Si un ou une enfant naît d’une relation sexuelle, ses parents sont obligatoirement la mère et le père biologiques, même si la mère vit en couple avec une femme, et que cette dernière participe au projet parental[7]. Quant à l’insémination artificielle, elle est refusée aux femmes qui sont célibataires ou lesbiennes. Pour y recourir, la future mère doit se rendre dans une clinique de fertilité d’un pays voisin, comme la Belgique, ou le faire avec un ami dans l’intimité de sa demeure. Ainsi, la conjointe de la mère biologique n’a aucun statut légal quant à l’enfant, qu’elle soit partie prenante du projet parental ou non. Par opposition, l’adoption est accessible au Québec à tous les couples, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels, mariés, unis civilement ou en union de fait[8], et l’insémination artificielle est offerte gratuitement aux couples infertiles, qu’ils soient hétérosexuels ou lesbiens[9].
Cette non-reconnaissance du statut de mère de la conjointe de la mère biologique crée parfois des situations à la limite de la paranoïa, telles que le silence sur la vie des familles homoparentales (p. 124), pour la « mère non statutaire », la peur de perdre son enfant advenant une rupture (p. 210) ou le décès de sa conjointe seule mère légale de leur enfant[10], une période dépressive et un sentiment d’injustice pour la mère non reconnue (p. 159), et, enfin, un sentiment d’usurpation de la part de la conjointe de la mère légale du rôle qui ne devrait revenir qu’à la mère biologique (p. 207). Comme si cette mère de l’enfant n’en était pas une vraie, comme si son rôle s’apparentait plutôt à celui d’une nourrice ou d’une gouvernante. Ces couples de mères lesbiennes reproduisent même parfois le modèle très stéréotypé de la famille hétérosexuelle, la conjointe de la mère légale jouant un rôle analogue à celui du père qui, dans ce modèle de famille très freudien, a la responsabilité de briser la relation fusionnelle entre la mère et son enfant (p. 212).
Si l’objet de cette recherche est « de révéler, au travers de l’exercice du travail parental, une vie quotidienne peu connue, souvent “invisibilisée” par le stigmate de l’homosexualité, et de contribuer à la réflexion sur “la” famille et le cadre hétéronormatif dans lequel elle se définit » (p. 4), il faut bien comprendre qu’il s’agit de la famille dans le cadre hétéronormatif français seulement. À mon avis, l’unique mérite de cet ouvrage est de nous dévoiler les habitudes et les angoisses de la société française aux prises avec des valeurs moyenâgeuses et des règles juridiques archaïques qui l’empêchent d’évoluer et d’entrer définitivement dans le XXIe siècle.
Appendices
Notes
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[1]
Je pense particulièrement à la naissance du bébé de Rufus Wainwright annoncée dans tous les grands journaux du Québec et que le chanteur présente comme le bébé « de ses fiers parents Lorca Cohen, Rufus Wainwright et Jorn Weisbrodt, papa adjoint ». Voir également Étienne Dutil (2010) et Vézina (2011).
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[2]
Kaufman et Singly (2004).
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[3]
Le Québec désigne ces conjointes comme les deux mères ou les deux parents de l’enfant.
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[4]
Par exemple, l’auteure affirme que « [l]e lesbianisme, contrairement à l’homosexualité masculine qui fait l’objet de prohibitions formelles, demeure le plus souvent innommé, tant son existence paraît incompatible avec les présupposées idéologiques sur la nature de la femme » (p. 17). Et, elle cite pour appuyer ses propos la recherche de Line Chamberland publiée en 1996. Depuis cette recherche, par ailleurs fort importante au moment de sa publication, le Québec, tout comme le reste du monde occidental, a beaucoup évolué, et cela a aussi été le cas en France.
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[5]
L’auteure affirme que la présomption de maternité joue « que les deux femmes soient ou non mariées » (p. 60). Or l’article 538.3 du Code civil du Québec spécifie clairement que cette présomption ne joue que lorsque les deux parents (en l’occurrence, les deux mères) sont mariés ou unis civilement.
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[6]
Voir le site suivant : www.adoption.gouv.fr/Qui-peut-adopter.html.
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[7]
D’ailleurs, l’auteure relate le cas d’Élodie qui, pour avoir un bébé, a dû « voir de près un ami pendant dix mois » (p. 102). À la fin de son témoignage, Élodie mentionne : « Bon, il y a des moments un peu difficiles parce que je n’ai pas une sexualité hétéro pure et dure et puis, franchement, je préfère les femmes… » (p.102).
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[8]
Code civil du Québec, art. 546.
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[9]
Voir le site suivant : www.familleshomoparentales.org/27/Dernieres-nouvelles.html .
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[10]
Voici le témoignage de Judith : « Je me sentirais rassurée par rapport à Nicolas, si Marthe décède, qu’on me considère comme référente de Nicolas. Qu’il y ait pas de perturbation au moment du décès, à se demander : « Qu’est-ce qu’on va faire de Nicolas? » Parce que, pour nous, c’est complètement évident : Nicolas restera avec moi. Mais qu’est-ce que juridiquement on peut nous faire? Je n’ai pas confiance… J’ai peur qu’ils l’enlèvent, qu’ils le mettent à la DDASS, qu’ils le confient à quelqu’un d’autre que moi » (p. 133). Voir également le passage où l’auteure explique que, « en cas de décès de la mère légale, ce sont les parents de cette dernière qui deviennent les premiers responsables légaux des enfants » (p. 145).
Références
- Dutil, Étienne, « Elton John et son compagnon papas d’un petit garçon », Fugues, 28-12.
- Kaufman, Jean-Claude et François de Singly, 2004 L’entretien compréhensif. Paris, Armand Colin.
- Vézina, Valérie, 2011 « Ils sont pères de jumelles », Fugues, 22-02.