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Alors que nos petits-enfants ont déjà le regard dans l’espace et communiquent par clavardage, Clotilde T.-L. Painchaud et Louis Painchaud nous ramènent près d’un siècle et demi en arrière en présentant les lettres d’amour de leurs ancêtres : Denis-Émery Papineau et Charlotte Gordon. Ce saut dans le passé révèle un temps où le désir, l’attente et le style littéraire des lettres donnaient aux échanges amoureux une couleur bien différente. Ainsi, le bel Émery, 34 ans, notaire de profession, habite Montréal. Il rencontre Charlotte, 23 ans, au printemps de 1853. C’est au cours d’une seconde rencontre, en novembre, au petit village de L’Industrie, (qui deviendra bientôt Joliette), que le courant passera. Émery, épris de cette jolie jeune fille, naturelle et spontanée, demande la permission de lui écrire. Charlotte accepte avec bienveillance et attend, dans les jours qui suivent, la missive qui n’arrive pas...
Cette chère lettre ne viendra qu’en janvier 1854. Émery ne s’excuse pas, car il trouve lui-même la faute impardonnable. Il fait état de sa grande timidité, écrit des mots tendres qui laissent deviner que la jeune et jolie Charlotte l’intéresse au plus haut point. Il souhaite ardemment recevoir une réponse. Cette lettre ainsi qu’un volume de Chateaubriand avaient été confiés à l’un de ses amis, M. Panneton, qui se rendait souvent à L’Industrie. L’hiver, les moyens de communication entre Montréal et le village de L’Industrie étaient extrêmement difficiles. Le train n’y circulait pas et la navigation sur le fleuve Saint-Laurent s’arrêtait dès l’arrivée des glaces. Les plus courageux atteignaient L’Industrie en carriole par des chemins enneigés, mal entretenus, quasi impraticables. Émery signait sa lettre : « Très humble et obéissant serviteur et ami dévoué, D.E. Papineau » (p. 15). De nos jours, le message texte (ou « texto ») démocratise rapidement les échanges; les formules à l’ancienne tenaient à la fois de la politesse, du respect et des conventions. Charlotte s’empresse de répondre à son nouvel ami qu’elle appelle « monsieur ». Elle lui parle de la lettre tant attendue : « Je la lis et relis et trouve dans chaque mot votre âme tout entière » (p. 16). Elle ose espérer qu’en dépit de ses occupations Émery pourra lui envoyer quelques lignes tous les deux mois. Elle termine en disant : « Excusez ce griffonnage, c’est affreux. Permettez-moi de me souscrire avec sincérité et confiance. Votre dévouée amie, C. Gordon » (p. 17). Le style fleuri cache mal l’amour débordant que Charlotte porte au jeune notaire.
Au début de février, Charlotte prend l’initiative d’envoyer à son amoureux une poésie intitulée « Dis-moi pourquoi » : « Pourquoi mon coeur, à ta présence, bondit et palpite, plus prompt, [...] pourquoi ta voix est enivrante » (p. 19). C’est un valentin et elle signe : « C ». Émery, ému, répond à la belle, qu’il appelle sa « bien-aimée » et l’« élue de son coeur ». Il lui envoie, cette fois, quelques numéros d’une revue littéraire américaine et lui demande d’écrire ses impressions et son jugement qu’il imagine déjà parfaits. Cet envoi et le nom de famille de Charlotte laissent supposer que la langue anglaise est familière à cette dernière. L’écriture de Charlotte, même « affectée », est belle et fluide, sans anglicismes; c’est une personne « de qualité » et l’on perçoit, chez l’un comme chez l’autre, une éducation soignée.
Nous sommes toujours en février 1854, et voilà qu’Émery lui écrit une quatrième lettre. Il s’adresse à elle en l’appelant « mademoiselle ». Pourtant, les protestations d’amour se multiplient. Il lui promet un séjour à L’Industrie, mais le remet sans cesse, prétextant des obligations ou des affaires pressantes. Charlotte s’en désole; Émery la rassure (p. 27-28) : « Vous oublier, vous, mademoiselle, après vous avoir connue une fois; vous oublier! lorsque vous êtes ma première et ma dernière pensée de la journée, lorsque pour tout ce que je fais, partout où je […] vais, vous êtes là présente, à côté de moi, dans ma pensée, pour m’encourager et me soutenir contre les moments d’ennui et de lassitude! ». La lecture nous porte à douter de la sincérité du cher Émery qui donne, semble-t-il, beaucoup plus d’importance à son travail qu’à celle qui ne rêve que de le revoir. Ce qu’elle n’ignore pas cependant, c’est que le père d’Émery, Denis-Benjamin Papineau, est décédé quelques semaines auparavant, à la seigneurie de Petite-Nation dont il est l’administrateur. Émery et son frère, Casimir-Fidèle, également notaire, sont responsables du règlement de la succession. L’amoureux doit donc voyager fréquemment entre Petite-Nation (Papineauville) et Montréal, où il exerce sa profession. Émery est très affecté par la mort de son père, il y fait souvent allusion dans ses lettres. Considérant ce triste événement, on comprend mieux le retard que met Émery à rendre visite à celle qu’il appelle dans la même lettre : « mademoiselle » et « ma bien-aimée »!
Le notaire connaît bien l’entourage de Charlotte : ses trois soeurs déjà mariées, sa cousine et grande amie Caroline Loedel. Il lui demande toutefois de rester discrète sur leurs relations pour « empêcher souvent les paroles tracassières et endévantes » (p. 30). En dépit de ses propos amoureux et passionnés, Émery signe toujours ses lettres « votre serviteur fervent et ami dévoué, D. E. Papineau »; et Charlotte s’adresse à lui en l’appelant « monsieur ».
En mars 1854, une lettre de Charlotte laisse présumer qu’Émery lui a fait une véritable demande en mariage. Il lui envoie un bijou qu’elle portera à son cou : « Cette croix est d’or, permettez que je vous dise que le bonheur que je goûterai avec vous sera d’or et que vos bontés en formeront la chaîne » écrit-elle (p. 35). Elle lui suggère aussi d’écrire à son oncle Loedel au sujet de leur union.
Au début du livre, Clothilde T.-L. Painchaud et Louis Painchaud, qui écrivent tous deux, nous font part de la trajectoire de Charlotte. À la mort de son père, à Kingston, Charlotte avait 4 ans. Sa mère, Christiana Loedel-Gordon, s’installe alors au petit village de L’Industrie. Son oncle et tuteur, le docteur Peter Charles Gordon, médecin et industriel (frère de sa mère), y demeure depuis quelques années. C’est là qu’elle grandira, sauf pendant ses années d’études à Berthier (Berthierville). Émery écrit donc une longue lettre à l’oncle Loedel, le mettant au courant de ses intentions. Il loue à la fois les qualités inestimables de Charlotte et les bienfaits dont il a su l’entourer. Il ne demande pas sa main, mais l’informe de ses choix. Émery désire que le mariage ait lieu dès les premiers jours de la navigation « afin de monter ensuite chez [ses] parents [pour] faire faire, à votre bonne nièce, connaissance avec la nouvelle famille dans laquelle elle aura daigné entrer » (p. 40). En post-scriptum, Émery ajoute qu’il veut mettre dans son contrat de mariage une clause de séparation de biens. Il explique à l’oncle Loedel, dans la langue crue et froide de la loi, que l’expérience qu’il a des affaires de succession et de famille l’a convaincu que la séparation de biens est de beaucoup préférable. « S’il arrive quelque revers ou quelque accident, cela évite d’avoir recours aux tribunaux pour faire prononcer cette séparation, seul moyen souvent de conserver quelque chose à l’épouse et à la famille » (p. 41). Ce choix est étonnant en 1854. Il semble qu’Émery soit assez d’avant-garde, car la communauté de biens a fait partie d’une longue tradition chez la population canadienne-française. Le choix d’Émery était plutôt celui des gens d’affaires. Un autre souhait, peut-être lié au décès récent de son père, est précisé dans la lettre au sujet du mariage : « je ne désirerais faire aucune noce ou éclat; je ne me rendrai probablement qu’avec un de mes frères et peut-être un autre ami de L’Industrie; et s’il y avait possibilité de s’embarquer le jour même du mariage pour venir coucher à Montréal et monter le lendemain à Petite-Nation, je le préférerais » (p. 42). Émery demande toutefois l’opinion de l’oncle à ce sujet et le prie de remettre la lettre à Charlotte. « Je désirerais qu’il n’y eut que vous, elle et mon frère et moi qui sussions le temps fixé pour mon mariage » (p. 42).
Émery écrit à Charlotte le même jour. Comme à l’habitude, il la comble de compliments, vante sa douceur, sa bonté, sa gaieté, sa complaisance. Il lui redit son amour. Il lui parle de l’importance du contrat de mariage et la met au courant du choix de la séparation de biens. « Toutes les dépenses seraient à mes charges », lui explique-t-il (p. 46). « Je ferai pour vous et pour vos enfants si la Providence nous en accorde dans sa miséricorde, ce que je croirai le plus sûr et le plus avantageux » (p. 46). Nous ignorons les conditions financières de Charlotte. Il semble qu’elles soient modestes, car Émery lui envoie de l’argent « pour [l’] aider à [se] procurer quelques articles qu’elle désirerait avoir pour le grand jour » (p. 46). Il s’est rendu chez le joaillier afin de « se procurer ce gage d’une alliance indissoluble pour toute la vie » (p. 47). Le 8 avril, il écrit à Charlotte une lettre pleine de tendresse et, pour la première fois, signe tout simplement « Émery ». Charlotte lui répond qu’elle se languit de le revoir. Émery écrit, par la suite, presque tous les jours et envoie de l’argent à l’occasion. En monnaie d’aujourd’hui, cela pourrait atteindre 1 000 $. Dans sa lettre du 12 avril, Émery a choisi la date du mariage. Il suggère le mardi de Pâques et annonce à Charlotte qu’il cherche à obtenir de l’évêque de Montréal, Mgr Bourget, les dispenses des trois bans; à noter que cette dispense est considérée comme un privilège et suppose une offrande à l’église. À Pâques, Émery précise que les glaces résistent encore au printemps et s’inquiète du jour choisi. Sa lettre est une déclaration d’amour où la poésie se mêle à la tendresse : « Je vous aime et vous aimerai tout entière, toute votre personne, ma bien-aimée […] mon bonheur pour toute la vie » (p. 67). Charlotte lui répond que l’attente lui est bien pénible, car elle ne rêve que de lui. En même temps, elle lui envoie les renseignements qu’il lui a demandés pour rédiger le contrat de mariage. Elle précise : « Charlotte Gordon, née le 4 mars 1830, fille de Émelia Christiana Loedel, veuve de feu John Gordon du département de l’ordonnance de Sa Majesté » (p. 70). Elle doit toujours compter sur quelqu’un qui se rend à Berthier ou à Lanoraie, car il n’y a pas de bureau de poste à L’Industrie. Émery est fidèle et écrit tous les jours; ses lettres, on ne sait trop comment l’expliquer, voyageaient beaucoup plus rapidement.
Cependant, il faut se rendre à l’évidence : le jour du mariage doit être retardé. Charlotte confie à Émery son tourment de ne pas l’avoir près d’elle. « Sur le point de devenir l’heureuse compagne de votre vie, voilà que de mauvais chemins, que d’éternelles glaces mettent entre nous un espace incommensurable et me privent de votre présence » (p. 75). Mgr Bourget de Montréal a enfin accordé la dispense des trois bans. Émery lui avait aussi demandé que le mariage ait lieu le soir, mais le prélat n’a pas voulu entendre raison sur ce point. Dans sa lettre du 25 avril, Émery fait état de la résistance des glaces et s’en désole puisqu’elles l’empêchent d’être auprès de sa bien-aimée. Il a hâte de lui remettre l’alliance qu’il lui destine. Quelques jours plus tard, il apprend à Charlotte que la glace est partie devant la ville. Il reste confiant que le chenal s’ouvrira très bientôt ou encore que le train pourra se rendre jusqu’à L’Industrie pour lui permettre de la retrouver. Une lettre de Charlotte, datée du 28 avril, nous met devant les faits : « Les chars prennent régulièrement leurs voyages ainsi que le steamboat » (p. 95), mais voilà qu’Émery retarde encore le jour du mariage (p. 96). « En répondant, écrit-elle, vous voudrez bien me dire le jour certain où vous viendrez ici. Hâtez ce moment, car je ne puis vous promettre que je ne mourrai pas et mourir sans vous, oh! c’est triste! ».
Voilà qu’Émery a été pris d’une indisposition subite qui le retient à Montréal. Il redit à Charlotte son grand amour et lui confirme qu’un de ses frères et un ami, M. L.-A. Dessaulles, assisteront au mariage. À la lecture, nous nous étonnons de toutes ces conditions et nous nous mettons à la place de Charlotte qui, d’une journée à l’autre, s’attriste de ces incertitudes. Le 6 mai, une lettre d’Émery annonce à Charlotte qu’une rechute de sa maladie a nécessité la visite du médecin. Il va mieux, mais se sent très faible et le docteur MacDonnell s’oppose à ce qu’il parte mardi pour aller la rejoindre. Témoin des protestations d’amour de l’une ou de l’autre partie, la lectrice ou le lecteur éprouve un certain malaise... Émery est-il vraiment malade? Pourrait-il hésiter? Est-il déchiré entre son amour pour Charlotte et l’impératif de son travail? Imagine-t-il le désagrément et la déconvenue de sa bien-aimée devant le retard et l’idée bien arrêtée d’un mariage sans éclat, voire presque caché? En aucun moment, Charlotte ne met en doute l’amour de son Émery.
L’oncle Loedel écrit à Émery qu’il se réjouit de voir que sa santé s’améliore et compte l’accueillir le mardi suivant. « Le contrat de mariage se fera le mardi au soir, après l’arrivée des chars » (p. 111), en présence du notaire Magnan. L’heure du mariage est fixée pour huit heures le lendemain. « Comme je vois que vous désirez vous marier à jeun, il vaut mieux faire le mariage à cette heure-là. M. le grand Vicaire Manseau sera à bord du Jacques-Cartier, vous pourrez conférer ensemble sur ce sujet » (p. 111). Pas un instant, Charlotte ne se permet quelque reproche envers son Émery. Elle lui apprend que sa tante, Mrs. Leprohon, a fait baptiser un beau gros garçon. Elle a voulu qu’il s’appelât « Emery » afin, dit-elle, qu’il pût vous ressembler plus tard (p. 114). Émery se réjouit de la nouvelle, mais, ajoute-t-il (p. 115), « Est-ce que le bruit qu’il y aurait dans la maison fatiguerait cette dame? » « Alors ne penseriez-vous pas que par égard pour elle, quoiqu’il pût nous en coûter, il vaudrait mieux attendre à la semaine suivante [p. 115]? » Se peut-il qu’après toutes ces déclarations d’amour et toutes ces promesses, Émery demeure indécis, hésitant? Charlotte l’assure ensuite que sa tante est tout à fait rétablie et qu’elle a hâte de lui présenter son petit Émery. Elle insiste : « Venez donc, venez mardi; voyez comme tout le monde vous désire. Vous feriez éprouver une peine véritable à ma famille si vous ne veniez pas » (p. 119).
Puis Charlotte reçoit une lettre d’Angélique Cornud Papineau, la mère de son Émery, dans laquelle cette dernière l’assure déjà de son affection et souhaite à Charlotte et à Émery tout le bonheur possible. Les choses suivent enfin leur cours. Émery arrive à temps pour le contrat de mariage, signé le 16 mai. Le 17, l’annonce de l’événement paraît dans le journal Le Pays, à Montréal. Et la noce a lieu telle qu’Émery l’a souhaitée, c’est-à-dire en famille et sans éclat. Revenu à Montréal, Émery écrit à sa mère : « Ma bonne petite femme est bien, très bien [...] Elle a grand hâte de faire connaissance avec les gens de la Nation; et rire et badiner avec eux » (p. 127). Quelques lettres suivent, dont celle de Caroline, cousine et amie de Charlotte, qui raconte la vie quotidienne à L’Industrie depuis le départ de celle-ci et fait part de tous les potins du canton. Charlotte fait ensuite un long séjour dans la famille d’Émery à Petite-Nation, alors que celui-ci est retourné à ses affaires à Montréal. Les lettres qu’il lui écrit n’ont plus le style à la Chateaubriand; Émery est très naturel. Il raconte sa vie de tous les jours, ses rendez-vous, les visites à la parenté qui lui reproche d’avoir laissé sa jolie femme à Petite-Nation pour retourner trop vite à ses occupations! Puis il termine en lui disant combien elle lui manque.
La dernière lettre d’Émery est datée du 4 février 1856. Elle est écrite de Montréal alors que Charlotte fait un séjour à L’Industrie. Ils sont mariés depuis 21 mois et Charlotte est enceinte de 5 mois. Émery raconte en détail sa vie à Montréal et décrit aussi une grande soirée, un bal, chez Louis-Antoine Dessaulles, seigneur de Saint-Hyacinthe, auquel Charlotte n’a pu assister. Il sait que sa jeune femme est curieuse des événements mondains qui rassemblent un grand nombre de personnalités qu’elle connaît et qu’elle aurait aimé rencontrer. Émery excelle dans le récit de ce genre de réunions et ne manque pas d’y glisser quelques remarques moqueuses.
Ainsi se terminent les lettres d’amour. Pour conclure leur ouvrage, Clothilde T.-L. Painchaud et Louis Painchaud font un résumé de la vie du couple, où se continuent le bonheur et l’amour pressentis dans la correspondance. Émery et Charlotte ont eu cinq enfants dont deux sont décédés en bas âge. Le couple a vécu à Montréal dans une certaine aisance. Charlotte s’est consacrée à de nombreuses oeuvres de charité et a été présidente des Dames de Sainte-Anne de la paroisse Saint-Jacques. Elle est décédée en 1881 à l’âge de 51 ans. Les notes biographiques sur la carrière d’Émery sont particulièrement intéressantes. Homme compétent, intègre et idéaliste, il a touché à la politique comme député du comté d’Ottawa au Québec (qui deviendra plus tard la circonscription de Papineau), à la Chambre d’assemblée de la province du Canada, de 1858 à 1861, mais n’a pas jugé bon de se représenter : « Cela ne me convient pas fort de vivre au milieu des tripoteurs et des intrigants » (p. 166), écrit-il au docteur Loedel, le 28 février 1858! Denis-Émery Papineau survivra 18 ans à sa chère et attachante Charlotte. Il mourra en 1899 à l’âge de 80 ans.
Pour bien décrire le contexte du temps, nous avons emprunté, dans ce compte rendu, quelques phrases au contenu de presque chacune des lettres. Celles-ci sont émouvantes. L’écriture laisse voir une forte influence de la lecture des romantiques français; en 1854, Chateaubriand est mort depuis six ans, Hugo et Lamartine sont au sommet de leur gloire. On sait que les écrits français du XIXe siècle étaient accessibles à la bourgeoisie canadienne-française. Émery et Charlotte auront d’ailleurs à la maison une bonne bibliothèque contenant des oeuvres de Chateaubriand et de Hugo (p. 160). Les échanges de lettres entre Émery et Charlotte témoignent d’une culture certaine; la langue, belle, est celle de l’époque, c’est-à-dire particulièrement respectueuse, pour ne pas dire affectée. Une relecture des lettres d’amour des écrivaines et des écrivains célèbres du XIXe siècle (Bibliothèque nationale de France 1992), par exemple des lettres de Musset à George Sand, ou encore de Benjamin Constant et de Chateaubriand à Juliette Récamier confirme, chez Émery et Charlotte, une certaine influence d’outre-mer. Prenons ce passage touchant d’Alfred de Musset à George Sand avec qui il vient de rompre alors que les liens de l’amour les retiennent encore : « Je t’aime encore d’amour, George […] je te sais auprès d’un homme que tu aimes et cependant je suis tranquille; les larmes coulent abondamment sur mes mains tandis que je t’écris mais ce sont les plus douces, les plus chères larmes que j’ai versées » (p. 195).
L’essentiel du langage de l’amour ne serait-il pas le même partout, alimenté par le désir et la passion? En faisant connaître cette fresque de la vie de leurs ancêtres, Clotilde T.-L. Painchaud et Louis Painchaud présentent un livre fascinant. Celles et ceux qui s’intéressent à la petite histoire aimeront ces lettres et, pourquoi pas, la génération montante qui nous surprend par son attachement au passé. Des photos de Charlotte, d’Émery et de quelques membres de la famille s’ajoutent à une généalogie des familles Papineau-Cherrier et Loedel-Gamelin. On y retrouve Émery et Charlotte, leur descendance et des membres des seigneuries de Petite-Nation et de Joliette.
Les jeunes féministes apprécieront le chemin parcouru par les femmes. On discute maintenant à deux de la teneur du contrat de mariage! Le franc-parler et la communication plus directe des idées et souhaits, aujourd’hui, contrastent avec les patientes attentes de Charlotte… Mais moi qui suis née entre l’époque de Charlotte et la leur, j’aimerais leur demander si un message transmis par ordinateur, fût-il rempli de mots tendres, peut avoir autant de magie qu’une lettre d’amour, une lettre que l’on embrasse avant de l’ouvrir, que l’on déplie avec précaution avant de la lire…
Appendices
Référence
- BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE France, 1992 Les plus belles lettres manuscrites de la langue française. Paris, Robert Laffont.